Jeu de lois européen

Pour améliorer la qualité de l’air, l’Union européenne tarde à prendre des mesures concrètes. Certaines villes décident de prendre le problème à bras le corps et mettent en place leurs propres solutions… au risque de dérouter les conducteurs.

Des ZFE à géométrie variable

Depuis plusieurs années, elles fleurissent dans toute l’Europe, chacune imposant ses propres restrictions de circulation... Les zones à faibles émissions (ZFE) illustrent le manque d’harmonisation européenne en matière de transports urbains.

Une voiture et un nuage de fumée dans un cercle rouge : le panneau est petit, mais il implique de grandes restrictions. Aux portes de Bruxelles, la mise en place d’une zone à faibles émissions (ZFE) le 1er janvier 2018 vise aujourd’hui l’interdiction de circuler de 19 000 véhicules. Il s’agit des plus polluants, les diesel sans normes ou aux normes Euro 0, 1 ou 2, ainsi que les essence avec la norme Euro 0 et 1. Au 1er janvier 2020, les diesel de norme Euro 3 seront eux aussi forcés de rester en dehors du périmètre en question. 40 000 véhicules seront alors concernés par la mesure.

« Il y a eu une directive européenne sur la qualité de l’air en 2008, nous étions en infraction. Un plan air climat énergie a été instauré par l’État », détaille Magali Henrard, en charge de la communication à Bruxelles environnement, à la Région de Bruxelles-Capitale. « Et nous avons établi une stratégie pour la région, sur la base de ce que l’Europe demandait de faire. »

Face à l’urgence, les ZFE se multiplient

L’Union européenne a fixé une limite de concentration de dioxyde d’azote NO2  à 40 microgrammes par m3 d'air, afin de lutter contre les effets de la pollution. Cette dernière provoque la mort de 650 000 personnes par an en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Nous sommes dans une urgence absolue », alerte Karima Delli, présidente Verts/ALE de la commission des transports du Parlement européen. La ZFE peut être l’une des solutions. Il s’agit d’un outil réglementaire européen pour améliorer la qualité de l’air. Dans ces zones, l’accès des voitures est défini par leur niveau de pollution et fixé selon les normes Euro. Les plus nocives, correspondant par exemple aux normes Euro 0 et 1, sont peu à peu interdites de circuler dans une zone définie.

En 2018, 13 pays de l’Union ont fait le choix de mettre en place une ou plusieurs ZFE. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en recense 231 sur le continent, dont près de la moitié en Italie. En France, Strasbourg s’apprête à suivre, au 1er janvier 2021, les exemples de Paris et de Grenoble. Un choix justifié selon Thorfinn Stainforth, expert de l’Institut pour une politique environnementale européenne, un think tank indépendant sur les questions écologiques. « De nombreux enjeux en matière de transport, tel que l’entretien du réseau, se règlent sur le plan local. »

Thorfinn Stainforth est en faveur de l'introduction d'une taxe kilométrique sur les transports. / Jérôme Flury

Des divergences sources d’inégalités

Mais la grande variété des ZFE illustre un problème majeur auquel est confrontée l’Union européenne : l’absence d’harmonisation des législations. Thorfinn Stainforth l’explique par la grande diversité des systèmes politiques, des cultures et des économies des États membres. Pourtant, le domaine du transport, par définition, dépasse les frontières.

Selon les régions où elles se situent, les ZFE ne concernent donc pas les mêmes véhicules et n’entraînent pas les mêmes amendes. Même en Belgique, les deux zones établies ne sont pas similaires. « Pour Bruxelles, nous nous sommes inspirés de ce qui est mis en place à Anvers afin de ne pas perturber les automobilistes, avance Magali Henrard. Mais il y a des différences, puisque celle d’Anvers intègre les camions, contrairement à Bruxelles, où ces derniers payent déjà une taxe régionale. »

L’interdiction de circuler établie pour certains véhicules peut également entraîner des inégalités. « Certaines personnes n’ont pas d’autre choix que de prendre leur véhicule. Ce ne sont pas eux les grands responsables », affirme l’eurodéputée Karima Delli. La mise en place de ZFE devrait ainsi aller de pair avec le développement des transports en commun afin de ne pas pénaliser ces citoyens. « Il faut faire comprendre aux populations que ce ne sont pas à elles de payer le prix », glisse pour sa part Thorfinn Stainforth.

