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© Shawn-Orric Dreyer

Dragan Filipović et ses fils luttent contre le projet de mine de lithium à proximité de leurs terres. © Adèle Pétret

Ratko Mladić : une fresque controversée

Ratko Mladić, ancien général bosno-serbe, a été condamné par le tribunal pénal international pour génocide et crime contre l’humanité, notamment pour le massacre de Srebrenica, au cours duquel 8 000 Bosniaques ont été assassinés il y a trente ans.
Emprisonné en Serbie en 2011, Ratko Mladić a été condamné à la réclusion à perpétuité six ans plus tard. En juin 2021, une fresque le montrant en train d’effectuer un salut militaire, accompagné de la mention « Nous sommes reconnaissants envers votre mère, général », est apparue dans le quartier de Vračar à Belgrade. Des militants de gauche ont aspergé le mur avec de la peinture et des œufs. « Mais des nationalistes nettoyaient le mur après chaque attaque. Et des milliers de pochoirs proclamant "Ratko Mladić, héros serbe" ont fleuri dans la ville, rappelle Vladimir Arsenijević. Les criminels de guerre, comme Ratko Mladić, sont présentés comme des héros. Cela influence les gens. Quand toute la ville en est bombardée, les messages peuvent devenir réalité. » Cette fresque disputée a aujourd’hui disparu.

Shawn-Orric Dreyer

Vučić est fini : l’autocollant le plus connu du mouvement

Aux feux rouges, sur les lampadaires, sur les boîtiers d’électricité… sur toutes les surfaces sur lesquelles ils peuvent tenir, on trouve l’autocollant Gotov je, littéralement « Il est fini ». Selon Vladimir Arsenijević, l’expression englobe une référence claire au président Vučić, même s’il n’est pas nommé directement : « La politique serbe de nos jours ressemble à une pyramide au sommet de laquelle trône le prédateur suprême Vučić. Donc, ça fait du sens de l’identifier comme la figure qui représente tout ce que des gens détestent dans cette société. »

Comédien contre Vučić : l’attaque publique du gouvernement serbe

« The show must go on : pour ceux d'entre nous qui restons et qui pleurons les victimes », a déclaré, le 1er novembre 2024, jour même de la catastrophe de Novi Sad, le présentateur star Zoran Kesić. Connu pour ses propos critiques envers le régime, il voulait manifester son soutien aux victimes et exprimer la nécessité de confronter les responsables.
Mais, ambiguë, l’expression a donné lieu à une récupération des propos de Zoran Kesić par les partisans du régime pour faire croire qu’il soutenait le pouvoir. À partir de décembre, des centaines de pochoirs sont apparus sur les murs de Belgrade. Inscrits dessus : la date de la tragédie, le nom du journaliste et le slogan Show must go on. La contre-offensive a été lancée pour défendre Zoran Kesić, cible de ces attaques au pochoir à grande échelle. « Imagine que tu te promènes dans la ville et que ton nom est inscrit des milliers de fois sur les murs des maisons. C'est un cauchemar », commente Vladimir Arsenijević, qui aide Zoran Kesić à effacer ces graffitis. Des étudiants et étudiantes les ont rejoints. Des couches de peinture blanche recouvrent désormais une bonne partie de ces pochoirs.

Belgrade : les doigts d’honneur apparaissent dans la ville

La réaction des partisans du pouvoir ne s’est pas fait attendre : en janvier, un poing serré avec un doigt d’honneur tendu, rouge lui aussi, apparaît sur les murs et jusque dans la cour d’un lycée. Au même moment, des responsables du parti progressiste au pouvoir, le SNS, en partagent des images sur les réseaux sociaux. « C'était une réponse méchante et digne d’un sociopathe de la part des autorités, estime Vladimir Arsenijević. Ils n'ont pas pris conscience de la souffrance des gens, de la nécessité de prendre leurs responsabilités et ont préféré leur faire un doigt d'honneur. » Pour répondre à cet affront, des élèves et des bénévoles ont acheté des bombes de peinture et recouvert les obscénités. Sous leurs couleurs, la vulgarité s'est transformée en cœurs et en fleurs.

Manifestations en Serbie : Le symbole principal « La Main Rouge »

« Vos mains sont ensanglantées. » La paume et les cinq doigts écartés sont devenus le principal symbole du mouvement de protestation en Serbie contre la corruption. Le symbole des mains rouges est un signe récurrent dans les mouvements contestataires : aujourd’hui signe controversé de soutien à la Palestine, il a aussi été repris dans divers contextes pour dénoncer la violence, comme lors des manifestations contre la dictature de Pinochet au Chili à la fin du 20e siècle. En Serbie, un poing serré rouge était déjà apparu lors de la révolte contre Slobodan Milošević à la fin des années 1990. Pour l’actuel mouvement étudiant, le symbole ne réfère à aucune autre cause que celles défendues dans leurs revendications. Sous forme d’affiches, de pochoirs, d'autocollants : les dessins de mains rouges marquent les murs de toute la ville, aux côtés d’empreintes de paumes bien réelles, trempées de peinture.

