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Dany Kretz est avocat à la retraite. Habitant de longue date de la Robertsau, il a acheté une maison en 1988 route de La Wantzenau, inspirée du style très marqué de la cité des Chasseurs (voir La cité des Chasseurs grignotée de l'extérieur). “Mais elle n’est pas construite en bois, je l’ai seulement recouverte de planches, pour qu’elle ait un aspect plus sympathique.” Il y a construit une véranda vitrée en 2015. Selon ses dires, Dany vit dans l’un des secteurs les plus changeants de la Robertsau: “Ici, on construit énormément. Dans le temps, la Robertsau était verte.” (voir Biodiversité : ça déménage au bois de Bussière) À quelques mètres de chez lui, Edifipierre a fait aménager un ensemble collectif de près de 80 logements. Le jardin de Dany donne sur un champ, qui accueillait autrefois un espace de libre cueillette. “Avant, je voyais le bois. Maintenant, l'atelier construit par mon voisin me le cache. Mais les chevreuils viennent encore”, sourit-il.

Le triton crêté se reproduit dans la mare de Bussière de mars à juillet. Le reste du temps, il vit à proximité de milieux humides. © Frédéric Petitpretz

Certains stupéfiants, dont la présence avait déjà été relevée en 2013, ont gagné du terrain. "Moi, quand j’étais jeune, c’était un petit peu le cannabis et l’héroïne. Mais c’était dans un cercle fermé. Aujourd’hui, tu traverses la cité et on te dit: “Tu veux de la coke, de l’héro, du shit?”, avance Hervé. “Tout le monde sait qu’ici on trouve toutes sortes de drogues”, ajoute Yacine qui habite dans une barre et admet consommer du cannabis.

LEGENDE
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La Maison urbaine de santé est implantée dans les locaux du 42, rue de l'Ill depuis le 4 janvier 2021. ©Pierre Bazin

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Laurence pratique un suivi post-natal à la Cité de l’Ill. (DR)

 

Apprivoiser le Rhin, plus d’un siècle de manœuvres

Les aménagements hydrauliques successifs réalisés sur le fleuve ont engendré la disparition des crues dans les forêts. L’endiguement du Rhin commence en 1817 et se termine en 1840, à l’aval de Strasbourg. À l'époque, trois raisons motivent cette décision : protéger les villages limitrophes, libérer de nouvelles terres cultivables, fluidifier la navigation et le commerce. Depuis cette date, la construction de différents ouvrages a progressivement diminué la surface des zones humides dans la région. Achevée en 1840 grâce aux travaux de l'hydrologue allemand Johann Tulla, la digue des hautes eaux, visible  le long de la route du Glaserswoerth, réduit le “lit majeur” du fleuve. Il s’agit des zones potentiellement inondables lors des crues. Lorsque le débit augmente, il se heurte à la digue. Le Rhin étant un fleuve transfrontalier, les gouvernements français et allemands ont coopéré pour contenir son flux, notamment via des accords signés entre 1969 et 1982. 

“On veut acheter votre terrain”

André Fuchs est lui aussi héritier, mais d’une famille bien plus ancienne. Il est le descendant du pêcheur Georg Fuchs, fondateur du lieu-dit Fuchs am Buckel, qui a vécu à la fin du XVIIIsiècle. Devenus par la suite des restaurateurs reconnus, ses ancêtres lui ont légué des terres au nord de la Robertsau. Aujourd’hui, André habite route de La Wantzenau, en face de la pagode vietnamienne Phô-Hien. Sur son terrain de 32 ares, l’ancien professeur d’histoire a fait construire une grande maison à la décoration baroque dans les années 70. Un patrimoine de plus en plus convoité: “Je reçois la visite d’au moins un promoteur par mois”, soupire-t-il. Les trois agences du secteur confirment la tendance, qui s’est accélérée depuis le premier confinement. “Ici, on note une augmentation de près de 8% du prix des biens en 2020”, confie un employé d’ASI (Agence Strasbourg Immobilière).

“Tu vois, la bière, c’est un piège. Avant je buvais ça et j’étais en état de dépendance.” Hervé sort de la Maison urbaine de santé (MUS) de la Cité de l’Ill. Il est venu prendre rendez-vous avec la psychologue du Réseau micro-structure (RMS), qui propose notamment de l’aide aux personnes qui veulent soigner leurs addictions. Il accepte d’évoquer son traitement contre le VIH, les conséquences de son ancienne addiction à l’alcool mais aussi ce que la MUS lui a apporté dans les moments les plus difficiles. "Les médecins, ils se donnent à fond. Moi quand j’avais besoin de parler, ils écoutaient. “Hervé a soigné son addiction à l’hôpital de jour de Strasbourg, en centre-ville. Mais aujourd’hui c’est à la MUS qu’il se rend une fois toutes les deux semaines pour assurer son suivi. “Je sais que si j’en bois pendant quatre jours, de cette merde, après je suis en manque et dès le matin il me faut une bière.”

Le diagnostic de santé partagée, commandé par la Ville de Strasbourg en 2013, indique que ​“l’alcoolisme à la Cité de l’Ill était normal il y a quelques années, il commence à être perçu comme un problème maintenant.” Toujours selon ce rapport, l’alcool n’est pas la seule addiction présente dans le quartier. “Il semble que les produits les plus couramment consommés soient l’alcool et le tabac, mais des consommations de cannabis et de médicaments de type anxiolytique ont également été soulignées.”

“Être sage-femme, ça a du sens

Laurence exerce en libéral à la Cité de l’Ill, dans la Maison urbaine de santé.

Laurence exerce ce qu’elle estime être “le plus beau métier du monde” en libéral. Durant seize ans, la sage-femme de 45 ans a travaillé à la clinique Sainte-Anne, mais ne bénéficiait pas du même statut que ses consœurs salariées: “J’exerçais en libéral et louais un local au sous-sol de l’établissement, près des poubelles et de la lingerie. Parfois, face au nombre de patientes dans le service maternité, mes collègues n’avaient d’autres choix que de m’intégrer comme si j’étais moi-même salariée.” Cette situation ambigüe l’exposait juridiquement en cas de problème: “Je ne me sentais pas investie dans la maternité.” Un manque de reconnaissance qui a renforcé sa décision de quitter la clinique.

En 2020, Laurence a intégré la Maison urbaine de santé (MUS) de la Cité de l’Ill, où aucune sage-femme n’exerçait jusque-là. Elle tenait à compléter l’offre de soin dans le quartier en participant à une logique d’échanges pluridisciplinaires entre professionnels de santé.  Elle accompagne les jeunes parents et leur enfant dans une approche qu’elle veut humaine. Contrairement à la clinique, exercer à la Cité de l’Ill lui permet de demeurer auprès des femmes de l’adolescence jusqu’à la ménopause: prescriptions de moyens contraceptifs, dépistages, préparations à l’accouchement, suivis gynécologiques. La praticienne conserve cependant des liens étroits avec les consœurs de Sainte-Anne. Le Covid a d’ailleurs accéléré le rapprochement avec la clinique, l’objectif étant de tisser un réseau afin d’accompagner les soins à domicile. 

Comme nombre de ses collègues, elle lutte pour une revalorisation de son métier. “Quand les jeunes voient nos conditions de travail par rapport à nos faibles rémunérations, bien sûr qu’ils ne sont pas attirés par cette voie.” Elle-même a déjà envisagé une reconversion, sans y parvenir, car “être sage-femme, ça a du sens”.

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