Votre colis est sur le point d’atterrir

Les routes sont saturées, les commandes ne désemplissent pas : il est temps de livrer autrement. Réseaux souterrains en Suisse, vélos cargos et bateaux électriques dans les villes, drones au dessus de nos têtes... Le fret du futur s’invente maintenant.

Livraisons en profondeur

D’ici 2030, en Suisse, le fret pourrait emprunter un tunnel sous les Alpes pour réduire le trafic et la pollution en surface. 

50 mètres sous terre, un petit wagon chargé de quatre palettes de yaourt roule à travers un tunnel. Plus de 180 kilos de produits laitiers lancés, sans conducteur, à 30 km/h. À son arrivée à sa destination, la marchandise est remontée à la surface par un ascenseur, puis chargée sur un camion électrique qui l’apporte directement dans un supermarché du centre-ville de Zurich.

Une vision lointaine ? Pas si sûr. En 2030, 6 000 premiers wagons comme celui-ci pourraient rouler dans un tunnel entre Zurich et Härkingen-Niederbipp, à 70 kilomètres de là. Cargo Sous Terrain, la société derrière ce projet, qui emploie huit salariés à plein temps, veut créer un système logistique pour le transport de marchandises de petite taille. Un réseau de tunnels relierait les sites de production à des plateformes logistiques.

Dans les wagons, il y de la place pour au maximum quatre palettes (vue d'artiste). / Cargo Sous Terrain

« Nous livrerons 24 heures sur 24, il n'y aura pas d'embouteillage dans notre tunnel. Nous offrirons donc aux destinataires une livraison juste à temps », s’enthousiasme la vice-présidente de la société Stefanie Noser, yeux bleu azur et blazer noir. Objectif principal de l’entreprise : réduire le fret routier et ses émissions de carbone. L’entrepreneuse promet aussi une réduction du bruit de 50 % dans les villes et de 40 % du trafic lourd sur les routes nationales. Autre avantage de ce système : grâce aux petits wagons, plus besoin d’attendre qu’un camion entier soit plein avant de démarrer les livraisons. 

Pour autant, Cargo Sous Terrain n’entend pas être un concurrent pour le trafic de marchandises actuel, mais plutôt un complément du système existant. Un système qui  s’illustre aujourd’hui par des kilomètres d'embouteillages quotidiens, retardant les livraisons. Des difficultés qui devraient encore augmenter à l’avenir, puisque d’après certaines prévisions, le transport de marchandises devrait augmenter de 37 % d’ici 2040. Et ce alors que le potentiel du chemin de fer suisse est restreint. « Dans ce contexte, nous devons imaginer d’autres options pour le transport de fret », insiste Michael Müller, porte-parole de l’Office fédéral des transports. Ce responsable évoque par exemple la nécessité de développer des camions électriques, des véhicules autonomes ou un système comme le cargo sous-terrain. 

Au centre de recherche allemand Frauenhofer Institut, le directeur du groupe de travail sur l’évolution des mobilités porte également un regard favorable sur le projet suisse. « Le cargo sous-terrain présente surtout l’avantage d’être automatique », explique-t-il. Une caractéristique qui viendrait combler le problème du manque de personnel rencontré par les entreprises de camions de transport.

Pour autant, tout le monde n’est pas convaincu du système de transport sous-terrain. « Pourquoi investir plusieurs milliards d'euros dans une nouvelle infrastructure si on peut élargir celles déjà existantes ? », s’interroge par exemple Ueli Stückelberger. Le président de l’Union des transports publics suisses, cheveux grisonnants, apparaît décontracté. Il fait partie de ceux qui croient encore en la capacité du rail. « En Suisse, personne ne pense que le Cargo Sous Terrain se concrétisera, mais nous sommes les seuls à le dire publiquement », affirme ce quinquagénaire qui représente notamment 130 entreprises de transport. « Il est toujours plus sexy de développer un nouveau système. Mais un de nos plus grands défis aujourd’hui est le manque de place. Il n’y a pas assez d’espace pour une nouvelle infrastructure », ajoute-t-il. 

À ses yeux, les solutions sont simples : rallonger les trains et augmenter leur fréquence pendant la nuit. De leur côté, la Confédération et les Chemins de fer fédéraux suisses comptent d’ailleurs étendre le réseau ferroviaire suisse d'ici 2035. 

L’initiative des Alpes


La loi sur « l’initiative des Alpes », adoptée en 1994, prévoit de restreindre le transit routier à travers les Alpes suisses. Mais l’objectif de faire passer le nombre de camions de 1,4 million en 2000 à 650 000 en 2018 n’a jamais été atteint.

Le pays est l’un de ceux qui possèdent la plus forte densité de lignes de trains en Europe.

Le Cargo Sous Terrain verra-t-il le jour ? La réponse dépend désormais du gouvernement suisse et de sa future loi sur les transports souterrains de marchandises. Et de la capacité à financer le projet. Stefanie Noser assure avoir plus de 60 investisseurs prêts à s’embarquer dans son aventure. La somme nécessaire est colossale : plus de 10 milliards d'euros.

crédits : La Poste, KurierZentrale et Fludis

Mayeul Aldebert, à Paris, Mia Bucher, à Bâle et Berne