La tache carbone

Cachez cette pollution que je ne saurais voir. Il devient de plus en plus honteux de rejeter du CO2. Certains cherchent à apaiser leur conscience, d’autres se contentent d’un ravalement de façade pour verdir leur image.

Flightshaming : turbulences sur l’aviation

Lancée en 2019, la campagne de Flightshaming Flight Free connaît un certain succès en Suède. De quoi inquiéter les compagnies aériennes qui consentent à quelques efforts.

Les voyageurs européens sont à l'origine de 25 % du trafic aérien. / Jérôme Flury

Garder les pieds sur terre : c’est l’engagement qu’ont pris plus de 100 000 Suédois en rejoignant la campagne Flight Free 2019. À l’origine du boycott, l’organisation We stay on the Ground, qui veut « sensibiliser le public à l’impact des vols sur le climat et travailler à la réduction des voyages aériens ». La campagne est devenue un mouvement et a donné naissance à un néologisme en suédois : le Flygskam. Devenu Flightshame en anglais - comprendre « honte de prendre l’avion » - il désigne de façon plus large les critiques envers le secteur aérien.

Pour ses détracteurs, l’avion est d’abord trop polluant, car responsable de 2 % à 3 % des émissions mondiales de CO2. Au niveau individuel, il est le mode de transport le plus polluant par trajet. Il est par ailleurs rarement indispensable. En France, la moitié des vols sont des voyages de loisirs, selon une enquête de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC). La même étude souligne le caractère inégalitaire de l’avion : 46 % des voyageurs sont des cadres moyens ou supérieurs, pour seulement 2 % d’ouvriers.

Succès de la campagne

Le mouvement suédois a fait boule de neige. Les hashtags #flygskam, #flightshame, #slowtravel fleurissent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Les mouvements écologistes multiplient les actions, comme Extinction Rebellion qui, en novembre dernier, a bloqué le terminal des jets privés de l’aéroport de Genève. Figure de proue des Jeunes pour le climat, la Suédoise Greta Thunberg a quant à elle décidé cet été de traverser l’Atlantique en voilier pour éviter de prendre l’avion.

Reconduite en 2020, la campagne Flight Free s’étend aujourd’hui à cinq autres pays européens : la France, le Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne et la Slovénie. Pour Maja Rosén, son instigatrice, le Flygskam fonctionne : « En Suède, on a très vite observé une baisse des transports domestiques et une augmentation des voyages en train. Je suis persuadée qu’en montrant aux gens que c’est un acte réalisable, les décisions politiques suivront. »  De fait, en 2019, Swedavaia AB, opérateur de dix aéroports suédois, a annoncé une baisse de 11 % des vols domestiques, et de 4,4 % du nombre de passagers. Dans le même temps, la compagnie ferroviaire nationale Statens Järnvägar a enregistré des records de fréquentation.

Le secteur s’inquiète

A l’échelle européenne, le secteur aérien reste en excellente santé. En 2018, 1,1 milliard de passagers ont voyagé en avion dans l'Union européenne, soit une hausse de 43 % par rapport à 2010, selon Eurostat. Néanmoins, les compagnies aériennes prennent au sérieux la menace du phénomène Flygskam. Interrogé sur le sujet en mai 2019, Alexandre de Juniac, ex-patron d’Air France et directeur général de l’Association internationale du transport aérien (AITA), s'est ainsi inquiété de voir une partie des voyageurs s’éloigner de l’avion.

Mais il a tenu à souligner les efforts des compagnies aériennes. Comme par exemple Corsia, le programme international de compensation et de réduction de carbone qui devrait entrer en vigueur en 2021. Le projet promet de dédommager les effets des émissions de carbone par la plantation d’arbres. Sans attendre, Air France a déjà annoncé qu’elle compensera 100 % de ses émissions sur les vols domestiques à partir du 1er janvier 2020. EasyJet s’est quant à elle engagée à atteindre la neutralité sur tous ses vols. Mais les systèmes de compensation carbone restent décriés. Les associations de protection de l’environnement dénoncent notamment son hypocrisie et son inefficacité.

