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Mardi 8 mars, l'eurodéputée lettone (PPE, centre-droit), Sandra Kalniete, présentait le rapport sur les ingérences étrangères dont elle a eu la charge pendant 18 mois. Y est pointée du doigt la Russie notamment, alors que Vladimir Poutine envahit l’Ukraine. Une actualité qui rappelle l’histoire familiale de l’eurodéputée, sur laquelle elle s’est confiée en marge d’une conférence de presse.
C’est à Togour, en Sibérie, que Sandra Kalniete est née. Sa mère et son père ont été déportés par les autorités soviétiques respectivement en 1941 et 1949. Sa mère était considérée comme un « élément socialement dangereux », et son père était le fils d’un « bandit », un résistant qui combattait l’Armée rouge en Lettonie. C’est au goulag que ses parents se sont rencontrés et qu’ils ont eu leur unique fille en 1952. Malgré leur misère et le travail forcé dans une scierie, Sandra Kalniete raconte dans son autobiographie, En escarpins dans les neiges de Sibérie (éditions des Syrtes, 2003), avoir eu une enfance heureuse : « Mon univers se bornait à l’amour de mes parents. » Ceux-ci se démenaient pour lui cacher leurs souffrances.
Lorsqu’elle a cinq ans, sa famille est enfin autorisée à quitter la région de Tomsk et à retourner en Lettonie. Sandra Kalniete ne prendra réellement conscience de ce qu’ils ont vécu que dans les années 1980, lorsqu’elle s'engage pour la libération de la Lettonie. Elle a alors la trentaine. « Mes parents, une fois revenus du goulag, avaient tellement peur du pouvoir communiste qu’ils m’ont tout caché, pour me protéger. »
« Ces dernières semaines, le Kremlin a inversé les causes et les conséquences de l’invasion en Ukraine, en présentant la Russie comme la victime d’un génocide et le président ukrainien comme un criminel », s’est indigné dans l’hémicycle le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Le rapport a fait consensus parmi les membres de la commission spéciale, au-delà de leurs dissensions partisanes.
Des voix dissonantes
Mais la volonté européenne de suspendre les médias émetteurs de désinformation a suscité la crainte de plusieurs eurodéputés. « Le pouvoir de vie ou de mort sur les médias de la Commission européenne peut poser question, notre groupe [est] divisé sur ce rapport », a annoncé Manon Aubry, co-présidente du groupe européen d'extrême gauche (La Gauche). Au sein du même groupe, l’Irlandaise Clare Daly n’a pas hésité à citer le roman de George Orwell 1984 pour décrire une société où celui qui « n’a pas la même vérité se retrouve réprimé ». Même référence pour son homologue allemand d’extrême droite Nicolaus Fest (ID) : « Nous vivons dans une société dominée par la censure, comme dans 1984 de George Orwell. »
Raphaël Glucksmann, lui, rejette l’idée selon laquelle l’UE deviendrait un « ministère de la vérité ». Il justifie cette censure par la distinction faite entre médias et outils de propagande : « RT et Sputnik ne sont pas des médias, ce sont des outils qui font partie de l’arsenal de guerre de Poutine. Il faut donc réfléchir en termes différents. »
Dans leur rapport, les eurodéputés proposent des solutions pour lutter contre les ingérences. Ils demandent de renforcer la cybersécurité, interdire les dons étrangers lors des campagnes politiques et lutter contre la désinformation en allouant des moyens supplémentaires aux vérificateurs de faits. Les parlementaires plaident aussi pour développer l’éducation aux médias et « sensibiliser toutes les couches de la société à l’ingérence étrangère ».
Les eurodéputés ont voté la création d’une seconde commission sur les ingérences étrangères. Au cours de ce nouveau mandat, les élus vont continuer de s’intéresser aux enjeux des ingérences, avec comme ligne de mire, cette fois, le risque d’ingérence qui pèse sur les élections européennes de 2024.
