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Face à l'épreuve de la sécheresse, la classe politique indienne affiche sa résistance au changement. La société civile parait, elle, résignée à l'inertie des élus.

La faute à pas de chance. Ou plutôt à la nature. Pour Suresh Gehule, le président du district de Pune, « s'il n'y a plus d'eau dans les barrages à cause des moussons trop faibles, que peut faire le gouvernement ? » Membre du National congress party (NCP), parti au pouvoir dans une coalition avec l'Indian National Congress (INC), Suresh Gehule prévient que « l'an prochain, lors des élections, je dirai que le gouvernement a fait du bon travail, que nous avons augmenté la capacité des réservoirs, créé plus de petits canaux, de barrages, et donné de l'emploi aux paysans démunis ». La critique récurrente selon laquelle il y aurait trop d'eau pour les industries, pas assez pour les citoyens ? Une « thèse conspirationniste » selon lui. 

Caméra cachée

Pour Vijay Paranjpe, économiste environnemental et fondateur de l'ONG Gomukh, la sécheresse actuelle est pourtant le résultat de quatre décennies de politique incohérente, et d'une non-application des lois d'irrigation. Il avance comme preuve de ces  « aberrations » que dans l'Etat du Maharashtra, qui compte le plus grand nombre de barrages de toutes les régions de l'Inde, 60% des eaux sont utilisées à des fins industrielles, et notamment dans la canne à sucre, qui n'occupe pourtant que 3% des terres à irriguer. «L'élite politique contrôle tout, du sucre au système de camions-citernes en passant par la mélasse, s'insurge Vijay Paranjpe. Et je ne vois pas pourquoi le système global changerait puisque la moitié des entreprises appartient aux politiques du NCP, l'autre à ceux du BJP (Bharatiya Janata Party, le parti de l'opposition).» 

Viyaj Paranjpe n'est pas le seul à tempêter contre le comportement des politiques. L'ONG de Vivek Velankar, Alert Citizens Forum, a elle aussi voulu le dénoncer en installant une caméra cachée devant le bâtiment de la PMC (Pune Municipal Corporation). Là où les camions-citernes s'enregistrent et viennent se recharger en eau publique pour la livrer aux frais du contribuable.

Huit livraisons passaient quotidiennement à la trappe: de l'eau non distribuée dans les zones demandeuses, et de l'argent systématiquement « perdu on ne sait où »

« Société polluée » 

« La démocratie indienne nage dans l'hypocrisie, commente le politologue Ajit S. Abhyankar, membre du CPI (Communist Party of India). Et le jeu politique est très éloigné de la réalité de la société. » Membre du parti d'opposition, le BJP, le député Girish Bapat ironise sur cette situation : « Notre société est comme l'eau polluée, il suffit d'en boire un verre pour être contaminé à son tour ». Mais la faute, pour lui, en revient au NCP et aux électeurs « immobiles », qui ont pourtant le droit depuis 2005, grâce la loi sur l'accès à l'information, de consulter les documents de l'administration publique sur simple demande. Lorsque Girish Bapar était, lui, au pouvoir dans le Maharashtra, entre 1995 et 1999, son parti avait, assure-t-il, mis en place « un système d'irrigation bien plus adapté », à base d'abris pour conserver l'eau et de plus petits barrages. 

La réflexion fait sourire Suresh Dhas qui, lui, fait partie de la majorité. Député NCP dans une zone du Maharashtra fortement touchée par la sécheresse, il confie sans sourciller que s'il voulait « vraiment faire en sorte que tout le monde, y compris les populations rurales, ait un accès à l'eau, il faudrait que je change radicalement de politique. Et si je faisais ça, je perdrais les élections. Je préfère donc m’adapter au fonctionnement populiste de notre démocratie. » 

Comment s’étonner dès lors qu’à la veille des élections législatives fédérales de 2014, la population continue de se méfier des déclarations officielles ? Selon Parth Biswas, journaliste environnemental au Loksatta, du groupe de presse The Indian Express, les Indiens sont trop « habitués » à souffrir de la sécheresse pour en faire un thème de campagne : « La saison de la mousson aura passé, et on continuera comme d'habitude. » 

Lara Charmeil

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