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Niché entre le stade du Racing club de Strasbourg et la route de la Meinau, le petit quartier des Villas attise les convoitises des agents immobiliers. Un îlot de calme où les familles espèrent trouver la maison idéale, proche du centre, mais isolée du tumulte de la ville. Ce privilège a un coût.

À la Meinau, le quartier des Villas fait figure d’exception. Dans ce petit havre de paix de 0,5 km², les bâtisses sont cossues, spacieuses, avec jardin particulier et garage. Rien à voir avec les immeubles modernes de l’avenue de Colmar, qui borde l’est du quartier. Encore moins avec les barres de la cité de la Canardière, au sud. Ici, les habitants profitent de l’atmosphère "paisible", "sereine", un peu "vide" aussi, des Villas. Pierre Eber, un anesthésiste de 58 ans, y promène quotidiennement son chien Tokyo, qui s’amuse dans les hautes herbes. "L’avantage, c’est qu’on est en ville sans y être", explique Brigitte Thiry, une retraitée de la rue du Rhin-Tortu. Presque un bout de campagne en plein Strasbourg.

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Rue Ramond, en plein centre des Villas, les grandes demeures peuvent dépasser le million d'euros à la vente.
© Louisa Chausse-Dumont

Place Jean-Macé, deux rangées de maisons mitoyennes s'observent. Les façades colorées et les arbres centraux lui donnent un air de "place de village". Le coin est silencieux. Deux stations de tram – Lycée-Couffignal au nord et Emile-Mathis au sud,  sur les lignes A et E – et quatre arrêts de bus entourent la zone résidentielle, sans jamais la traverser. "Un refuge", résume un agent immobilier de la société Espaces atypiques.

Un entre-soi qui coûte cher

Mais ce refuge a un prix. Les villas sont généralement estimées entre 700 000 et 1 million d’euros.  Au bas de la fourchette, on trouve une maison de 250 m² en vente à 787 500 euros rue Dietterlin, au cœur du quartier des Villas. À quelques rues de là, les porte-monnaies plus larges peuvent quant à eux s’offrir une villa des années 1960 à 1 099 000 euros : onze pièces, dont sept chambres, pour une surface totale de 388 m². Sans prétendre au grand luxe, le quartier maintient tout de même un standing bourgeois.

Le contraste avec le reste de la Meinau est frappant. "Il suffit de traverser la route la Meinau pour diviser de moitié les prix de l’immobilier", explique Francis Fischer, agent immobilier indépendant spécialiste des Villas. Une fracture flagrante que reflète également l’inégale répartition démographique. Aux Villas, les cadres et professions intellectuelles représentent 37 %, elles sont 21 % côté Plaine des Bouchers et seulement 7 % à la Canardière, selon la dernière étude socio-démographique de l’Insee (2016). 

Les jardins privés, argument phare des agents immobiliers

© Louisa Chausse-Dumont et Sylia Lefevre

Loin des appartements étroits qu’abrite la Canardière, les habitants des Villas profitent de vastes espaces verts privés. Pour les potentiels acquéreurs, "les jardins, ce n’est pas important, c’est capital ! Il faut que le terrain soit piscinable", explique Francis Fischer. La possibilité de cultiver son potager représente également un atout majeur. "J’avais envie de jardiner", résume Émilie Huard, 26 ans, arrivée début 2022 aux Villas. Des bottes en caoutchouc aux pieds et un râteau à la main, elle détaille gaiement ses projets de permaculture pour le printemps prochain.

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Émilie Huard, animatrice, ratisse le jardin de la maison qu'elle partage avec ses trois colocataires scénographes, avenue Christian-Pfister. © Louisa Chausse-Dumont

"On trouve peu de pavillons à Strasbourg, donc les quartiers avec maisons individuelles sont très courus. Il y a aussi un effet de renouvellement générationnel. Des personnes âgées sont amenées à quitter leur logement, quand il est trop grand ou mal fait", explique Eric Chenderowsky, directeur de l’urbanisme à l’Eurométropole. Cela devrait durer une quinzaine d'années, estime-t-il, car "là, ce sont plutôt les boomers des années 1960 qui partent".
Geneviève Richter, 70 ans, a passé toute sa vie aux Villas et

compte bien y rester malgré ses difficultés à entretenir la grande maison construite par ses parents en 1958 : "C’est un quartier idéal. Mais maintenant, j’en ai assez, c’est trop de travail." Elle et sa sœur ont trouvé la solution : vendre et emménager ensemble dans un appartement route de la Meinau dont elles sont déjà propriétaires. Aux Villas, on y grandit et on y reste. Né rue Gambs, Pierre Eber a racheté la maison de ses voisins d’enfance. "L'Alsacien, une fois qu’il est enraciné, il se déracine rarement", plaisante-t-il.

Francis Fischer : "Je suis un artisan de l’immobilier"

Vendre des villas, ça le connaît. "Je suis à la Meinau depuis 30 ans, c’est tout mon chiffre d'affaires", confie Francis Fischer, l’agent immobilier incontournable des Villas. Il connaît le quartier et ses habitants comme sa poche. Même si son fils Florent a repris l’entreprise, Francis Fischer ne lâche pas l’affaire. Il se revendique "artisan de l’immobilier", un slogan qu’il a inscrit sur sa plaque. L’important, c’est l’humain, insiste-t-il, conscient que son bagou et son sens du relationnel entretiennent le bouche-à-oreille. "Je ne travaille pas sur 20 biens en même temps, seulement quatre à cinq à la fois." 

La sauvegarde des Villas comme mot d'ordre

Avec Francis Fischer, les villas partent en moins de trois mois, et les gens le savent. Déjà en 1997, Brigitte Thiry, une retraitée du quartier, avait fait appel à lui pour acheter une maison rue du Rhin-Tortu : "En général, tout le monde passe par lui." "Dans le quartier, il y a très peu de biens qui m’échappent ! Ici, rue du Général-Offenstein, en trente ans, j’ai vendu près de 25 maisons sur les 50", s’enorgueillit le "faux retraité". Un monopole qu’il conserve depuis plus de vingt ans.

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Francis Fischer épaule son fils Florent dans leur agence immobilière, rue du Général-Offenstein. © Louisa Chausse-Dumont

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