« Il est temps de prendre des décisions historiques en matière d’égalité entre les genres. » La Suédoise Arba Kokalari (PPE, droite) s’est positionnée clairement en faveur de la ratification de la convention d’Istanbul, à la tribune du Parlement européen le 10 mai dernier. Cette convention a pour but de prévenir et combattre les violences à l’égard des femmes, des filles et de la violence domestique. C’est le premier texte de loi qui oblige réellement les États membres à réagir, en mettant en place des mesures de soutien par exemple. La convention a été signée il y a six ans, mais seuls 21 des 27 l'ont ratifiée à ce jour. Parmi ceux opposés à la convention : la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la République Tchèque. Leur argument : la convention d’Istanbul serait une menace pour la famille dite traditionnelle. Face à l’obstruction de ces pays, le Parlement a voté pour la ratification malgré tout. Les eurodéputés poussent l’Union à adhérer à la convention sans que tous les États membres soient d’accord.
Autre débat clivant chez les parlementaires : la philosophie même de l’Union si elle adoptait ASAP. Selon des eurodéputés de gauche, le plan tend à créer sur le long terme une capacité de défense européenne indépendante, notamment en matière d'armement. Un tournant pour l’institution, idéologiquement pacifiste. Pierre Haroche, spécialiste en relations et sécurité internationales à l’université Queen Mary de Londres, estime que « le cœur de l’Europe est désormais tourné vers sa capacité à résister à ceux qui font la guerre en dehors de ses frontières », comme la Russie ou la Chine.
Fanny Gelb et Mina Peltier
Le parti écologiste, par la voix de l’eurodéputée Hannah Neumman, soulève un autre problème : « ces entreprises [d’armement] qui engrangent des milliards d’euros par an n’ont pas besoin de l’argent du contribuable. Nous ne devrions pas leur donner. » Sur la même ligne, le groupe d’extrême gauche La Gauche, en sa co-présidente Manon Aubry, favorable au plan ASAP, a mis en garde contre un « risque de superprofits [des entreprises du secteur] important et inquiétant ». Une solution est ainsi proposée par les Verts : « coupler l’investissement avec une taxe sur les superprofits ».
L’eurodéputé Pascal Canfin de Renew (libéraux) tente, lui, de dépasser les clivages. Il invite le Parti populaire européen à approuver le « paquet de solutions » de la Commission européenne, « avec les Socialistes et pourquoi pas les Verts ». Il insiste : « Nous avons déjà réussi à trouver des accords sur la mobilité et l’industrie. L’écologie est un sujet qui devrait nous réunir plutôt que de nous diviser ».
Milan Derrien et Coline Playoust
Sa collègue des Socialistes et Démocrates, Iratxe Garcia Pérez, n’est pas en reste. Elle dénonce le « négationnisme climatique de la droite et de l’extrême droite ». « Quel avenir pour l’agriculture si ces politiques font des écosystèmes de véritables déserts ? », lance-t-elle, rappelant les records de chaleur qui malmènent également les rendements agricoles.
Chez The Left (extrême gauche), la co-présidente du groupe Manon Aubry n’a pas de mots assez durs et accuse le PPE de défendre les « superprofits du secteur agroalimentaire ».
Les diatribes de la droite sont reprises par les eurodéputés d’extrême droite. « Les agriculteurs ont déjà fait beaucoup d’efforts pour réduire l’usage des pesticides, assure Gilles Lebreton du groupe Identité et Démocratie (extrême droite). On devrait s’inquiéter plus largement de la perte du sens de la réalité de la Commission. Votre stratégie est inadaptée. Mais votre orgueil et votre certitude de savoir mieux que les peuples vous empêchent de l’admettre. »
« C’est incroyable cette position du PPE »
« C’est incroyable cette position du PPE, répond Martin Hausling du groupe écologiste. Pas un seul mot sur le réchauffement climatique. Pas un mot non plus sur la crise de la biodiversité. Ce que vous faites aujourd’hui, ce sont de petites manigances pour prouver la pertinence du modèle agricole actuel », martèle-t-il dans des grands gestes en direction des bancs de la droite.
« Le succès de ce plan dépend de sa vitesse d’exécution », a martelé le commissaire européen à l’Industrie de la défense, Thierry Breton, dans l’hémicycle. Les eurodéputés l’ont bien compris et ont acté le mardi 9 mai la nécessité de voter au plus vite, d’ici début juin, le plan ASAP, pour Acte de soutien à la production de munitions. En jeu : débloquer 500 millions d’euros pour renflouer les stocks de munitions des pays membres, aujourd’hui vides à cause de la guerre en Ukraine.
« Nous devons soutenir, dans l’urgence, l’Ukraine qui lutte contre l’invasion russe, qui lutte pour l’Europe elle-même », a abondé Christian Ehler (PPE, droite). Le nom ce plan, « ASAP », acronyme anglophone pour « As soon as possible », soit « Le plus rapidement possible », incarne parfaitement l’urgence soulignée inlassablement par les parlementaires. Le vote permet ainsi de soumettre cette législation au Parlement dès la prochaine session, les 31 mai et 1er juin.
Répondre aux besoin ukrainiens
Car il y a urgence. Depuis février 2022, les États membres ont chacun mis la main à la poche pour livrer, au total, un million d’obus aux forces ukrainiennes depuis le début du conflit. Mais aujourd’hui l’Ukraine en demande davantage. Volodymyr Zelensky, son président, en requiert huit millions. Problème, la production européenne actuelle d’obus est de 300 000, et les stocks des pays membres sont épuisés. Pourtant, « l’Europe a les capacités de production », a affirmé Thierry Breton. Seules les commandes manquent.
Ce plan vise à répondre à ces besoins. Il se divise en trois piliers : l’envoi de munitions, missiles et obus à l’Ukraine en prélevant dans les stocks des États membres, le renflouage de ces stocks ainsi que la création, sur le long terme, d’une autonomie européenne en matière de défense. Si les États membres souhaitent que le projet de loi soit effectif rapidement, c’est aussi pour augmenter et accélérer leur capacité de production de munitions. « Aujourd’hui, l’Europe n’a plus le droit de poursuivre dans sa naïveté désarmante », a insisté Nathalie Loiseau, eurodéputée du groupe des libéraux Renew.
Les gauches à contre-courant
Tous les eurodéputés ne sont pas sur la même ligne. En particulier sur le financement du plan ASAP, car les 500 millions d’euros débloqués proviennent de fonds européens déjà existants. Une origine financière que dénoncent Les Verts (écologistes), qui soutiennent au contraire la création d’un fonds spécialement dédié au plan.
Un coup politique : c’est ce qu’a tenté le Parti populaire européen pour attirer l’attention sur le sort des agriculteurs. Le groupe de droite au Parlement a lancé un débat pour dénoncer de futures législations écologiques, transformant l’hémicycle de Strasbourg en une tribune.