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L'Union européenne veut protéger ses intérêts face aux investissements étrangers


14 février 2019

Un règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne « pouvant constituer une menace pour l’ordre public et la sécurité » a été adopté par les eurodéputés jeudi 14 février.

« Toutes les puissances du monde ont leur système de filtrage des investissements. Il était temps que l’Union européenne fasse de même », constate Franck Proust, (PPE, chrétiens-démocrates) rapporteur du règlement adopté par le Parlement jeudi 14 février. Celui-ci instaure un système de filtrage pour mieux identifier les investisseurs sur le territoire européen.

L’Europe, première destination des IDE

Le but du filtrage est de rendre obligatoire « l’échange des informations entre les Etats membres sur les investisseurs étrangers dans des secteurs sensibles comme la technologie, l’industrie ou encore l’énergie », selon Franck Proust.

Le dispositif prévoit aussi que la Commission puisse émettre un avis non-contraignant sur un investissement direct étranger. « Une décision prise par un Etat membre peut avoir des conséquences dans un autre Etat. Il sera désormais possible de traiter les risques que représentent les IDE pour notre sécurité », explique Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce.

Ces vingt dernières années, les investissements directs étrangers (IDE) ont changé en Europe. Même s’ils proviennent majoritairement des Etats-Unis (40%), les IDE issus des pays émergents ne cessent de croître. La part des investissements du Brésil a été multiplié par dix et celle des Russes a doublé. Les investissements chinois sont euxpassés de moins de 1 milliard d’euros en 2008 à 35 milliards en 2016, selon Rhodium Group, un institut de recherche économique. Le premier pays de destination est le Royaume-Uni (23 %), suivi par l’Allemagne (19 %), l’Italie (13 %) et la France (11 %). Le secteur des technologies de l’information et de la communication est la première cible (16 %), suivie par les transports et les infrastructures (15 %).

Un dispositif non obligatoire

L’un des objectifs du dispositif est de mieux protéger les intérêts de l’Union européenne et de développer sa politique économique. « Il faut que nous soyons plus vigoureux pour défendre l’industrie européenne et lui donner la possibilité d’être compétitive face aux autres pays dans des domaines stratégiques », insiste Bernd Lange, (S&D, sociaux démocrates), président de la commission du commerce international au Parlement.

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De gauche à droite : Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce ; Franck Proust, rapporteur et Bernd Lange, président de la commision parlementaire du commerce international. © Hugo Bossard

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Le système de filtrage des investissements directs étrangers entrera en vigueur dans 18 mois au sein de l'Union européenne.© Clémence Barbier

Cependant, la mise en place du système de filtrage ne sera pas obligatoire. « Il s’agit d’une aide à la décision pour les Etats membres. Ils sont prévenus à l’avance sur les intentions politiques et non économiques de certains investisseurs. S’ils décident tout de même d’accepter l’IDE, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. » explique Franck Proust. En effet, la décision finale reviendra au pays qui accueillera l'investissement.

La Chine dans le viseur européen ?

« Le texte n’est pas là pour faire du protectionnisme mais pour préserver nos intérêts dans des secteurs stratégiques. On reste ouvert aux IDE car ils sont source d’emplois et de croissance », explique la commissaire européenne Cecilia Malmström. A la question de savoir si le texte visait des pays en particulier, la commissaire répond que « c’est une décision neutre et non discriminatoire. On songe tout de même à la Chine car elle a officiellement dit qu’elle voulait investir dans des secteurs stratégiques dans des pays tiers ». Ainsi, en 2016, le port de Pirée en Grèce a été racheté par l’armateur chinois Cosco pour 368,5 millions d’euros. La même année, l’empire du Milieu s’est emparé du fabricant allemand de robots Kuka pour 7,3 milliards d’euros.

S’il y a un fort consensus à l’heure actuelle, plusieurs pays se montraient réticents à cette nouvelle législation il y a encore quelques mois. Les Pays-Bas, par exemple, se sont inquiétés du sort du port de Rotterdam qui dépend fortement des activités chinoises. « De manière générale, la crainte partagée des États était la remise en cause du principe de subsidiarité, c’est-à-dire que l’UE s’immisce dans leurs décisions », explique Franck Proust.

Initialement opposé à l’accord, le groupe ECR (conservateurs) estimait que le dispositif représentait « un danger de repli protectionniste ». « Depuis, des aspects cruciaux ont été modifiés notamment sur la sécurité juridique. », explique Joachim Starbatty, eurodéputé allemand de ce groupe. Des changements qui l'ont finalement amené à soutenir la nouvelle législation. Les Etats ont désormais la possibilité d’introduire un recours en justice contre les décisions de filtrage. Un an de négociations entre la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne aura été nécessaire pour mettre tout le monde d’accord. Jeudi, le règlement a été adopté à une large majorité (500 voix, 49 contre et 56 abstentions).

Aujourd’hui, 14 Etats membres disposent de leur système de filtrage des investissements étrangers. « Le vœu pieu que j’ai, c’est que dans deux ou trois ans, les 27 Etats auront leur dispositif de filtrage », espère Franck Proust.

Muriel Kaiser et Yacine Arbaoui 

Sommaire de la session parlementaire de février 2019

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