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Big data : l'équilibre fragile entre vie privée et croissance


15 mars 2017

Alors que la Commission européenne planche sur le marché unique numérique et que la directive sur la vie privée de 2002 doit être révisée, les députés européens s’inquiètent de l’impact des mégadonnées (big data) sur les droits fondamentaux.

Un like sur Facebook, une commande Amazon ou l’achat d’un billet d’avion. Chaque jour, vous laissez de nombreuses empreintes numériques formant les mégadonnées (ou big data). Pistage des utilisateurs, renforcement des monopoles, pratiques abusives ou encore discrimination, l’utilisation des big data peut s’avérer dangereuse pour les droits fondamentaux et sur la concurrence, alors qu’entreprises et administrations sont de plus en plus nombreuses à y avoir recours.

La nécessaire transparence du big data

En mars 2016, le Parlement européen adoptait une résolution sur les opportunités économiques des big data. Un an plus tard, les eurodéputés se sont à nouveau penchés sur la question et ont adopté, mardi 14 mars à Strasbourg et à une large majorité, une résolution sur l’incidence des mégadonnées sur les droits fondamentaux. 

Ce texte, sans valeur législative, insiste sur la nécessaire transparence de tous les acteurs. En affichant clairement qui collecte, comment et dans quel but, le consentement des utilisateurs doit, selon le rapport, être plus éclairé. Les eurodéputés insistent également sur le respect du cadre juridique et invitent à favoriser l’anonymisation des données. Ils soulignent la nécessité de mieux protéger les bases de données. 

Enfin, la résolution exhorte les Etats membres à prévenir toute discrimination fondée sur l’analyse statistique de mégadonnées, dans le domaine des assurances notamment. Les eurodéputés craignent en effet de voir se développer des clauses abusives s'appuyant sur des données numériques.

La résolution du Parlement européen intervient alors que la Commission européenne envisage la mise à jour de la directive-cadre « vie privée et communications électroniques » (dite « ePrivacy »). Datant de 2002, elle est aujourd'hui rendue obsolète par l’évolution technologique.

La confiance, clé de la croissance

Les règlementations européennes sur les mégadonnées, plutôt quétouffer les opportunités économiques qu'elles ouvrent, visent à les renforcer. Le potentiel est effectivement important. Un marché unique adapté à l’ère du numérique pourrait rapporter 415 milliards d’euros à l’économie européenne selon la Commission. La commissaire tchèque aux Consommateurs Vera Jourova a d’ailleurs insisté lors des débats, sur le nécessaire « libre flux entre les frontières », y compris pour les données. « Plus on a de données utilisables, plus ce sera bon pour notre économie numérique. Si ces données ne peuvent se déplacer, notre croissance sera limitée ».

Pour autant, la réticence des utilisateurs à partager leurs données est connue. Selon l’Eurobaromètre, 67 % des consommateurs ne souhaitent pas que les entreprises collectent leurs informations personnelles.

20170315-LR data.jpgL’eurodéputée portugaise Ana Gomes (S&D, sociaux-démocrates), rapporteure du texte, le rappelle : « Il s’agit de trouver un point d’équilibre entre opportunités économiques et respect des droits fondamentaux. On comprend que certains soient focalisés sur l’économie, mais tout peut être compromis si on ne fait pas attention aux questions essentielles des droits ». Un avis partagé par la quasi totalité des groupes politiques du Parlement européen, qui ont soutenu son rapport. Au cours des débats, l’eurodéputée slovaque Anna Zaborska (PPE, centre-droit) a ainsi salué une initiative permettant de « protéger les citoyens d’un danger virtuel mais bien réel ». Son collègue grec Notis Marias (ECR, conservateurs) l’a souligné lors des débats : « Les opportunités des mégadonnées peuvent être mises à profit mais à condition que la confiance des concitoyens soit garantie. » 

Léa Caillère Falgueyrac, analyste juridique et politique à la Quadrature du Net, une association de défense des droits des internautes, se félicite des avancées permises par le texte, notamment sur l’encouragement à chiffrer les données. Mais elle prévient déjà la Commission quant au respect des engagements pris : « Si elle dévie des recommandations pour la mise à jour de la directive ePrivacy, on pourra leur rappeler les votes au Parlement ». Léa Caillère Falgueyrac souligne également la nécessité d’avoir un texte indépendant des évolutions technologiques, pour éviter qu’il ne soit caduc au bout de quelques années : « On a appris de nos erreurs avec la directive de 2002.»20170315-LR dsc_0152.jpg

La crainte du pillage américain

Les députés du groupe ENF (extrême droite) étaient particulièrement nombreux à voter contre le texte. Parmi eux, le français Jean-Luc Schauffhauser, qui s’insurge contre une résolution « qui ne va pas assez loin ». Il recommande notamment un nouveau modèle économique, permettant aux citoyens d’être propriétaires de leurs données, et surtout d’imposer le stockage des données en Europe, pour éviter le « pillage des Américains ». Des arguments que comprend Léa Caillère Falgueyrac, qui souligne cependant que « le fait d’avoir des règles sur les big data en Europe permettra de les imposer ensuite dans le reste du monde » dans d’éventuels traités de libre-échange. 

Texte et photos : Vickaine Csomporow et Laurent Rigaux

 
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