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Espace européen de l'entreprise : l'autre Schiltigheim

18 septembre 2015

La zone d'activité commerciale, située à l'ouest de Schiltigheim, accueille 9000 salariés et 530 entreprises du secteur tertiaire. Mais les liens économiques, spatiaux et humains avec la commune sont ténus. Etat des lieux sur place, de l'aube à la sortie des bureaux.

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La première navette quitte la gare de Strasbourg à 4h33. 

 

5h10. Après quinze minutes de bus G depuis la gare de Strasbourg, arrivée au terminus, « l’Espace européen de l’entreprise » (E3). Avant l’aube, le quartier d'affaires, qui réunit chaque jour 9000 salariés, tient encore de la ville fantôme. « Les employés n’habitent pas Schiltigheim », précise le conducteur de la navette. « A votre avis, pourquoi y a-t-il un arrêt à la gare de Strasbourg ? Les gens viennent de plus loin. A l’E3, ce sont principalement des sièges d’entreprise, et la matière grise ne vient pas de Schilik », ajoute-t-il.

 

Sous l’averse matinale, rien ne semble bouger. Mais en circulant sur l’avenue de l’Europe, l’artère principale de l’E3, quelques fenêtres éclairées dans les bureaux trahissent des signes de vie. Les agents d’entretien sont les premiers à investir le quartier. Comme Zeneb, une trentenaire qui attend devant l’une des entrées du Crystal Park, un bâtiment à l’architecture épurée.

 

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Le Crystal Park est l'un des bâtiments les plus imposants de l'E3. Il comprend 4 étages de bureaux et des restaurants au rez-de-chaussée.

5h45. L’agent d’entretien de la société ONET commence dans une demi-heure. « Avec les bus, on est soit très en avance, soit en retard », explique-t-elle, un peu lasse. Ses horaires fractionnés la contraignent à beaucoup utiliser les transports en commun. Depuis un an et demi, le réseau s’est amélioré, avec notamment la mise en place de la ligne G. Originaire de Cronenbourg, elle ne connaît de Schilik que son Espace européen. Elle nous confie d’ailleurs que ses collègues ne sont pas non plus schilikoises. Et la mère de famille ignorait que l’E3 organisait des portes ouvertes samedi dernier.

 

6h30. Ici, il vaut mieux se déplacer en voiture. L’E3 s’articule autour de grandes artères, dont l’autoroute A4 qui dessert la zone d’emploi. Des parkings bordent les larges avenues, une piste cyclable est dessinée sur les trottoirs. Tout est fait pour favoriser une circulation fluide, rapide et efficace, car les employés viennent de loin.

 

7h. Les moteurs de quelques voitures vrombissent. L’Espace européen s’anime.

Dans la salle de restaurant de l’hôtel Kyriad «Prestige», un homme feuillette des documents. Pascal Hoenn est l’un des trois membres du comité de direction du cabinet Casterot Expertise, spécialisé dans l’automobile. Toutes les deux semaines, il organise une réunion matinale dans le bar de l’hôtel avec ses deux associés. « Nous venons d’Haguenau, de Brumath et de Molsheim, notre entreprise est à Souffelweyersheim, l’Espace européen est un bon point de rendez-vous. » La facilité d’accès et la desserte de l’autoroute sont des atouts appréciés. « Lorsque je suis arrivé en Alsace il y a 15 ans, j’ai été très surpris qu’il n’y ait aucun quartier d’affaires dans l’agglomération strasbourgeoise », explique le businessman. Pour en avoir discuté avec son entourage professionnel, Pascal assure que, dans les années 2000, « personne n’y croyait ». A tort. L’Espace européen de l’entreprise est « un endroit adapté, qui répond désormais à la logique d’un quartier d’affaires. »

 

Un bémol cependant. « Pour manger, il n’y a pas grand chose ». Pour 530 entreprises, une petite dizaine de restaurants est implantée dans la zone. Alors, pour se restaurer, « il vaut mieux aller dans les villes alentours », suggère Pascal Hoenn.

