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Les eurodéputés réclament une protection européenne des journalistes


15 mars 2018

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Pendant le débat en plénière du mercredi 14 mars, les eurodéputés brandissent cette pancarte en mémoire au journaliste Ján Kuciak et sa fiancée Martina Kusnirova, assassinés en Slovaquie. © Coralie Haenel

Choqués par le meurtre du journaliste d’investigation slovaque Ján Kuciak, les eurodéputés demandent à la Commission européenne de mettre en place une législation plus protectrice.

Il avait 27 ans. Le journaliste slovaque Ján Kuciak a été retrouvé mort, tué d'une balle dans la poitrine le dimanche 25 février, aux côtés de sa compagne Martina Kusnirova, touchée à la tête. Ils ont été assassinés dans leur maison à Velka Maca, à environ 65 kilomètres à l'Est de Bratislava. Ján Kuciak enquêtait sur des possibles liens entre le gouvernement et le réseau de la mafia italienne N’drangheta ainsi que sur des présumés détournements de fonds européens.

Ce double meurtre a bouleversé la société slovaque, menant plus de 40 000 personnes dans les rues d’une quarantaine de villes le 9 mars. « C’était la plus grande manifestation depuis les protestations contre le communisme en 1989 », raconte le journaliste Michal Katuska, employé de la Radio et Télévision de Slovaquie. Au même moment, six eurodéputés se trouvaient dans le pays pour une mission de deux jours envoyée spécialement après le meurtre. Cette délégation a rencontré le président de la République Andrej Kiska, le premier ministre Robert Fico, plusieurs autres ministres, la police, mais aussi des ONG et des journalistes.

« Une protection universelle en Europe »

Mercredi 14 mars, les parlementaires réunis en session plénière ont débattu de ce que devrait être la réaction de l’UE après le meurtre de Ján Kuciak, perpétré moins de 5 mois après celui de Daphne Caruana Galizia. Cette journaliste maltaise dénonçait des affaires de corruption dans son pays.

La plupart des eurodéputés ont insisté sur le besoin de protéger les journalistes d’investigation dans toute l’Europe. « La protection des lanceurs d’alerte est faible, aussi bien au niveau de la législation européenne que dans les Etats membres », a déploré l’eurodéputé grec Stelios Kouloglou (GUE/NGL, gauche radicale).

Une résolution sur la sécurité des journalistes en Europe sera votée lors de la prochaine session plénière en avril. Pour l’eurodéputé slovaque de droite Eduard Kukan (PPE), cette résolution devra garantir une protection universelle en Europe à tous les journalistes dans tous les Etats membres. « L’UE fonctionne très lentement. Le Parlement doit donc faire pression sur la Commission pour mettre rapidement en application les nouvelles règles qui seront adoptées », ajoute-t-il.

Mener une enquête impartiale

Certains eurodéputés ont aussi exprimé leurs doutes sur la capacité des institutions slovaques à mener une enquête objective sur le meurtre, alors même que le gouvernement était visé par les révélations du défunt journaliste.

Co-présidente allemande de la mission en Slovaquie, Ingeborg Grässle (PPE, droite) appelle cependant ses collègues à ne pas tirer de conclusions hâtives: « La Slovaquie ne semble pas être le pays qui pose le plus de problèmes, c’est un membre de notre famille européenne qui mérite toute notre solidarité ».

Les doutes exprimés à l’égard de l’intégrité du gouvernement slovaque ont également fait réagir les eurodéputés slovaques de gauche. Pour eux, l’UE doit faire confiance aux tribunaux slovaques pour juger l’affaire au lieu de vouloir interférer dans la situation. Pourtant, Eduard Kukan n’est pas de cet avis. « Le meurtre d’un journaliste n’est pas un problème interne, c'est le problème de l’UE dans son ensemble. Comme dans le cas du meurtre de la journaliste maltaise, les gens en slovaquie n’ont pas du tout confiance dans leur gouvernement ».

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Lors du débat parlementaire du 14 mars, Ingeborg Grässle, co-présidente de la délégation envoyée en Slovaquie, appelle les eurodéputés à ne pas tirer de conclusions hâtives sur le meurtre de Ján Kuciak. © Phoebé Humbertjean

Pour l’instant, les autorités slovaques bénéficient d’une assistance étrangère pour mener l’enquête sur le double meurtre: le FBI, Scotland Yard et la police italienne sont mobilisées. « Mais l’enquête reste quand même essentiellement gérée par les autorités slovaques », explique Claude Moraes, co-président de la délégation et eurodéputé socio-démocrate (S&D) du Royaume-Uni. Ce dernier recommande que l’office de police criminelle de l’UE, appelé Europol, participe activement à l’enquête.

Détournement de fonds européens

Les découvertes de Ján  Kuciak renforcent les doutes des eurodéputés envers les institutions slovaques. Dans sa dernière enquête pour le média Aktuality.sk, le journaliste dénonce: « [La famille italienne Cinnante, liée à la mafia N’drangheta] s’est lancée dans l’agriculture, a reçu des subventions, touché des fonds de l’UE et construit des relations avec des hommes politiques influents ». Alertée par ces allégations, la délégation du Parlement a tenté de faire la lumière sur ces possibles détournements de fonds.

Selon le rapport publié après la mission, la délégation a questionné Juraj Kozuch, le directeur de l’Agence de paiement agricole, chargée de distribuer l’argent des fonds européen aux agriculteurs. Le directeur a admis qu’il n’existait pas de contrôle permettant de savoir exactement qui sont les propriétaires agricoles bénéficiaires de subventions.

« Nous ne devons pas faire semblant d’être des policiers ou des juges, affirme Claude Moraes. Mais nous devons enquêter sur les fonds agricoles, c’est ce qu’on peut faire de mieux pour honorer la mémoire de ce journaliste ».

Les journalistes en danger en Slovaquie ?

Michal Katuska, journaliste dans l'audiovisuel public, doute de la capacité de l’UE à assurer la protection des journalistes:  « Je pense que tous les journalistes étaient sûrs que la Slovaquie, en tant que pays membre de l’UE, disposait d’une société suffisamment démocratique pour qu’on y soit en sécurité. Mais après ce qui est arrivé à Jan Kuciak et à la journaliste maltaise, nous n’en sommes plus si sûrs. »

Ján Kuciak est le premier journaliste slovaque officiellement assassiné en raison de sa profession depuis la chute du communisme. Mais il n’est probablement pas le seul. L’association des journalistes européens rappellent que deux autres journalistes, Palo Rypal et Miroslav Pejko, ont disparu sans explication en 2008 et 2015.

Ayla Passadori
Coralie Haenel

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