Magali Henrard a préparé une campagne de communication à destination des pays limitrophes à propos de la ZFE de Bruxelles. / Jérôme Flury

Une solution claire n’a pas émergé à l’échelle de l’Union et des problèmes se sont posés concernant l’application des règles communautaires. La Commission européenne s’est jusqu’alors montrée peu ferme avec les États membres. La Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France le 24 octobre 2019, comme la Bulgarie ou la Pologne avant elle, pour dépassement répété des limites d’émissions autorisées. Mais aucune sanction financière n’a été prononcée.

Désormais, une nouvelle Commission est en place depuis le 1er décembre 2019 et a fait de l’enjeu climatique une priorité. Reste à voir si le Green deal, une mise en avant du climat dans les politiques publiques européennes avec pour objectif final d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, relèvera le défi et permettra d’harmoniser les politiques locales. Au Parlement européen, Karima Delli souligne cette nécessité d’agir. « On ne peut pas se contenter d'avoir des objectifs. Ceux pris dans l'accord de Paris sont très très jolis, mais aucun pays de l'Union européenne ne les respecte. » Désormais, les pays ne se conformant pas aux normes devront en payer le prix. « Il n’est pas normal qu'aujourd’hui 20 pays sur 28 ne respectent pas la directive qualité de l’air. L’Europe ne sera leader du climat que si elle est cohérente entre ses actes et ses paroles. »

Jérôme Flury, à Bruxelles

 

« Le dispositif nous est apparu inéluctable » 

Récemment pointée du doigt par l’ONG Greenpeace concernant la qualité de l’air, la municipalité de Strasbourg va mettre en place une zone à faibles émissions (ZFE) dès le 1er janvier 2021. Une mesure détaillée par Christel Kohler, adjointe en charge de la mise en œuvre du plan climat pour la capitale alsacienne.

Pourquoi avoir décidé de mettre en place une zone à faibles émissions à Strasbourg ? 

Le dispositif vise à interdire la circulation des véhicules polluants en ville en fonction des vignettes Crit’Air. Il y aura six vignettes, attribuées en fonction du niveau de pollution. Au 1er janvier 2021, les véhicules sans vignette ne pourront plus circuler en ville sous peine d’une amende de 68 euros. Puis tous les ans, jusqu’en 2025, l’interdiction sera étendue à de plus en plus de voitures. Il faut des mesures beaucoup plus prohibitives et coercitives pour inciter une grande partie de nos concitoyens à revoir leurs modes de mobilité. Le dispositif nous est apparu comme inéluctable.

Qui va être concerné par les interdictions de circulation ? 

Les voitures les plus concernées seront les deuxièmes véhicules des ménages, ceux qu’ils utilisent peu et qui sont plus anciens, mais aussi, malheureusement, ceux des ménages les plus démunis. Des mesures d’accompagnement (pass mobilité, aide à l’achat, conseils) pour orienter les Strasbourgeois vers les meilleurs types de déplacement à privilégier vont être mis en place.  

Comment comptez-vous faire respecter cette zone à faibles émissions ? 

En ville, il s’agira d’un contrôle visuel, c’est-à-dire par des agents de police assermentés sur le terrain. Concernant une portion de l’A35, qui sera aussi dans la ZFE, l’État nous a promis de mettre en place, d’ici 2021, des caméras de lecture de plaques d’immatriculation qui seront en mesure de déterminer si le véhicule est en règle ou non. 

Propos recueillis par Nicolas Robertson

Nombre de ZFE dans chaque pays. Infographie par Jérôme Flury