 

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Autour du plan d'eau, qui fait le bonheur des joggeurs, le restaurant Côté Lac. Haut de gamme (30 à 50 euros le repas), il fait partie de la dizaine d'établissements permettant de déjeuner sur le site.          

 

8h. Début de la journée à la crèche inter-entreprises « Les petites étoiles ». Dans le sas d'entrée, les parents se déchaussent et enfilent les larges chaussettes de rigueur, déposées dans une panière. Depuis 2011, l'établissement accueille la progéniture des employés des entreprises de l'E3. Aujourd'hui, une quinzaine de sociétés de la zone d'activités cotisent pour offrir des places de garderie à leurs salariés. Sur 50 places, environ une quarantaine est occupée par des enfants dont les parents travaillent sur l'espace. Toutefois, Léo & Léa, entreprise spécialisée dans les crèches inter-entreprises, à l'origine de celle de Schiltigheim, travaille aussi en collaboration avec des municipalités proches.

 

9h15. Une fois les bambins déposés et les pleurs calmés, Armelle Kerampran, chargée du développement de Léo & Léa, décrit le fonctionnement des lieux.

 

 

Cronenbourg, Pfulgriesheim, Schiltigheim… La provenance des familles est très variée. En partie en raison du positionnement géographique de l'E3. « Je viens de Cronenbourg, c'est à cinq minutes en voiture, donc c'est hyper pratique », juge Pierre-Yves Corre, employé chez Sogeti, une entreprise numérique basée sur la zone. Une situation quasiment identique à celle de Camille Pernaud, jeune maman, salariée dans un cabinet comptable, hébergé dans le bâtiment voisin. Depuis septembre dernier, elle conduit depuis Pfulgriesheim ses deux jumeaux à la crèche. Un trajet de cinq minutes, le standard semble-t-il.

 

Fanny Aron, elle, est plutôt une adepte du vélo. Cette puéricultrice de 25 ans travaille depuis deux ans aux « Petites étoiles ».

 

 

Autre particularité de la jeune femme : elle fait partie des rares habitants de Schiltigheim à travailler sur l'E3. En effet, seulement 5% de la main d'oeuvre de la zone d'activités est originaire de la cité des brasseurs.

 

10h30. Comment rejoindre le centre-ville de Schiltigheim en bus ? Pas si simple. Le bus 70 qui dessert Bischheim, à 20 minutes du centre-ville de Schilick ou la ligne 50, dont l’arrêt le plus proche est à dix minutes à pied du Crystal Park ? La deuxième option conduit au « Far West », surnom du quartier du Mont des Alouettes et de la proche cité cheminote. Un lieu déconnecté du reste de Schiltigheim. « Ce quartier est coupé de la ville, déplore Rodolphe Mathus, PDG de la société d'économie mixte (SEM) qui administre l'E3. Il faut qu'on en améliore l'accessibilité. La ligne G n'y passe pas et c'est un peu dommage. » La future navette de Schilick, en circulation le 6 décembre, ne desservira, elle, pas l'Espace européen.

 

13h15. Rendez-vous pour le déjeuner avec Rodolphe Mathus dans un restaurant japonais du Crystal Park. Le PDG de la SEM de l'E3 et adjoint au maire de Schiltigheim depuis le printemps 2014 regrette que l'E3 n'amène pas grand-chose à sa ville, si ce n'est en termes d'image. Il explique que la suppression de la taxe professionnelle n'a pas été une bonne opération pour Schiltigheim. Toute nouvelle entreprise qui s'installe à l'Espace européen de l'entreprise rapporte de l'argent à l'Eurométropole mais rien à la ville. Le problème est flagrant également en matière d'emploi. « Seulement 5% de ceux qui travaillent ici viennent de Schilik, explique l'élu, j’ai fait plusieurs réunions avec les chefs d’entreprises pour les convaincre de se tourner d’abord vers notre ville pour embaucher. »

 

Au-delà des 9000 salariés qui travaillent dans la zone, l'Espace européen accueille également un campus de près de 1500 étudiants, avec l'IUT Louis Pasteur, l'Ecole de chimie, une école d'ingénieur et le lycée Charles de Foucauld, qui s'est installé à l'E3 en 1995. Les problématiques de l'accessibilité et des liens avec la ville se posent avec la même acuité pour cette population.

