Vous êtes ici

Frontex saisie de la lutte contre les faux papiers


14 février 2020

Jeudi 13 février, les eurodéputés ont adopté la réforme de la gestion de la lutte contre la fraude documentaire. Elle sera désormais confiée à l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).

 

La lutte contre la fraude documentaire en Europe vient de connaître sa plus importante réforme depuis sa mise en place en 1998. Jeudi 13 février, une écrasante majorité des eurodéputés (592 pour, 33 contre) a donné l’aval au transfert du système FADO (False and Authentic Documents Online) à l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). 

De la coopération à l’intégration 

Le système FADO est un outil de partage des données concernant les documents authentiques et falsifiés. Il doit permettre aux services de police des États membres de disposer d’une base de données enrichie régulièrement, un outil "essentiel à la lutte contre la fraude" selon l'eurodéputé Roberta Metsola (PPE, droite) et rapporteure du règlement au Parlement. FADO est d’autant plus indispensable que le nombre de documents officiels falsifiés en circulation a largement augmenté ces dernières années. Ils sont aussi plus sophistiqués. 

Dans l’ancienne configuration, l’échange des données relevait seulement "de la bonne volonté des États membres", ce qui n’était pas toujours un "gage d’efficacité" pour l’eurodéputé roumain Dragoș Tudorache (Renew Europe, centre libéral). 

Afin de remédier à ces dysfonctionnements, FADO passe "d’un niveau intergouvernemental à un niveau européen". Les informations relatives aux faux documents seront gérées de manière autonome par Frontex, un organe de Bruxelles. Récemment dotée d’un corps permanent de 10 000 garde-côtes, le transfert du FADO "parachève la réforme de Frontex" comme l’a indiqué l'eurodéputé  espagnol Juan Fernando Lopez-Aguilar  (S&D, sociaux-démocrates) lors des débats dans l’hémicycle.

Le choix de Frontex, une décision politique 

Si d’autres options avaient été envisagées, le choix de Frontex est dû au lien établi entre faux papier, immigration et sécurité. "Si FADO avait été confié à Frontex plus tôt, ça aurait pu contribuer à prévenir certaines attaques terroristes", argue

[ Plein écran ]

Sira Rego, rapporteure fictive (eurodéputée espagnole GUE/NGL, extrême-gauche), s'indigant du manque de démocratie de la gouvernance de Frontex. © Léa Giraudeau

[ Plein écran ]

L'eurodéputée maltaise Roberta Metsola (PPE, droite) présentant le rapport discuté en commission parlementaire. © Léa Giraudeau

Dragoș Tudorache. Son collègue tchèque du PPE, Tomáš Zdechovsky, a aussi pointé le lien entre faux papier et immigration lors son intervention : "À la frontière turquo-syrienne, j’ai pu constater qu’une cinquantaine de migrants s’apprêtaient à rejoindre l’Europe avec des faux passeports". Le choix de Frontex pour la gestion du système FADO est le choix de la protection des frontières extérieures de l’espace Schengen.

Mais qu’en sera-t-il des trafics et contrefaçons à l’intérieur des frontières ? Comme le rappelle l’eurodéputé bulgare Emil Radev (PPE, droite), "les faux documents sont utilisés pour le trafic d’armes, d’êtres humains et de véhicules", des activités liées au crime organisé, qui existent au sein de l’Union. Un choix que regrette Saskia Bricmont (eurodéputée belge, Les Verts). "FADO n’est pas un instrument de lutte contre l’immigration mais contre les faux documents en général".

Le texte soulevait certains points de crispation. Notamment la question des données personnelles, condition de ralliement des partis de gauche et du centre. Le texte soumis par la Commission ne mettait pas suffisamment de garde-fous. Le règlement final adopté spécifie donc bien qu’il "ne devrait pas être possible d’extraire ou de rechercher des données personnelles".

Autre point de friction : l’accès au FADO des entreprises privées, notamment les compagnies aériennes. Le texte opte pour un système à plusieurs niveaux avec des accès adaptés en fonction des besoins, afin d’éviter une commercialisation des données.

Si la majorité des députés considère que l’usage de faux documents est entièrement basé sur une intention criminelle, la rapporteure fictive de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, Sira Rego (GUE/NGL, extrême-gauche) souligne que la plupart des personnes recourant à de faux documents le font pour fuir des situations graves et dangereuses (persécutions, guerre, misère). Elle considère qu’un tel système ne peut être mis en place sans prévoir des dispositions précises pour protéger ces personnes.

La GUE dénonce un élément du modèle "d’Europe forteresse"

"Il a été prouvé à maintes reprises que ce genre de mécanisme ne dissuade pas lorsqu’une personne est dans le besoin." Le groupe prône un "modèle de migration légal et sûr".

La vigilance reste de mise

Plusieurs eurodéputés sont restés mesurés au moment du vote, d’autant que la gouvernance et les missions de Frontex sont sujets à débat. Épinglée par la télévision publique allemande pour des atteintes aux droits fondamentaux des migrants, l’Agence de Varsovie fait figure d’épouvantail pour la gauche radicale. Sira Rego déplore l’opacité de Frontex et estime que le FADO aurait dû être confié à une agence sous contrôle démocratique. 

Saskia Bricmont promet que son groupe restera vigilant : "Nous suivrons attentivement la publication des différents actes délégués".

Valentin Bechu et Léa Giraudeau

 

Sommaire plenière février 2020

Imprimer la page