Elles avancent une autre solution pour limiter les dommages des émissions de l'aviation : une taxe sur le kérosène. En Europe, l’idée est régulièrement évoquée mais peine à convaincre. D’autant plus qu’elle est en contradiction avec la convention de Chicago qui, depuis 1947, interdit formellement une telle disposition.

Un effet à relativiser

Si le Flightshaming a pu avoir un impact en Suède et inquiète les compagnies aériennes, Philippe Hamman invite à relativiser les effets de ce type de campagne. Pour le professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, auteur du livre « Gouvernance et développement durable », le shaming et les campagnes de boycott sont des actions individuelles qui ne peuvent suffire : « Cela tend à déplacer la responsabilité vers l’individu et donc potentiellement, à déresponsabiliser tout ce qui est structure. Le "shaming" ne peut pas se faire indépendamment d’un regard plus collectif au niveau des évolutions sociétales. » D’action de niche à révolution des mobilités, la honte de l’avion est encore en transit.

Héloïse Lévêque

 

 

 

 

« Le greenwashing révèle l’insincérité du marketing »

En 2015 éclatait le scandale du Dieselgate qui a révélé la fraude de Volkswagen sur les tests d’émissions de ses moteurs diesel. Florian Silnicki, conseiller en gestion de crise, estime que l’organisation a multiplié les erreurs de communication.

Quelles ont été les conséquences du Dieselgate sur l’image de Volkswagen ?

Volkswagen a d’abord triché en violant l’intégralité des dispositifs légaux des États dans lesquels sont commercialisés ses véhicules. Puis, il a fallu attendre entre six mois et un an pour que l’entreprise réagisse correctement. Une crise est un événement imprévu qui peut remettre en cause ce que j’appelle le « permis social d’exercer ». Or, Volkswagen a coché toutes les cases de ce qu’il ne faut pas faire dans une gestion de crise. Il y a d’abord l’anticipation et la réactivité, puis la transparence et l’empathie qui ont fait défaut à Volkswagen. Enfin vient la mobilisation. Le public n’accepte jamais qu’une organisation anticipe un risque mais ne mette pas tout en œuvre pour éviter sa réalisation. Il n’est pas prêt à pardonner une organisation qui fait semblant de reconnaître une difficulté alors qu’elle a sciemment mis en œuvre un dispositif pour contrer les audits des régulateurs.

Aujourd’hui, comment l’entreprise s’efforce-t-elle de redorer son blason ?

Volkswagen a promis d’être la première marque à renoncer aux moteurs thermiques. Mais dans les faits : elle se contente d’accompagner l’évolution de l’opinion publique sur le sujet. L’organisation ne peut pas prendre cet engagement et en même temps limiter les rappels des véhicules concernés par le Dieselgate. Volkswagen a été accusée de pratiquer du greenwashing, une pratique promouvant une démarche de développement durable déconnectée des faits. Lorsqu’une organisation met en place des systèmes de compensation carbone tout en continuant à polluer, on peut en effet dire qu’il s’agit de greenwashing. Cette pratique révèle l’insincérité du marketing basée sur l'engagement social ou environnemental des marques.

Est-ce efficace ?

Aujourd’hui, il existe une hypersensibilité de l’opinion sur certains sujets, dont les appels lancés aux consommateurs à changer de comportement. Cela a un impact sur la façon dont une organisation est valorisée. D’où l’importance pour les entreprises d’avoir des engagements réels, au lieu de pratiquer du greenwashing. Par ailleurs, Volkswagen se fonde sur un pari marketing qui considère qu’un consommateur reste fidèle, même s’il se sent trompé. C’est le privilège des « marques passion » et c’est le cas de beaucoup de marques de voitures. Mais je crois que c’est un pari à court terme.

Propos recueillis par Héloïse Lévêque

 

 

 

 

 

 

Rhabillé pour le vert

Claironné dans les campagnes publicitaires, l’engagement écologique des entreprises n’est pas toujours suivi d'effets. Florilège des meilleurs ravalement de façade des gros émetteurs de CO2.

Pierre Boudias, Héloïse Lévêque et Nicolas Massol