15h10. Le lycée Charles de Foucauld est un établissement catholique sous contrat avec l'Etat. On y apprend les métiers de bouche et de l'industrie. Dans le hall, la sonnerie résonne trois fois. Une vague d'élèves déferle et se dirige vers les salles de cours dans un brouhaha général.

 

15h30. A la sortie de l'établissement, trois lycéens attendent à l'arrêt de bus. Ils n'habitent pas Schilitigheim et, pour eux, venir au lycée n'est pas si aisé. Car si rejoindre l'E3 en voiture est simple, c'est une toute autre histoire quand on vient de loin et qu'on prend les transports en commun. Océane, 17 ans, est en bac pro cuisine. Originaire d'Haguenau, elle se lève tous les matins à 5h pour prendre le train de 6h11. Arrivée à Strasbourg, elle emprunte la ligne G pour se rendre à l'Espace européen de l'entreprise. Cela fait trois ans que la lycéenne fait ce parcours quotidiennement : « Je suis habituée maintenant. » Le lycée Charles de Foucauld, « c'est le seul qui m'a accepté », lâche-t-elle. « On y apprend bien. Quand je suis arrivée, je ne savais pas cuisiner, je faisais même brûler mes pâtes. Maintenant, je sais tout faire ! »

Pamela, élève de 3e de 15 ans, est originaire de Brumath. Elle aussi se lève tous les matins à 5h pour commencer les cours à 8h. Elle prend le train de 6h39 jusqu'à Strasbourg puis la ligne G.

Quant à Quentin, en cuisine comme Océane, il vit à Strasbourg. Pour l'adolescent de 17 ans, l'établissement Charles de Foucauld est, « un bon lycée. Même si le meilleur, c'est Alexandre-Dumas. » Quentin a tout de même une heure de trajet, divisée entre le tram A et la ligne G, pour atteindre le lycée. Réveil obligatoire à 6h. « C'est presque une grasse matinée, ça », le taquine Océane.

 

Océane, Pamela et Quentin.

Océane, Pamela et Quentin (de gauche à droite) ont tous au moins une heure de trajet pour se rendre à leur lycée, situé sur l'Espace européen de l'entreprise. 

 

17h. L’Espace européen organisait ses portes ouvertes samedi. Michael Halo, chargé de l’organisation de l’événement, s’occupe de « coaching » et de « team building » à Nova performance, une entreprise de 140 salariés. Concernant les liens avec la ville de Schiltigheim, Michael Halo est catégorique, il n’y en a que très peu, « les personnes qui travaillent là n’associent pas l’Espace à la ville ». Il assure que les portes ouvertes étaient l’occasion de mettre la ville en avant.

 

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Michael Halo, de l'entreprise Nova performance, espère ébaucher un pont entre l'Espace européen et le reste de Schiltigheim.

17h10. Devant la porte de la salle de sport Fit for You, un homme en short et t-shirt retire ses chaussures avant d'entrer. 

Ouvert de 7h30 à 19h30, voire 20h30, Fit for You existe depuis près de 18 mois. « Quand on a ouvert, on s'attendait à ce que les clients viennent de l'E3, mais ils ne sont même pas une majorité », explique Fabrice. C'est à midi et après 17h que la salle connaît des pics d'affluence. « Le lundi et le mercredi sont souvent plus chargés que les autres jours », estime le responsable. 

 

Fabrice

Fabrice est le responsable de Fit for You, la salle de sport de l'E3.

 

17h45. Non loin de l'arrêt de bus « Londres », près du Crystal Park, le trafic routier a augmenté. L'abri de bus, lui, est pris d'assaut par des lycéens encombrés par leurs sacs et leurs malettes de cuisine. L'Espace européen de l'entreprise se vide  peu à peu de sa population.

 

Jérémy Bruno, Hélène Gully, Ismaël Halissat, Benjamin Hourticq et Elodie Troadec

 

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