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Derrière le stade de la Meinau, des supporters assistent tous les jours aux entraînements du Racing. La création de nouveaux vestiaires les a éloignés des joueurs. Ces habitués espèrent conserver les rapports privilégiés qu'ils entretiennent avec les professionnels.

"Il y a des gens qui viennent tous les jours ! C’est des tarés ! Il y a de la neige, -12°C… même -25°C, ils seront là", plaisante Tsubasa*, un agent de sécurité engagé depuis deux ans au Racing club de Strasbourg Alsace (RCSA). Ces inconditionnels des entraînements de l’équipe professionnelle, le vigile les connaît bien. "Tiens voilà, c’est eux ! Jacky, Jean-Michel, Christian et Jean-Paul !" À quelques minutes du début des entraînements, fixé le plus souvent à 10 h 30, ces habitués patientent devant le portail du Centre de performance Racing Soprema Parc, qui jouxte le stade de la Meinau. Casquette du RCSA sur la tête, Jean-Michel, fidèle depuis 40 ans, est de retour après un mois d’absence. "Ça n’a pas de rapport avec les résultats moins reluisants de l’équipe, ni au rachat du club par BlueCo, tient-il à préciser. C’est lié à mon calendrier de travail."

La grille s’ouvre. "Jean-Michel, est-ce que tu veux aller là-bas ?", demande Tsubasa en pointant du doigt le coin des habitués qui longe la rue des Ciriers.

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Les supporters entrent dans le Centre de performance Racing Soprema Parc par un grand portail situé dans la rue des Vanneaux. © MLR

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Jacky retrouve son nom dans la liste des donateurs pour la construction du centre d'entraînement en 2020. De gauche à droite : Jean-Paul, Jean-Michel, Jacky et Christian. © Mélissa Le Roy

En plus d’être un endroit plus tranquille pour discuter, il donne un meilleur point de vue pour observer les exercices des joueurs. "Non, je vais rester ici pour l’instant", répond le supporter. "Ici", c’est un carré de terre accolé aux terrains engazonnés, où se massent parfois des centaines de personnes. "On tourne autour de 400 supporters en été. Quand il fait froid, seulement 3 à 10 sont présents", explique l’agent. Jean-Michel et ses camarades aperçoivent les joueurs, à distance.

Loin du ballon…

"C’est moins convivial, se désole Christian. C'est notre grand regret, en tout cas le mien." Avant le mois d’août, les joueurs sortaient de la tribune Sud du stade et passaient sur le pont Krimmeri. Cela permettait aux supporters, maintenus derrière les barrières, de discuter avec eux le temps de leur trajet jusqu’aux terrains. Avec l’entrée en service de nouveaux vestiaires, situés désormais directement sur le centre d'entraînement, ce moment privilégié n’a plus lieu. "Sur cette saison, je n’ai aucun plaisir à venir. De loin, on ne les reconnaît même plus", ajoute Christian, l’air renfrogné. C’est pour cette raison qu’il a décidé de se limiter à une séance hebdomadaire contre cinq auparavant. "Aujourd’hui, on est là plus pour prendre des nouvelles entre nous."

Depuis qu’il est retraité, Jacky, lui, se rend à la Meinau tous les jours à vélo. "On se retrouve, on discute et parfois on va ensemble au bowling", explique-t-il. Cette "bande", comme il l’appelle, s’est rencontrée il y a une dizaine d'années et a tissé un lien particulier avec le Racing.

… mais près du cœur

Christian précise : "On ne se connaissait pas du tout et à force de se voir tous les jours, on est devenu une petite équipe. Les entraîneurs nous reconnaissaient. On a lié une amitié avec Thierry Laurey [coach du RCSA entre 2016 et 2021], mangé avec Dimitri Liénard [ancien joueur resté dix ans au RCSA] ! ". Même s’ils déplorent l’éloignement des joueurs, ces habitués restent passionnés.  "On a quand même une grande chance ! C’est le seul club de Ligue 1 qui ouvre ses entraînements au public tous les jours, à part pour les séances d’avant-match", saluent-ils, plein de gratitude. Pour eux, aucune raison que cela change avec l’arrivée du nouvel actionnaire, BlueCo. Le consortium américain, détenteur de Chelsea FC, a officialisé le rachat du Racing le 22 juin dernier. "Keller [président du RCSA] sait ce qu’il fait ! C’était réfléchi depuis des mois", estime Jacky, confiant.

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Dans le centre d'entraînement, un bâtiment de 1 800 m² comporte notamment des vestiaires, des espaces médicaux et une salle de restauration. © MLR

André, un trentenaire qui vient une ou deux fois par semaine, craint tout de même "une perte d’identité du club". "[Je ne n’ai pas envie que] le club mère soit Chelsea et que nous, on devienne juste un centre de formation." Cet été, le RCSA a dépensé 55,5 millions d’euros pour cinq nouvelles recrues qui ont entre 20 et 21 ans. Il rajoute, l’air agacé : "Avec les sous qu’ils ont reçus, ils auraient pu prendre des joueurs moins jeunes, avec plus d’expérience. Ça nous aurait permis de jouer plus haut. Mais c'est un pari pour l’avenir. Ça peut être payant."

Plus loin, Laurine, la vingtaine et adepte des entraînements depuis huit ans, fait des passes à sa nièce. "Je n’ai pas trop d’inquiétudes pour l’instant, mais s’ils continuent leurs séries de matches nuls et de défaites, ils vont énormément se faire siffler. Ils n’auront plus forcément la motivation d’aller discuter, d’aller signer quelque chose ou même d’aller faire une photo avec [nous]."

Abdoulaye Guisse et Mélissa Le Roy

*Le prénom a été modifié

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