Fumées blanches

Électrique, hydrogène, biokérosène … Les « carburants propres » apparaissent comme l’une des meilleures solutions pour diminuer la pollution. Ils sont aussi des business florissants qui, comme à Tallinn, ne tiennent pas toujours leurs promesses.

En Estonie, la voiture électrique à l’arrêt

Une trentaine de bornes de recharge rapide pour voitures électriques sont installées à Tallinn, ici sur le port. / Clément Gauvin

En 2013, l’Estonie s’est doté du réseau de recharge de voitures électriques le plus dense au monde. Six ans plus tard, les ventes de véhicules n’ont toujours pas décollé.

Les bornes de recharge de voitures électriques sont vides. Nichées au fond d’un parking du port de Tallinn en Estonie, où mouillent les navires de croisières. Elles sont vides comme celles qui se situent au pied des grands buildings du quartier Südalinn ou vers les immeubles résidentiels du sud de la ville.

On en compte une trentaine dans la capitale estonienne, presque toutes inutilisées car obsolètes. Le réseau de recharge fonctionne suivant les normes japonaises. Et pour cause : les prises nippones ne sont plus adaptées aux habitudes des quelques Estoniens qui possèdent une voiture électrique, plus souvent européenne. « Lorsque nous avons installé ces prises, seules les japonaises existaient, justifie le directeur de l’organisation de recherche environnementale Stockholm Environment Institute (SEI), Lauri Tammiste, qui a participé à l’installation des bornes lorsqu’il travaillait au ministère de l’Énergie. Les constructeurs européens avaient un ou deux ans de retard, le système européen de recharge n’était pas encore développé. »

Car c’est avec l’aide du Japon que le réseau, baptisé ELMO comme « électromobilité », a été inauguré en 2013. En échange, le petit pays balte vend sur le marché du carbone son surplus de quotas de CO2 au gouvernement nippon. Des droits à émettre hérités de l’industrie soviétique et souvent donc supérieurs aux émissions actuelles de l’Estonie.

Des aides financières à l’achat

En échange de cet excédent, Tokyo propose à Tallinn d’ investir dans les carburants propres via un réseau de recharge électrique rapide. C’est ainsi que l’Estonie installe une borne tous les 60 kilomètres et devient le réseau le plus dense du monde.

À l’époque, le marché comprend aussi la livraison de 507 Mitsubishi i-Miev destinées aux travailleurs sociaux et aux collectivités locales. Les petites citadines bleues et blanches peuplent, encore aujourd’hui, les parkings des ministères dans le centre historique de Tallinn. Un peu poussiéreuses, alignées le long des murs et immobiles. En 2013, le gouvernement crée aussi une subvention pour les particuliers qui couvre la moitié du coût d’une voiture neuve. Un peu plus de 1 000 véhicules électriques entrent alors en circulation, mais l’aide à l’achat prend fin au bout de quelques mois.

Six ans plus tard, l’Estonie renouvelle l’expérience. Le ministère de l’Environnement lance une nouvelle aide à l’achat de voitures électriques. Là encore, grâce à la vente de ses droits à émettre. Le gouvernement injecte 1,2 million d’euros dans le programme qui financera 240 voitures à hauteur de 5 000 € par véhicule. « Cette subvention vise les particuliers mais aussi les entreprises qui utilisent de façon intensive la voiture en ville, comme les taxis », détaille Getlyn Denks, directrice du département climat du ministère de l’Environnement.  Avec cette mesure, Tallinn espère raviver l’intérêt des Estoniens pour la voiture électrique.

Surtout que le réseau va être modernisé. Une société privée pose actuellement une vingtaine de nouvelles bornes dans le pays. Elles vont s’ajouter à celles prévues par MEGA-E, un réseau de stations de recharge électrique construit par une entreprise néerlandaise. Les 146 millions d’euros que coûte MEGA-E sont cofinancés à 20 % par la Commission européenne.

Trois voitures électriques vendues en octobre

Reste que les concessionnaires peinent à vendre des voitures électriques : sur 2050 automobiles neuves vendues dans le pays au mois d’octobre, seules trois roulent à l’électrique. Car, à la défaillance du réseau public s’ajoute l’impossibilité de charger les voitures à domicile. Ce qui est loin d’être un détail puisqu’une partie de la population vit dans des bâtiments hérités de l’époque soviétique, dans lesquels le réseau électrique ne permet pas de poser des bornes de recharge. Peu d’immeubles, même récents, peuvent accueillir les installations nécessaires, qui restent de toute façon trop coûteuses pour la plupart des Estoniens.

