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Dans la barre d’immeubles promise à la destruction rue de la Canardière, In’li, bailleur privé, tarde à proposer des solutions de relogement. Les derniers habitants attendent dans un bâtiment délaissé, sans certitude de pouvoir rester dans leur quartier. Initié en 2019, un Projet de renouvellement urbain (PRU) prévoit de remplacer les bâtiments vétustes par du logement neuf.

Au numéro 50 de la rue de la Canardière, plus besoin de clefs ou de sonnette pour entrer. Au rez-de-chaussée, deux portes blindées bloquent l’accès aux appartements. Inutile de toquer, ils sont vides. "Ici c’est la catastrophe, on n’est plus que trois locataires", souffle Malika El Mouïchui, installée avec son mari depuis 1980. En 2019, ses voisins et elle ont appris la destruction programmée de leur barre d’immeuble, les 50-52-54-56-58 et 60 rue de la Canardière. Il ne leur a pas été annoncé d’échéance précise. Le bâtiment de quatre étages sera remplacé par des logements neufs. Des travaux qui s’inscrivent dans le Projet de renouvellement urbain (PRU) initié par la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg. Depuis ce moment-là, dans un ensemble qui s'est peu à peu vidé de ses occupants, les derniers habitants demeurent dans l’incertitude. In’li, leur bailleur privé, examine leurs dossiers, mais n’est pas en mesure de dire où ils seront relogés, ni quand.

Dans son salon traditionnel marocain, Malika El Mouïchui se souvient : "Avant, on avait le meilleur immeuble du quartier. Ce bâtiment, c’était pas comme les HLM et les grandes tours." Mais depuis 2019, les problèmes d’entretien s’accumulent. "La propreté, In’li, ils s’en fichent complètement." Ordures ménagères qui débordent, invasion de cafards, parties communes laissées à l’abandon : "La cave et le local poubelle sont dans un état catastrophique. Je descends jamais, y a des bêtes. "S’ajoute à cela la présence occasionnelle de squatteurs venant chercher refuge dans la cage d’escalier. Depuis quatre ans, le couple de retraités attend toujours des propositions d’appartements du bailleur. "On voit les voisins, on rigole, on se dit "Alors ? Ils vous ont proposé quelque chose ?" Et non, jamais rien."

"On est douze petits vieux, ils nous mettront pas dehors" 

Dans le hall voisin, au numéro 52, un courant d’air froid passe par une fenêtre cassée. On perçoit le bruit des pigeons à travers la trappe du grenier. Sur les dix foyers qui vivaient ici, la moitié a déjà déménagé. Un voisin rentre des courses et salue Christian Schmid* au passage. Locataire depuis 32 ans, ce retraité suit de près les questions de démolition et de relogement.

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Malika El Mouïchui, une des dernières habitantes du 50 rue de la Canardière, dans son salon marocain. © Lya Roisin-Pillot 

"Le projet de renouvellement urbain de la Meinau, c’est tout un cirque", s’énerve-t-il. Depuis quatre ans, les habitants sont plongés dans l’incertitude. Initialement, In’li s’était engagé auprès des locataires de la rue de la Canardière à les reloger dans un immeuble qui doit sortir de terre, au 23-25-27, rue de Bourgogne. Problème, le projet a pris du retard. À cet emplacement, la vieille barre qui devait être détruite, a été squattée au début de cette année. Avec le nouveau calendrier d’In’li, les habitants n’ont plus la garantie d’être relogés dans le quartier. "C’était seulement oral. Il n’y a pas eu d’engagement concret par écrit de notre part", se défend Aurore Petit, directrice de la gestion locative et des relations clients chez le bailleur. Les locataires pointent du doigt la difficile circulation de l’information. Du côté de l’Eurométropole, on se dégage de toute responsabilité. "Vu l’énergie qu’on dépense à faire des documents de communication, de concertation, je doute de la bonne foi de ceux qui vous disent qu’ils ne sont pas bien informés", s'agace Éric Chenderowsky, responsable urbanisme. 

Quoi qu’il en soit, pour Christian Schmid, pas question de quitter la Canardière :  "J’ai une qualité de vie ici, le médecin, le laboratoire, tout à proximité. Je vais pas aller ailleurs." À l'occasion d’un déjeuner-rencontre avec les riverains le 16 novembre, il a interpellé Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, sur sa situation : "On est douze petits vieux [dans l’immeuble], on fait front. On a tous dit qu’on voulait aller dans les nouveaux bâtiments [de la Canardière], ils nous mettront pas dehors", a-t-il clamé.

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Bâtiment du 50 rue de la Canardière. Sa démolition a été annoncée en 2019, depuis les habitants se plaignent de son délaissement. © Lya Roisin-Pillot 

*L'identité a été modifié. 

Une communication difficile 

Au 1er étage du numéro 54, Monique peine à ouvrir la porte. Son déambulateur ne facilite pas la tâche tant le vestibule est étroit. Installée à la Canardière depuis 1988, elle déplore le départ de ses voisins. "On était depuis longtemps ensemble, c’est terrible." Mais Monique se montre optimiste. Elle pense qu'In’li lui attribuera un appartement aménagé, avec ascenseur, dans le quartier. Mieux encore : "On nous a promis d’avoir le même loyer avec la même superficie."

C’est pourtant loin d’être certain. Abdelkarim Ramdane, élu référent du quartier de la Meinau, affirme que la collectivité veut conserver les mêmes tarifs. "Mais on n'est pas le bailleur, on fait un travail avec lui pour essayer de reloger à la Canardière", ajoute t-il. Eric Chenderowsky reconnaît qu’une hausse des loyers aura bien lieu, mais qu’elle sera contrebalancée par une baisse des charges. Chauffage plus performant, logements mieux isolés : la collectivité promet que ces améliorations devraient alléger les factures des futurs locataires.

Lya Roisin--Pillot et Angellina Thieblemont 

Cartographie de l'état des immeubles devant être détruits dans le quartier de la Canardière, dans le cadre de la phase deux du Projet de renouvellement urbain 2019/2030. © Lya Roisin--Pillot, Angellina Thieblemont 

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