Un territoire mis à l’écart

Plutôt que la rébellion, les Bosniaques et les Serbes de la région, dont les relations ont toujours été apaisées, ont choisi le silence. Mais les souvenirs de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), responsable de la mort de 100 000 personnes, dont deux tiers de musulmans, sont encore frais dans les têtes de l’ancienne génération. Novi Pazar, à l’image du Sandjak, a été le point de chute de nombreux réfugiés serbes de Bosnie-Herzégovine ainsi que le point de passage des Bosniaques qui cherchaient à traverser la frontière pour combattre ou fuir les forces armées serbes. « Elles avaient disposé des tanks et des armes lourdes sur les collines autour de la ville. On avait la sensation que chaque jour pouvait être le dernier », se souvient Ishak Slezović. « Les gens de mon âge gardent cette peur en eux », confie Sead Biberovich, 60 ans, cofondateur de l’ONG Urban-IN, basée à Novi Pazar. 

En plus de ce passé, la population du Sandjak se sait dépendante de Belgrade. « Une part importante du budget de Novi Pazar vient des subventions nationales (19 % en 2025). Il n'y a pas d'industrie. Les gens ont peur de protester car ils craignent, par exemple, que le gouvernement ne leur autorise pas l’ouverture d’un commerce », explique Nikola Kocović, journaliste serbe indépendant originaire de Novi Pazar. Enfin, la population est lassée d’être dépeinte comme dangereuse par les médias pro-gouvernementaux. « Quand il y a une mobilisation dans la région, il peut arriver qu'un informateur ou un tabloïd nationaliste de Belgrade disent qu'il y a des séparatistes, des extrémistes dans le Sandjak. Donc les gens, de peur d’être stigmatisés, préfèrent ne pas faire de bruit », regrette Ishak Slezović.  

« Les régimes successifs ont toujours considéré ce territoire comme une zone marginale avec des gens déloyaux », analyse Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans. Délaissée et discriminée, la minorité bosniaque s'est peu à peu désintéressée de la Serbie et de ses enjeux politiques. Lors de l’élection présidentielle de 2022, dans laquelle Aleksandar Vučić a été réélu, le taux d’abstention était de 41 % à l’échelle nationale. À Novi Pazar, ce chiffre s’élevait à 54 %. « On avait le sentiment de ne pas appartenir à ce pays, livre Sead Biberovich. Ce n'étaient pas nos terres, pas notre gouvernement, pas notre hymne, pas notre drapeau. »

« Je veux chanter pour mon pays » 

À ce jour, les revendications et la détresse de la population du Sandjak n’ont pas trouvé de résonance au sein des administrations politiques nationales. Elles ne sont même pas relayées par les trois partis bosniaques siégeant au Parlement serbe. « Ils ont tous des rapports plutôt bons avec Vučić. Ils sont tous de son côté », pointe Damir Dizdarević, chercheur en relations internationales et en sécurité originaire de Novi Pazar. Les manifestants musulmans ne peuvent pas non plus compter sur leur représentant religieux. Lors de la cérémonie marquant l’ouverture d’un nouvel amphithéâtre de l’Université internationale de Novi Pazar, en décembre 2024, le Mufti Mevlud-ef Dudić, leader de la communauté islamique du Sandjak, a appelé les étudiants à « ne pas faire partie de ceux qui perdent leur temps dans la rue ». « Il nous a comparés à du bétail errant et meuglant dans la rue, s’insurge Ahmed. Musulman ou pas, ses insultes font mal. » 

La protestation étudiante a pourtant créé l’espoir d’un changement profond. Il laisse imaginer un pays dans lequel la minorité bosniaque serait davantage intégrée. Une nouvelle perspective que, ni eux, ni les Serbes orthodoxes, n'osaient imaginer il y a encore quelques mois, avant le drame de Novi Sad. Selma Slezović s’accorde désormais le droit de rêver :  « Je veux vraiment faire partie de ce pays. Je veux ressentir le patriotisme. Je veux chanter pour mon pays quand l’équipe nationale joue au foot. Je veux que mes enfants qui s'appellent Omar et Yacoub puissent aller à Belgrade et étudier là-bas. Je veux qu'ils sentent qu’ils font partie de cette société, pas seulement de cette région. »

François Bertrand

Angellina Thieblemont

avec Tijana Popadić

Pijanista : artiste serbe mis en garde-à-vue pour un autocollant

Pijanista, de son vrai nom Andrej Josifovski, est architecte et professeur à l'université de Belgrade. Il fait aussi de l'art urbain. Son graffiti au pochoir ressemble à un panneau sens interdit. Le titre : One-way Serbia. Le trait horizontal au-dessus du personnage respecte les proportions de l'auvent effondré de la gare de Novi Sad. « One-way Serbia devrait être vu comme un signal d’alerte générale. Suivre la corruption mène à la mort », explique l'artiste. Le premier exemplaire de son pochoir était un autocollant de la taille d'un panneau routier. Lorsque Pijanista l'a collé sur un sens interdit dans une rue le 12 décembre dernier, il a aussitôt été placé en garde-à-vue. Autrefois, le street art était dangereux, se souvient le graffeur Lortek. « Dans les années 1990, sous Slobodan Milošević, on avait de sérieux problèmes si on faisait un graffiti critique et qu'on se faisait attraper par la police. » Pour Pijanista, l’espace public doit être utilisé pour transmettre des messages politiques : « C’est le seul espace libre », justifie le Belgradois.

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En raison de son histoire, la population du Sandjak s'est longtemps sentie discriminée par le gouvernement serbe. © Angellina Thieblemont

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