Une situation qui retarde le passage de l’Estonie aux transports zéro carbone. D’autant plus que les voitures électriques ne sont pas aussi écolos qu’elles le paraissent. Le pays fabrique l’une des électricités les plus sales en Europe. Près de 80 % de la production est issue des énergies fossiles, dont une large majorité du schiste bitumeux. Une nouvelle centrale de ce type a été construite en 2015. La faible part d’énergie verte se partage entre les fermes éoliennes et les importations depuis la Finlande et la Norvège. « Nous essayons de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles. Nous avons fermé des centrales de schiste bitumeux cette année, la totalité sera fermée d’ici 2040 », assure Getlyn Denks. Plus qu’un souci écologique, réduire ses émissions est devenu indispensable pour éviter les réprimandes financières de l’Union européenne.

Au Viru Keskus, le centre commercial du centre de la ville, les bornes de recharge sont indiquées dans l’ascenseur. Dernier étage du parking, à droite. Les places sont réservées à ceux qui voudraient recharger leurs véhicules. Elles sont inoccupées car les quelques voitures électriques garées sur le parking sont européennes. Et, encore une fois ici, les bornes semblent inutiles.

Judith Barbe et Clément Gauvin, à Tallinn

 

Le réveil tardif de la batterie européenne

La Commission européenne a autorisé lundi 9 décembre sept États membres, dont l’Allemagne, la France et l’Italie, à investir dans la création d’une filière européenne de la batterie électrique. L’objectif est de contrer la mainmise chinoise sur le secteur. L'aide publique s’élève à 3,2 milliards d’euros. Elle devrait engendrer la mobilisation de 5 milliards d’euros grâce à la participation de 17 entreprises européennes, dont le constructeur automobile BMW ou les chimistes BASF et le belge Solvay.

Des mesures qui laissent perplexe Bertrand Joubert, directeur général de Symbio, équipementier en piles à hydrogène : « L’investissement est-il suffisant vu l’avance prise par l’Asie dans le domaine ? »

Sophie Piéplu, à Bruxelles

Les belles promesses de l'hydrogène

De nombreux investisseurs misent sur l’hydrogène, qui présente de sérieux atouts dans le domaine des transports. Reste à mailler le territoire de stations de recharge et à rendre sa production plus vertueuse.

Partenaire d'Air Liquide, la société Hype fait rouler 100 taxis à l´hydrogène dans toute la capitale. / Marine Godelier

Les taxis Hype, peints aux couleurs d’un ciel dégagé, accrochent le regard. Une centaine de ces véhicules circulent dans les rues de la capitale, sans émettre de gaz nocifs. Une flotte qui sera multipliée par six d’ici fin 2020, assure le fondateur de la compagnie Mathieu Gardies. « À Paris, les taxis et VTC polluent toute la journée, regrette-t-il. Il faut trouver des solutions rapides. » Sous la carrosserie, un moteur électrique alimenté par une petite batterie, mais surtout de l’hydrogène sous forme gazeuse. Stocké dans un réservoir, celui-ci se combine avec l’oxygène de l’air dans une pile à combustible. Et se transforme en électricité, en ne rejetant que de la vapeur d’eau. « Il y a un impact positif direct sur l’environnement, sans contrainte supplémentaire pour le chauffeur », explique l’entrepreneur.

La filière est lancée

Qualifié d’« énergie du futur » par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’hydrogène agite de nombreux scientifiques et industriels. En juin 2018, Nicolas Hulot a présenté un plan ambitieux pour son déploiement : 100 millions d’euros par an pendant cinq ans pour « faire de la France un leader mondial ». Depuis, les constructeurs eux-mêmes tournent la tête vers cette solution « zéro émission ». PSA a ainsi annoncé en mars l’arrivée sur le marché de premiers véhicules à pile d’ici 2021. En novembre, Renault s’est lancé à son tour.

La technologie présente de nombreux avantages. L’hydrogène est présent partout sur Terre, notamment dans l’eau. Dans les voitures, le réservoir qui le contient, beaucoup plus léger qu’une batterie, permet une autonomie comparable à celle des véhicules thermiques. Surtout, exit la recharge en plusieurs heures, qui rebute tant de consommateurs de l’électrique : l’automobile fait le plein en quelques minutes seulement. « On retrouve tous les atouts de la batterie mais avec le confort et les modalités d’usage au quotidien des véhicules à essence », vante Bertrand Joubert, directeur général de Symbio, qui fournit des kits de piles à combustible aux constructeurs.

