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Faciles d’accès, peu chers voire gratuits, dans le quartier de la Meinau, les cours de boxe ont su convaincre les jeunes de la Canardière.

"Crochet, crochet, uppercut !" Dans le gymnase du Centre socioculturel (CSC) de la Meinau, ce mardi soir, ils sont une cinquantaine de jeunes de 6 à 20 ans à avoir enfilé protège-tibias et gants de boxe. Après quelques séries de talons-fesses et de pas chassés, des petits groupes de travail se forment. Les 18 "grands" se placent au fond de la salle, pendant que l’entraîneur leur explique les gestes techniques. "Ça me permet de me défouler", sourit Rihad, 20 ans. Le jeune homme travaille dans l'événementiel. Il joue aussi au foot de temps en temps, mais la boxe a sa préférence depuis trois ans.

À ses côtés, Emir, 20 ans, reprend son souffle. La boxe est l’une des seules activités qui lui plaisent à la Canardière. Pour lui, les jeunes du quartier n’ont "pas grand-chose à faire", sa génération est délaissée. Préparateur de commandes, il se sent souvent désœuvré après le travail. Alors il rentre chez lui ou se rend à Hautepierre. "Là-bas, il y a plus de [stades], plus de gymnases ouverts le soir."

Plus de femmes sur le ring

Pour Alexandre Besse, directeur du CSC depuis cinq ans, une partie des jeunes s’auto-exclut : "Ce n’est pas facile de trouver la façon de rentrer en contact, de les intéresser. " Il observe une contradiction de la part des jeunes, entre demande d’activités et refus d’un cadre et de l’autorité. Sur cette question, Rudi Wagner, ancien éducateur spécialisé, le rejoint : "Ils sont dans une démarche de révolte et de mise à distance. Mais au lieu de les vilipender, il faudrait travailler avec ces jeunes", en s’appuyant sur leurs centres d’intérêt.

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Répartition des adhérents du Centre socioculturel de la Meinau par tranches d'âges. © Marie Starecki

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Trois soirs par semaine, Hamed Ouanoufi donne aussi des cours de boxe au Cercle Fitness de la Canardière. Le public y est plus âgé qu'au CSC. © Marie Starecki

Justement, ce qui leur plaît, c’est la boxe. Depuis plusieurs années, le cours du mardi soir du CSC connaît un engouement particulier. La rentrée de septembre a connu un vrai boom avec une fréquentation de 70 à 80 participants, contre une trentaine précédemment. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine à s’entraîner régulièrement. Les filles notamment s’approprient ce sport traditionnellement plus masculin. Elles représentent la moitié des effectifs au CSC. Une hausse qui se retrouve à l’échelle nationale : selon la Fédération française de boxe, le nombre de boxeuses licenciées a doublé, passant de 8 400 à 17 000 depuis 2012. Quelques rues plus loin, Ness, la vingtaine, s’entraîne au Cercle Fitness trois soirs par semaine. Ce jeudi soir, après une série d’étirements, elle raconte que la boxe lui permet de travailler son cardio, plus que d’autres sports. "Mais quand tu es une fille, les garçons sont plus délicats avec toi. Pourtant, je leur dis : 'Tu peux y aller !'”, lance-t-elle, bravache.

Une offre financièrement accessible

La municipalité en place depuis 2020 a revalorisé l’aide aux licences sportives, passant de 50 à 80 euros. "Notre politique, c’est de permettre à tout un chacun d’avoir des activités sportives. Il ne faut pas que l’argent soit un frein pour les pratiquer", affirme l’élu du quartier Abdelkarim Ramdane. Mais cette aide n’est pas applicable au cours de boxe du CSC, car celui-ci ne nécessite pas d’être affilié à la fédération de boxe. L’inscription annuelle au CSC coûte en théorie 70 euros, mais de nombreux enfants et jeunes du quartier participent au cours sans adhésion. Hamed Ouanoufi le reconnaît, il ferme parfois les yeux : "On sait pertinemment qu’il y a des familles qui sont en difficulté au niveau financier et qui n’ont pas les moyens de payer. Tu fais la part des choses quand tu sais qu’un gamin n’a pas les sous… Tu ne vas pas le priver d’une activité." Pour la rentrée 2023, seuls trente-six ont payé leur cotisation. Un chiffre pourtant en augmentation : ils n’étaient que 16 inscrits en 2021, contre sept en 2022.

