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Dans la capitale serbe, les murs, panneaux et lampadaires témoignent de l’histoire politique du pays. Depuis des mois de manifestations, artistes de rue et activistes y posent graffitis, autocollants et messages de contestation, transformant l’espace urbain en support de lutte.

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© Shawn-Orric Dreyer

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Pijanista : artiste serbe mis en garde-à-vue pour un autocollant

Pijanista, de son vrai nom Andrej Josifovski, est architecte et professeur à l'université de Belgrade. Il fait aussi de l'art urbain. Son graffiti au pochoir ressemble à un panneau sens interdit. Le titre : One-way Serbia. Le trait horizontal au-dessus du personnage respecte les proportions de l'auvent effondré de la gare de Novi Sad. « One-way Serbia devrait être vu comme un signal d’alerte générale. Suivre la corruption mène à la mort », explique l'artiste. Le premier exemplaire de son pochoir était un autocollant de la taille d'un panneau routier. Lorsque Pijanista l'a collé sur un sens interdit dans une rue le 12 décembre dernier, il a aussitôt été placé en garde-à-vue. Autrefois, le street art était dangereux, se souvient le graffeur Lortek. « Dans les années 1990, sous Slobodan Milošević, on avait de sérieux problèmes si on faisait un graffiti critique et qu'on se faisait attraper par la police. » Pour Pijanista, l’espace public doit être utilisé pour transmettre des messages politiques : « C’est le seul espace libre », justifie le Belgradois.

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Manifestations en Serbie : Le symbole principal « La Main Rouge »

« Vos mains sont ensanglantées. » La paume et les cinq doigts écartés sont devenus le principal symbole du mouvement de protestation en Serbie contre la corruption. Le symbole des mains rouges est un signe récurrent dans les mouvements contestataires : aujourd’hui signe controversé de soutien à la Palestine, il a aussi été repris dans divers contextes pour dénoncer la violence, comme lors des manifestations contre la dictature de Pinochet au Chili à la fin du 20e siècle. En Serbie, un poing serré rouge était déjà apparu lors de la révolte contre Slobodan Milošević à la fin des années 1990. Pour l’actuel mouvement étudiant, le symbole ne réfère à aucune autre cause que celles défendues dans leurs revendications. Sous forme d’affiches, de pochoirs, d'autocollants : les dessins de mains rouges marquent les murs de toute la ville, aux côtés d’empreintes de paumes bien réelles, trempées de peinture.

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© Shawn-Orric Dreyer

Belgrade : les doigts d’honneur apparaissent dans la ville

La réaction des partisans du pouvoir ne s’est pas fait attendre : en janvier, un poing serré avec un doigt d’honneur tendu, rouge lui aussi, apparaît sur les murs et jusque dans la cour d’un lycée. Au même moment, des responsables du parti progressiste au pouvoir, le SNS, en partagent des images sur les réseaux sociaux. « C'était une réponse méchante et digne d’un sociopathe de la part des autorités, estime Vladimir Arsenijević. Ils n'ont pas pris conscience de la souffrance des gens, de la nécessité de prendre leurs responsabilités et ont préféré leur faire un doigt d'honneur. » Pour répondre à cet affront, des élèves et des bénévoles ont acheté des bombes de peinture et recouvert les obscénités. Sous leurs couleurs, la vulgarité s'est transformée en cœurs et en fleurs.

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Comédien contre Vučić : l’attaque publique du gouvernement serbe

« The show must go on : pour ceux d'entre nous qui restons et qui pleurons les victimes », a déclaré, le 1er novembre 2024, jour même de la catastrophe de Novi Sad, le présentateur star Zoran Kesić. Connu pour ses propos critiques envers le régime, il voulait manifester son soutien aux victimes et exprimer la nécessité de confronter les responsables.
Mais, ambiguë, l’expression a donné lieu à une récupération des propos de Zoran Kesić par les partisans du régime pour faire croire qu’il soutenait le pouvoir. À partir de décembre, des centaines de pochoirs sont apparus sur les murs de Belgrade. Inscrits dessus : la date de la tragédie, le nom du journaliste et le slogan Show must go on. La contre-offensive a été lancée pour défendre Zoran Kesić, cible de ces attaques au pochoir à grande échelle. « Imagine que tu te promènes dans la ville et que ton nom est inscrit des milliers de fois sur les murs des maisons. C'est un cauchemar », commente Vladimir Arsenijević, qui aide Zoran Kesić à effacer ces graffitis. Des étudiants et étudiantes les ont rejoints. Des couches de peinture blanche recouvrent désormais une bonne partie de ces pochoirs.

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Vučić est fini : l’autocollant le plus connu du mouvement

Aux feux rouges, sur les lampadaires, sur les boîtiers d’électricité… sur toutes les surfaces sur lesquelles ils peuvent tenir, on trouve l’autocollant Gotov je, littéralement « Il est fini ». Selon Vladimir Arsenijević, l’expression englobe une référence claire au président Vučić, même s’il n’est pas nommé directement : « La politique serbe de nos jours ressemble à une pyramide au sommet de laquelle trône le prédateur suprême Vučić. Donc, ça fait du sens de l’identifier comme la figure qui représente tout ce que des gens détestent dans cette société. »

© Aleks Eror

Ratko Mladić : une fresque controversée

Ratko Mladić, ancien général bosno-serbe, a été condamné par le tribunal pénal international pour génocide et crime contre l’humanité, notamment pour le massacre de Srebrenica, au cours duquel 8 000 Bosniaques ont été assassinés il y a trente ans.
Emprisonné en Serbie en 2011, Ratko Mladić a été condamné à la réclusion à perpétuité six ans plus tard. En juin 2021, une fresque le montrant en train d’effectuer un salut militaire, accompagné de la mention « Nous sommes reconnaissants envers votre mère, général », est apparue dans le quartier de Vračar à Belgrade. Des militants de gauche ont aspergé le mur avec de la peinture et des œufs. « Mais des nationalistes nettoyaient le mur après chaque attaque. Et des milliers de pochoirs proclamant "Ratko Mladić, héros serbe" ont fleuri dans la ville, rappelle Vladimir Arsenijević. Les criminels de guerre, comme Ratko Mladić, sont présentés comme des héros. Cela influence les gens. Quand toute la ville en est bombardée, les messages peuvent devenir réalité. » Cette fresque disputée a aujourd’hui disparu.

Shawn-Orric Dreyer

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