Des freins conséquents

Mais de nombreux obstacles entravent le développement de la technique dans les transports. L’hydrogène reste par exemple difficile à stocker. Il prend beaucoup de place, il faut donc le comprimer. Le procédé n’est pas complexe mais présente des limites : « Le gaz ainsi capturé est hautement inflammable et il y a une perte en énergie due à la pression », explique Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS. Surtout, la technologie est encore trop chère. Pour réduire son coût, la production doit se massifier. Mais pour cela, le consommateur doit pouvoir alimenter facilement son réservoir. Aujourd’hui, il existe moins de 30 stations-services à hydrogène en France, dont une seule dans la capitale. « Sans possibilité de recharge, pas de véhicules, et inversement », regrette Daniel Hissel, directeur de la Fédération de recherche sur la pile à combustible FCLAB du CNRS. Mais l’ingénieur se veut optimiste : « On concentre d’abord les stations autour des flottes captives, pour des bus ou des services de livraison par exemple. Puis cela fera boule de neige. » En région parisienne, Mathieu Gardies promet un meilleur réseau d’ici l’année prochaine pour alimenter les taxis Hype, mais aussi, « à terme, répondre aux besoins des particuliers. »

« Sans possibilité de recharge, pas de véhicules, et inversement »

Les partisans de la filière s’accordent sur un point : l’avenir n’appartient ni à la batterie seule, ni à l’hydrogène. Il sera hybride, pour répondre à toutes les pratiques. « La batterie est adaptée aux trajets courts, urbains ; l’hydrogène aux longues distances, aux usages soutenus et aux véhicules lourds », explique le chercheur Michel Latroche. « Un camion qui doit parcourir des centaines de kilomètres ne peut pas rouler uniquement à la batterie ou bien il ne transporterait que ça ! », s’amuse-t-il. « Il faut mettre le cap sur les deux technologies parce qu’elles sont complémentaires », enchérit Bertrand Joubert. Et ne pas rater le coche.

Marine Godelier, à Paris

 

Le transport aérien à la recherche d’un carburant propre

Responsable de près de 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, le transport aérien doit faire face à un défi environnemental immense. Le biocarburant pourrait être une solution.

Air France l’a annoncé début décembre : la compagnie s’apprête à lancer son premier vol long-courrier au départ de San Francisco alimenté (en partie) au biokérosène. Un carburant vert issu majoritairement des déchets végétaux et alimentaires de l’agro-industrie et qui permet de réduire jusqu’à 80 % les rejets de CO2. Le transport aérien, responsable de près de 2 % des gaz à effet de serre dans le monde, s’est engagé à réduire ses émissions de moitié d’ici 2050 alors que le trafic dans les airs connaît une croissance exponentielle et pourrait avoir triplé dans 30 ans.

Le biocarburant, dans cette ambitieuse transition, paraît être la seule solution crédible puisqu’elle utilise la technologie de propulsion actuelle du moteur thermique, les autres (hydrogène et électrique) n’étant qu’à leur balbutiement. De plus, une large partie des avions, qui ont une durée de vie de 30 à 40 ans, seront encore en service en 2050.

 Le biokérosène coûte cher

Mais le principal obstacle réside dans le coût de production du biokérosène qui nécessite une chimie très lourde pour retrouver les mêmes propriétés que le kérosène. « Le coût de carburant compte pour 20 à 25 % du prix que paie un passager pour son billet. Le basculement vers le biokérosène, bien plus cher, ne peut se faire qu’avec une politique qui soutient et impose le carburant vert », souligne Paul Colonna, chercheur à l’Inra. 

La filière du biocarburant aéronautique aurait besoin aussi de plus d’infrastructures.  Aujourd’hui, seuls cinq aéroports offrent la possibilité de faire le plein de biokérosène : Los Angeles et San Francisco aux États-Unis et Oslo, Stockholm et Bergen (Norvège) en Europe. Résultat : l’utilisation des biocarburants reste confidentielle dans la filière (0,01 % de la consommation) et ne devrait pas atteindre plus de 2 % en 2025 selon l’AITA (Association internationale du transport aérien).

Certains s’inquiètent aussi de la mise en concurrence de la surface agricole dédiée à la production de biocarburant avec l’alimentaire ou encore la forêt. D’où la nécessité de développer ce qu’on appelle désormais les « biocarburants avancés », issus des déchets de l’agro-industrie, d’algues ou de fermentation microbienne. Mais l’état actuel de la recherche ne permet pas, pour certains, une exploitation industrielle.

Le soutien des États et de l’Union européenne à la mise en place d’une fiscalité, ou même simplement d’abord d’une réglementation, est donc indispensable. Mais si la ministre des Transports Élisabeth Borne a annoncé discrètement en juin dernier réfléchir à un taux obligatoire d’incorporation de biocarburant dans le moteur des avions, cela ne semble pas être, pour l’heure, la priorité des gouvernements.

Mayeul Aldebert, à Paris