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L'appel du Parlement contre les violences faites aux femmes


17 février 2023

Le Parlement européen fait pression pour que l'Union européenne adhère enfin à la convention d’Istanbul, texte majeur dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Une énième tentative pour les eurodéputés de convaincre les États membres conservateurs qui ne l’ont pas fait.

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En Europe, une femme est victime de violence toutes les six heures. ©  Mathilda Idri

“L’absence de ratification est une gifle aux femmes battues et aux valeurs de l’UE”, s’est exclamée l’eurodéputée italienne Isabella Adinolfi (PPE, droite) dans l’hémicycle ce mardi. Alors même que l’Union européenne a dévoilé une stratégie en matière d’égalité homme-femme d’ici à 2025, elle n’a toujours pas ratifié le premier traité international contraignant dans la lutte contre les violences faites aux femmes. 

Adoptée en 2011 par le Conseil de l’Europe, la convention d’Istanbul est l'instrument le plus complet de lutte à l’échelle internationale contre les violences faites aux femmes et les violences domestiques. L’accent est mis sur la prévention, la protection des victimes et la poursuite des criminels. A l’échelle de l’UE où une femme sur trois est victime de violence, l'application du traité permettrait un alignement des politiques des États membres.

La quasi-totalité des parlementaires a insisté sur l’urgence de ratifier la convention afin de protéger au plus vite les femmes et les enfants des violences de genre et domestiques. D’après l’eurodéputée suédoise Evin Incir (S&D, sociaux-démocrates), “la question n’est pas faut-il ou non ratifier cette convention, mais dans quel délai ? Les femmes et les filles ne peuvent plus tolérer notre inertie”. L’eurodéputée grecque Elissavet Vozemberg-Vrionidi (PPE, droite) estime que le traité est “l’ensemble législatif le plus complet qui permet aux femmes de vivre sans violence dans l’Union européenne et au-delà”.

Une ratification urgente pour protéger femmes et enfants 

Si l’UE a signé le traité en 2017, la ratification en son nom n’est toujours pas réalisée. En cause : six pays (Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, République Tchèque, Slovaquie) qui s’y refusent. Mardi, à la grande majorité, les eurodéputés ont fait pression sur ces États réfractaires pour adopter une position commune en faveur de l’adhésion de l’UE. 

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Une législation cruciale pour Evin Incir, eurodéputée suédoise. © Alexis Haulot, European Union 2023 - Source : EP

 

Une minorité d’États anti-progressistes 

Dans l’hémicycle presque vide, les députés de ces pays qui n’ont pas adhéré au texte ont fait entendre leurs réticences, d’abord idéologiques. “Nous avons refusé la convention à cause de la théorie du genre qu’elle véhicule”, explique l’eurodéputé slovaque Milan Uhrik (non-inscrit). La référence au “genre” plutôt qu’au “sexe” dans le traité contraste avec les valeurs traditionnelles de certains pays. Pour l’eurodéputé bulgare Angel Dzhambazki (ECR, ultra-conservateur), il est “en opposition avec les valeurs familiales de la Bulgarie”. Comme la Hongrie et la Slovaquie, le pays craint que la convention ouvre la voie au mariage homosexuel.

En Lituanie et en Lettonie, le pouvoir religieux a grandement influencé la décision de ne pas ratifier. En préparation, l’adhésion à été annulée suite à une lettre ouverte de l’Église catholique lettonne, pointant du doigt une atteinte aux valeurs de la famille et du genre dans la loi nationale. C’est pour cet argument de non-compatibilité avec la constitution que la Pologne a annoncé en 2020 vouloir se retirer de la convention. Pourtant, d’après une étude commanditée par les eurodéputés spécialisés sur le droit des femmes, “le traité ne régit pas les valeurs familiales, le mariage homosexuel ou d'autres droits des LGBTQI+”.

La balle est dans le camp des États membres

Quelques parlementaires d’extrême-droite se montrent à l’écoute de ces positions ultra-conservatrices. L’eurodéputé français Jordan Bardella (ID, extrême-droite) concède qu’il existe de fortes différences culturelles au sein de l’UE. S’il reconnaît l’importance du sujet, le président du Rassemblement National en profite pour faire dévier le débat au moyen d'une rhétorique anti-immigration : “la plus grande menace pour les libertés des femmes, notamment en France, c’est la progression du fondamentalisme islamiste”.

Reste à savoir si les États réfractaires changeront de position ou si le Conseil de l’UE avancera sans leur accord. Une décision de la Cour de Justice de l’UE datant de 2019 permet en effet au Conseil de ratifier la convention à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité. Une solution juridiquement possible mais délicate car il s’agirait alors de se passer de l’accord de six États membres. Pour certains groupes parlementaires, il faut aller plus loin dans la pression. Manon Aubry, présidente du groupe de l’extrême-gauche, est ferme : “il faut des contraintes financières à leur égard”

 

Carla Génévrier et Mathilda Idri

 

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