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La cité des Chasseurs, avec ses pavillons en bois colorés au style scandinave, accueille de plus en plus de constructions modernes. Les habitants redoutent la disparition du charme de la cité, qu’ils considèrent comme leur "perle cachée".

 “C’est immonde”, s'exclame Claude. Le septuagénaire déplore les nouvelles constructions boisées beige clair et à toits plats qui sont apparues à la cité des Chasseurs ces dernières années, où il habite depuis 1949. À l’époque, le quartier ne comportait pas de telles bâtisses. Mais depuis quelques années, ce secteur réputé pour ses chalets bleus, rouges ou violets voit son architecture évoluer.

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La cité des Chasseurs est majoritairement composée de chalets en bois coloré des années 1940. ©Victor Topenot

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Autrefois destinés aux ouvriers et aux rescapés de guerre, les chalets intéressent les agents immobiliers. ©Tifenn Leriche

La cité des Chasseurs s’étend de la rue Fischacker à l’extrémité du quai des Joncs, dans une boucle de l’Ill, et comprend 260 foyers. Le charme suédois qu’elle doit à ses pavillons de couleurs vives, balcons, jardins fleuris et toitures en tuiles, attire les agents immobiliers. “C’est un cadre ville-campagne, proche de l’hypercentre et de la forêt tout en restant très accessible, notamment à vélo”, souligne Brice Boudra, d’Orpi Schiltigheim. “On a tous les jours des tas de flyers d’agents intéressés par notre maison. Tous les jours”, insiste Maurice. Cet octogénaire vit dans sa maison rouge depuis sa naissance. Raison pour laquelle il n’a jamais envisagé de vendre: les chalets autrefois destinés à loger des ouvriers, comme ses parents, leur avaient été cédés dans les années 60 à un prix dérisoire.

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La Bleich, bâtiment historique, a été démolie en 2017. ©Alain Kempf

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Place est faite aujourd'hui à des logements à l'architecture moderne. ©Victor Topenot

"Une chance unique" de vivre dans un cadre hors du commun 

Depuis, les regards sur ce petit coin coquet ont changé. “Même si la maison date des années 30 et qu’il y a des travaux à prévoir, les gens mettent le paquet. Pour eux, c’est une chance unique”, explique Brice Boudra.

La plupart des acheteurs sont des familles strasbourgeoises soucieuses d’acquérir leur premier logement, d’après l'agent immobilier indépendant Guillaume Brunner. “Les voisins entretiennent leurs maisons et repeignent les façades. Les nouveaux arrivants se prêtent au jeu et cherchent à se fondre dans le paysage”, témoigne Alain Kempf, rédacteur du blog de la Robertsau.

"Pour nous, c’était du patrimoine"

Pourtant de nouvelles constructions détonnent. En décembre 2017, l’ancienne blanchisserie, un bâtiment historique appelé “la Bleich”, a été démolie. À la place, douze logements d’accession à la propriété de forme cubique en bois brut ont été érigés. À l’époque, l’Association de défense des intérêts de la Robertsau avait déposé un recours gracieux contre les permis de démolir et de construire. “Ils ont fait un truc en bois, c’est bien, mais ils auraient pu mettre un toit en tuiles par-dessus”, déplore Claude.

Certains habitants auraient préféré que la bâtisse soit rénovée pour lui donner une seconde vie. “Pour nous, c’était du patrimoine, explique Alain Kempf. C’était un symbole du style de vie du quartier: il y avait des oies, des canards et des poules qui se promenaient en liberté autour de la Bleich.” La mairie ambitionnait aussi la construction de deux petits immeubles collectifs de huit logements chacun au 59 route des Chasseurs, l’adresse de la plus vieille maison de la cité, qui lui a donné son nom. Mais après avoir pris connaissance du projet, le propriétaire s’est ravisé.

 

Arrivée de constructions modernes

Depuis la démolition de “la Bleich”, les chantiers se sont succédé. Deux immeubles de deux étages sont sortis de terre rue Fischacker. Un nouveau projet de 76 logements sociaux et d’accession à la propriété dans la même rue laisse certains habitants perplexes. Bruno, père de famille, déplore la dénaturation du charme champêtre de la cité: “C’est dommage. C’était un peu une perle cachée ici.” D’autant plus que la proximité immédiate des chalets historiques avec des habitats sociaux peut faire chuter les prix à 2800 euros le mètre carré, contre un prix moyen de 3500 euros dans la cité, d’après Brice Boudra. Un parent d’élève exprime aussi ses inquiétudes quant à l’avenir des terrains municipaux en face de l’école: “Je suis venu ici pour le charme et le calme de la cité, mais rien ne me dit qu’il n’y aura pas d’immeubles dans quatre-cinq ans devant chez moi.”

La cité en quelques dates

Au milieu des années 30, dix-neuf maisons en briques voient le jour, sous l’impulsion de l’Office public d’habitation à bon marché de la ville de Strasbourg. L’idée initiale est de créer des dizaines de petits pavillons sur un terrain au nord-ouest de la Robertsau.

Le projet reprend à la fin de la guerre, entre 1947 et 1948 : l’office des HLM fait construire 90 chalets en bois pour loger des familles d’ouvriers et des rescapés de la guerre.

En 1963, les chalets sont mis en vente et permettent à de nombreux locataires de devenir propriétaires. Depuis, la cité des Chasseurs attire des familles qui souhaitent s'installer au calme, près de la nature, tout en restant à proximité de la ville.

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©Tifenn Leriche et Victor Topenot

Accepter l'évolution du bâti

Marc Hoffsess, l’adjoint à la maire de Strasbourg défend qu’il faut accepter l’évolution du bâti qui témoigne de son temps. “Une construction contemporaine, placée à côté d’une maison typique, affirmera l’architecture de notre époque, tout en valorisant par contraste celle du temps passé. Rien de pire que l’architecture pastiche!”

L’âme rustique de la cité, à laquelle sont tant attachés les habitants, ne risque pour autant pas de disparaître. L’exiguïté des terrains empêche les constructions massives et constitue donc un allié de préservation de l'architecture locale.

 

 

Tifenn Leriche et Victor Topenot

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