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Le quartier musulman du sud-est de Delhi n'est pas approvisionné en eau. Les habitants en achètent aux petits revendeurs locaux sans savoir si elle est potable.

 

Les habitants achètent de l'eau à partir de 15 roupies pour 20 litres. © Geoffrey Livolsi, Raphaël Badache/cuej

A Jamia Nagar, le quartier musulman du sud est de Delhi, les véhicules rudimentaires défilent dans les ruelles. Des triporteurs convoient sans cesse des dizaines de vieux bidons d’eau. Vingt litres chacun, vendus aux habitants de ce quartier pauvre aussi bien pour s’hydrater que pour des usages domestiques. Jamia Nagar, colonie non autorisée, n’est pas approvisionnée par le Daily Jal Board. Seule une quinzaine de personnes, à la tête de petits commerces illégaux, fournit le quartier en eau. Dans un pays où l’économie informelle représente 84 % du PIB, l’approvisionnement en eau relève de la débrouille. La population s’en s’accommode, car elle peut en acheter à des prix défiant toute concurrence, à partir de 15 roupies pour 20 litres. 

Mohammed Reyas est l’un des fournisseurs d’eau de Jamia Nagar. A la tête d’une affaire située au coeur du quartier musulman et dans laquelle six personnes travaillent, cet homme d’une quarantaine d’années aux cheveux grisonnants a investi 300 000 roupies en 2008 dans un système de pompage et de filtrage de l’eau.

Aucun contrôle

La méthode est la suivante : l’eau est pompée dans le sol à douze mètres de profondeur avant de passer dans trois systèmes de filtration censés la purifier totalement. Mohammed Reyas produit ainsi jusqu’à 1 000 litres d’eau par heure, et la vend immédiatement aux habitants du quartier. L’activité est illégale, car une autorisation du gouvernement est nécessaire pour pouvoir puiser l’eau dans les sols de la ville. Et quid de sa qualité ? L’eau extraite des nappes phréatiques n’est soumise à aucun contrôle, alors que les sous-sols de Delhi  sont extrêmement pollués. « Elle est potable et même meilleure en goût que les bouteilles vendues par les entreprises », assure Mohammed, le revendeur, qui gagne 30 000 roupies par mois, de quoi nourrir aisément sa famille. Le discours est différent parmi les consommateurs de cette eau souterraine. « J’achète mon eau dans le quartier parce que je n’ai pas le choix, mais elle a souvent un goût de terre », affirme Mahlia, une habitante de Jamia Nagar. Une partie des propriétaires de puits de Jamia Nagar écoulent leur production à des petits revendeurs. 

 

On les retrouve quelques kilomètres plus au nord, dans le quartier d’affaires de Nehru Place. L’endroit est devenu un haut lieu du marché noir de l’eau en bouteille dans le sud de Delhi, qui connaît chaque été un approvisionnement erratique en eau potable. Une cinquantaine de personnes investit ainsi chaque matin les rues de Nehru Place pour vendre les précieuses bouteilles. En apparence, tout est légal. Des commerçants proposent aux bureaux du quartier des bidons tamponnés de la marque Bisleri ou Aquafina, les leaders indiens de l’eau embouteillée. Mais parmi ces commerçants, des revendeurs peu scrupuleux réutilisent les bidons étiquettés et les remplissent d’eau du robinet, non potable et non-traitée, revendus entre 50 et 70 roupies. Ils sont facilement identifiables à leurs tripoteurs remplis de bouteilles.

Omi Singh, 29 ans, s’approvisionne auprès d’une source privée dans Jamia Nagar.  « J’achète mon eau au prix de 15 roupies les 20 litres et je la revends 25 roupies, explique le jeune homme. Ce sont des gens pauvres qui achètent mon eau, je ne fais pas croire qu’il s’agit de marque. » Pourtant, sur les bouteilles, figure encore l’étiquette Aquafina.

Marché noir

Assis dans sa camionnette, Sudarshan surveille dans son rétroviseur les petites mains qui s’activent à décharger les 80 bouteilles qu’il transporte. Cela fait huit ans qu’il vend de l’eau à Nehru Place. Une petite affaire qu’il a montée après avoir acheté sa camionnette et qui lui permet de gagner entre 500 et 1 000 roupies selon les jours. « Qu’est ce qu’on appelle marché noir ? », s’emporte Sudarshan. « Le fait que je fasse quelques roupies de profit car je ne paye pas de taxes à l’Etat ? Les politiques sont tous corrompus et détournent des millions. Moi je ne fais que quelques roupies de profit. » L’impact de ce système parallèle est « négligeable » pour les industriels de l’eau minérale, selon Vimlendu Jha, président de l’ONG environnementale Swechha. « Ils pensent être dans leur bon droit car le gouvernement n’agit pas assez vite pour améliorer la distribution. » Certaines entreprises ont toutefois décidé de se protéger de la contrefaçon. Leur parade : les mettre sous plastique et les doter d’une pastille de la marque sur les bouchons.

Shanawaz Alam, Raphaël Badache, Manal Naila, Geoffrey Livolsi

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