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Belgrade serait le nouveau Berlin, le prochain Ibiza, la capitale techno des Balkans. La diversité des lieux de fêtes et de leurs publics font la réputation de la ville. Dites-nous où vous dansez, nous vous dirons qui vous êtes.

Les splavs: le bling-bling local 

Aux premières heures de la soirée, des sons de pop serbe accompagnent la balade des promeneurs sur les bords du Danube. À Belgrade, la réputation des « splavovi » (splav au singulier), ces boîtes de nuit flottant sur le fleuve, n’est plus à faire. Musique commerciale, tenues de soirée et alcools forts y sont de mise pour le public occidental et la jeunesse serbe. « On allait surtout au Zappa, c’est moins cher et ils nous laissaient entrer sans contrôler nos âges », raconte Jovana, étudiante de 21 ans en biologie, se souvenant de ses premières fêtes d’adolescente. Si la Belgradoise a un temps apprécié la diversité des soirées à thème et les quelques musiques anglophones dans les splavovi, elle s’est vite désintéressée de son public assez jeune et des prix en constante augmentation.

Les premières entrées dans ces clubs flottants commencent autour de 10 €. Certains lounges promettant shows de danse et alcool à profusion vendent leurs entrées à partir de 60 euro;. Une évolution à l’image de l’histoire de ces lieux. De simples baraques de vacances au bord de l’eau dans les années 1960, les splavovi ont pris la forme de bars et commercialisés en boîtes de nuit au cours des années 1990. Le projet urbain du Belgrade Waterfront aura eu raison de leur emplacement : les près de 300 splavovis de la Sava ont été relocalisés en 2024 sur les rives d’Usce, au nord de la capitale. Ces multiples transformations ont changé l’esprit de ces endroits et leur public.

 

« Si tu n'as pas mangé de la journée, tu seras nourri dans une Kafana. »

Dans les kafanas, pubs locaux de la capitale, on entend les chansons d'un groupe live ou le raclement d'un vieux disque de « starogradska muzika », la musique traditionnelle serbe. « Les groupes vont de table en table, tu leur donnes un pourboire et ils jouent pour toi la chanson que tu souhaites », explique Maksim. Ce Belgradois de 29 ans apprécie l'ambiance familiale qui règne dans ces restaurants aux lourdes tables en bois recouvertes de nappes à carreaux rouge et blanc et aux chaises usées. La fumée de cigarette se mêle à l'odeur de la viande grillée et du pain fraîchement cuit. Les photos accrochées aux murs, qui montrent des scènes d'un Belgrade révolu ou évoquent des musiciens légendaires, ont jauni. « Si tu n'as pas mangé de la journée, tu seras nourri dans une kafana. Si tu veux te défoncer, tu auras toujours assez à boire », approuve Maksim d'un air entendu. « Tout le monde n'aime pas les kafanas, mais chaque Serbe y va au moins une fois dans sa vie. » 

 

Bobo techno dodo 

Loin des airs folkloriques, les sons électro trouvent leur place dans une scène plus alternative de la ville. En quatre ans d’existence, le Silosi s’est imposé comme le tiers-lieu favori des jeunes actifs-créatifs de la ville. Au pied des immenses silos décorés de peintures murales, Nina, grande amatrice de techno, apprécie la programmation de l’endroit et notamment ses festivals en plein air. « Entre le hangar à l’intérieur et les bords du Danube, on peut facilement danser et discuter dans les soirées », loue la professeure de danse de 28 ans. Sa petite amie, Dunja, installée sur le transat voisin avec leur chienne Iskra sur les genoux, renchérit : « L’atmosphère est très détendue. On ne se fait pas juger, sur rien. Et surtout, les chiens sont acceptés ! » dit la designeuse freelance en offrant à Iskra une gratouille entre les deux oreilles. 

[ Plein écran ]

Construites dans les années 50, les tours de plus de cinq mètres de haut du Silosi ont été repeintes par Jana Danilović en 2021. © Andgela Djuric

Ouvert de jour comme de nuit, le Silosi se veut un tiers-lieu où tout le monde est le bienvenu — chiens et enfants compris. Les soirées house et électro-chill se finissent rarement après 1h du matin. L’organisation non gouvernementale Gaïa, propriétaire des jardins partagés et des ruches à quelques mètres de là, a fait de l’ancienne usine de pâtes et farine des années 50 un petit paradis bobo, au même prix que les cafés branchés de la capitale. Dernière innovation du lieu : le mur d’escalade sur l’un des silos de 5 mètres de haut, ouvert à l’été 2024. 

L’ambiance hipster est une réussite. Pour l’esprit underground, on repassera. Mais en période de révolte étudiante contre la corruption et le pouvoir en place, les fêtes subversives se trouvent ailleurs. Les soirs de week-end, il faut traverser les couloirs de la fac d’électrotechnique, remplis par les rires et les odeurs de cigarettes, passer devant leurs salles de cours closes depuis six mois dont l'une a été reconvertie en dance floor turbo-folk. Dans l'université bloquée et son légendaire club étudiant, un DJ-Set fait vivre la jeunesse militante au rythme de leur mouvement, et perpétue la mobilisation sur les campus. Sur fond de remix moyens de tubes roumains et anglais tout droits sortis des années 2010, le sentiment de liberté et de communauté est imprenable. Autour et au-dessus des danseurs, les murs brutalistes des facs belgradoises se dressent à l'infini. 
 

Mathilde Stöber
Gabrielle Meton
Avec Andgela Djurić

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