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Les candidats aux municipales de Schiltigheim promettent tous de faire la chasse aux promoteurs immobiliers, dans la seconde ville la plus densément peuplée de l’Eurométropole. La maire sortante a pourtant autorisé la conversion de certains sites en zones habitables.

Ce sont 610 logements qui doivent être construits sur la friche de l'ancienne brasserie Fischer. Photo Caroline Celle

Sur le site de la friche industrielle Fischer, un grand bâtiment de brique rouge subit les assauts des tractopelles. Les machines assourdissantes balancent des monceaux de gravats du haut des étages, à moitié démolis. Mais les murs porteurs, eux, resteront bien en place. Car l’immeuble doit être rénové pour accueillir un groupe scolaire en 2021. L’ancienne brasserie accueillera pas moins de 610 logements, des commerces et un espace vert. La malterie deviendra même un cinéma.

Fischer, Baltzinger, France Télécom, Caddie… la ville truffée de friches a aujourd’hui la réputation d’être envahie par les projets immobiliers. « Il y a du béton partout, chaque bâtiment qui se vend donne un immeuble ! », ironise Branko Kostovski, un Schilikois. Alors, en pleine campagne municipale, les candidats développent tous une rhétorique anti-béton. Christian Ball, des Républicains, a inscrit dans son programme la fin de « toute promotion immobilière », tandis que Hélène Hollederer, investie par LREM, refuse de « laisser construire des immeubles dans tous les espaces disponibles ».

La maire et les associations s'écharpent sur la bataille Fischer

À la tête de la mairie depuis deux ans, l’écologiste Danielle Dambach est sans doute celle qui porte le plus haut l’étendard anti-béton. L’actuelle maire affirme avoir freiné le projet immobilier de l’ancien site industriel Caddie, préservé le parc de l’Aar des constructions et baissé le nombre de logements sur le terrain Fischer.

Danielle Dambach a été élue dans un contexte de grande tension schilikoise autour de la bétonisation. En 2018, 15 membres du conseil municipal ont démissionné pour s’opposer à la politique intense du maire Jean-Marie Kutner, pour reconvertir les friches industrielles schilikoises en logements. Il prévoyait notamment d’installer trois tours de logements à la place de l’imprimerie Istra désaffectée, et 900 logements à Fischer.

Sous le mandat de Danielle Dambach, le volume de ce dernier site a été réduit à 610 logements. Ce n’est pourtant pas le résultat de l’action de la mairie, mais de l’association Col’ Schick, créée en 2015 pour lutter contre les constructions en pagaille dans la ville. « Danielle Dambach n’a rien fait, c’est nous qui avons tout négocié avec Cogedim (le promoteur immobilier) et c’est nous qui avons signé le protocole, clarifie la présidente de l’association, Louisa Kraus. Danielle Dambach a essayé de négocier à notre place mais elle n’avait pas les recours en justice que nous avions. »

Le premier adjoint à la mairie, Pierre Maciejewski, affirme cependant que Danielle Dambach et une partie de la majorité municipale y sont un peu pour quelque chose. Selon lui, leur ancienne association, Schilick Ecologie, a créé le collectif Entrée Sud, à l’origine de Col’Shick. « Schilick écologie a beaucoup financé la com’ de ce collectif, et ses recours juridiques, affirme-t-il. Donc, oui, c’est aussi notre réussite. »

Une résidence pour personnes âgées de 250 logements doit encore voir le jour avant 2021. Photo Caroline Celle

« Un vivier de logements dans la banlieue »

L’association Col’Schick reproche pourtant à la maire d’avoir modifié le Plan local d’urbanisme (PLU), pour rendre certaines zones urbanisables.

Avec la modification du PLU, les zones industrielles Alsia et Air Product ont été reconverties en zones à vocation mixte (commerces et habitat). Route de Bischwiller, l’usine gris métallique d’Alsia vit ses derniers jours. Elle va bientôt déménager et 6 000 m² de terrain deviennent constructibles, ce qui rend la zone plus chère et plus attractive. « L’entreprise a tout intérêt à les vendre au meilleur prix, cela lui permet de sauvegarder ses emplois », justifie Pierre Maciejewski, en charge des questions d’urbanisme à la Ville.

Mais certaines associations schilikoises redoutent de voir tomber le terrain aux mains d’un constructeur privé. « La mairie a manqué de courage politique en permettant le vote de la modification du PLU, ajoute Frédéric Staut, membre de la France insoumise à Schiltigheim. On aurait pu éviter cette reconversion, notre ville est la deuxième commune de l’Eurométropole, elle a du poids. »

Sur la route de Bischwiller, un peu avant l’énorme bâtiment de verre et de béton de la mairie sixties de Schiltigheim, Aouatef Ouanes tient une boutique de couture. Elle accueille favorablement la construction massive de logements : « Cela fait 25 ans que je suis ici et les commerces s’en vont les uns après les autres, soupire-t-elle. On n’a plus de tapissier, de magasins de vêtements… Si ça peut rendre la ville plus attractive, alors je prends ! »

Pour Frédéric Straut, c’est plutôt Strasbourg que l’Eurométropole compte rendre attractive : « La logique de cette métropolisation, c’est de dynamiser le centre en créant un vivier de logements dans la banlieue. Il n’y a pas de politique d’urbanisation cohérente à Schiltigheim, l’Eurométropole veut en faire une cité-dortoir. »

Des promoteurs qui courent après l'argent

Les blocs de béton jaillissent un peu partout et contrastent étrangement avec les maisons en pierre du XIXe siècle alignées dans les rues alentours. Près d’Alsia, les immeubles Quartz gris et blanc bâtis par Nexity ont remplacé en 2017 les locaux de France Télécom. Ils ont le même format, un balcon, des fenêtres rectangulaires et un petit carré de jardin au rez-de-chaussée. Le promoteur construit aussi 30 logements et une médiathèque un peu plus loin sur la route, à la place du supermarché Simply. Près de la brasserie Heineken, fleuron de la ville, plusieurs bâtiments sortent de terre : Bouygues immobilier prévoit pour 2021 une résidence pour personnes âgées avec 250 logements autour.

Selon Raphael Rodrigues, ces constructions sont une aubaine financière pour les bailleurs : « Depuis la loi Pinel, si vous investissez dans du logement neuf, vous bénéficiez d’énormes économies d’impôts. Donc on construit des logements à la va-vite, pour défiscaliser. » « On crée des zones irrespirables, sans école ou infrastructures adaptées, sur des sites pollués, déplore Louisa Kraus, la présidente de Col’Schick. Cette saturation crée aussi des problèmes de stationnement et de circulation. »

Entre 2015 et 2020, la commune a dépassé le nombre de 3 200 logements prévus par l’Eurométropole.

Caroline Celle

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