Marie Starecki et Lison Zimmer

Hamed Ouanoufi, le repère

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Ce jeudi soir, Hamed Ouanoufi a coaché une dizaine de jeunes au cours de boxe du Cercle Fitness. Il fait preuve d’exigence et de fermeté. © Marie Starecki

Éducateur spécialisé, médiateur et coach de boxe, Hamed Ouanoufi est une référence pour les adolescents de la Canardière. Natif du quartier, il s’est donné pour objectif de garder la jeunesse sur le bon chemin.

"Regarde ce qu’on a écrit pour toi sur le mur !" Au Centre socioculturel (CSC) de la Meinau, des jeunes filles se rassemblent autour de Hamed Ouanoufi, sourire aux lèvres. Elles lui montrent une photo où l’on peut lire "Hamed le plus beau" écrit à la craie. Éclats de rires immédiats de l’intéressé, flatté de cette attention. Jamais sans son survêtement noir et ses baskets blanches, il coordonne le secteur jeune du CSC depuis dix-huit ans, après avoir mené une carrière de boxeur professionnel.

Natif de la Canardière, l’homme de 46 ans "connaît les codes des jeunes" puisqu’il était à leur place il y a quelques années. Lui aussi a été un adolescent difficile. "J’ai pris des chemins de traverse, j’ai fait les quatre cents coups", commente le coach de boxe.

 

Voitures volées, trafic de drogue et rixes : il aurait pu "mal tourner". Sans aucune stabilité financière et familiale, il avoue avoir vendu de la drogue. "Au hasard de la vie, soit tu rencontres des pépites, soit des pépins", poursuit l’éducateur. Lui a eu la chance de rencontrer Delfim Antonio, un entraîneur de boxe qui l’a amené vers une carrière de haut niveau. Pendant une quinzaine d’années, il a combattu en coupe de France et en championnat international, notamment en Allemagne et en Italie.

"C’est ce qui m’a sauvé", confie Hamed Ouanoufi. Sa volonté est de reproduire ce schéma vertueux auprès des jeunes. "Si ça a eu cet effet sur moi, je me dis que ce sera le cas pour eux aussi. Les valeurs du sport sont structurantes pour les adolescents, c’est important de les diffuser, surtout pour ceux qui manquent de cadre", explique le boxeur. L’élu du quartier, Abdelkarim Ramdane, loue l’investissement de l’éducateur : "Si on n’avait que des acteurs aussi investis que lui, ce serait génial. Hamed arrive à attirer des jeunes que personne n’arrive à attirer." Difficile de trouver des personnes avec un avis négatif. Pour beaucoup, comme Azad, 20 ans, qui assiste au cours de boxe du Cercle Fitness du jeudi soir, "c’est une figure du quartier. Je pense que du bien de lui, c’est un très bon coach !" Une autre boxeuse complète : "C’est une personne avec des valeurs, des principes et un savoir-vivre."

Le travail d’Hamed Ouanoufi ne s’arrête pas au ring. "Tu ne peux pas rentrer chez toi le soir et déconnecter aussi facilement", confie-t-il. Il lui arrive d’appeler centres sociaux et associations d’aide à l’enfance pour "faire avancer les choses" pour les jeunes en difficulté. Il assure "toujours répondre présent". Comme cette fois où quelques adolescents du quartier l’ont appelé la nuit, alors qu’ils étaient bloqués en Allemagne. Hamed Ouanoufi est allé les chercher en voiture sans hésitation. En 2015, son investissement était moins anecdotique. La Meinau a connu un épisode important de radicalisation : de nombreux jeunes sont partis faire le jihad en Syrie. L’éducateur a tenté de raisonner ceux qu’il avait vus grandir, en vain. À leur retour, il a assisté aux procès, tentant de comprendre cet endoctrinement. Aujourd’hui, il regrette cette image qui continue de coller à la peau du quartier.

Marie Starecki et Lison Zimmer

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