Léo Bagage et Simon Cheneau
Face à l’arrivée massive de réfugiés ukrainiens, le Parlement européen est unanime pour apporter des solutions concrètes à ceux qui fuient la guerre. Mais pour certains, le double standard entre les réfugiés européens et les autres est intolérable.
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, près de deux millions de personnes ont fui leur pays en quête d’un asile sur le sol européen. Au total, l'Organisation des Nations unies (ONU) s’attend à l’arrivée de plus de quatre millions de réfugiés. En réponse à cet afflux migratoire massif, le Parlement européen a voté pour l’activation d’un dispositif européen d’accueil des exilés, la protection temporaire d’urgence. Ce dispositif fait tomber les barrières administratives pour permettre aux Ukrainiens d’accéder à l’emploi, à l’école, au logement et même aux aides médicales une fois sur le territoire d’accueil, et ce pour une période initiale d’un an, renouvelable deux fois pour six mois.
Un changement d'époque
Mardi 8 mars, dans l’hémicycle, les députés européens étaient unanimes pour dire que l’activation de cette protection temporaire d’urgence est une bonne chose. Comme l’a expliqué le président de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, le député européen Juan Fernando López Aguilar (S&D, social-démocrate) c'est une étape majeure pour la question de la migration dans l’UE, auparavant réticente à l’accueil des réfugiés : « En dix jours, il y a eu un tournant, un changement d’époque, une accélération dans les réactions européennes. L’UE est confrontée à un vrai changement de paradigme. » Ce qui se remarque particulièrement dans les politiques de la Pologne et la Hongrie, premières destinations des migrants ukrainiens. Il y a encore quelques semaines, ces deux pays étaient accusés de refouler les réfugiés à leurs frontières. Aujourd’hui, ils se revendiquent terres d’accueil pour les Ukrainiens : près d’1,3 million de personnes ont passé la frontière polonaise et plus de 200 000 celle de la Hongrie.
« Bons » et « mauvais » réfugiés
La protection temporaire d’urgence a été créée en 2001, peu après le conflit en ex-Yougoslavie. C’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que l'Europe était confrontée à des déplacements massifs de personnes résultant d'un conflit en son sein. Elle n’avait jamais été activée depuis. Pour certains, cela trahit une sélection raciste entre les réfugiés. « En 2015, alors qu’il y avait eu aussi plus d’un million de Syriens, on ne l’a pas utilisée. C’est une très bonne directive mais elle n’est appliquée qu’aux blancs non-musulmans », explique l’eurodéputé Damien Carême (Verts/ALE). D’autres ne se cachent pas de faire cette distinction entre « bons » et « mauvais » réfugiés. C’est le cas des députés du groupe d’extrême-droite Identité et Démocratie. Pour eux, les Ukrainiens sont de « vrais réfugiés » qui partagent avec eux « un continent, une culture, une religion catholique ».
Cette dissemblance se ressent aussi dans le traitement médiatique de la crise. « On ne parle pas “d’appel d’air” mais “d’élan de générosité” », explique Paola Pietrandrea, professeure de linguistique à l’Université de Lille. « Cette différence s’explique peut-être parce que c’est une population qui est plus proche de nous géographiquement. »
La députée Saskia Bricmont (Verts/ALE) espère que cette protection temporaire d’urgence « sera érigée comme modèle. L’accueil s'organise et c’est la preuve par A+B que c’est possible ». Une position partagée par Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme et ancienne députée européenne. Selon elle, il est nécessaire « d’accueillir tout le monde quel que soit le statut, l’origine, la couleur de peau, la religion. On fuit une guerre, point. J'espère que l’on tirera les conséquences de ce qui se passe en Ukraine ».
Louison Fourment et Léna Sévaux
Louise Forbin et Théodore Laurent
« C’est la naïveté des élites européennes qui a permis une perméabilité totale de nos démocraties aux ingérences. » Perché dans un salon du cinquième étage du Parlement européen, Raphaël Glucksmann, tasse de café à la main, accuse la Russie de s’immiscer dans les pays de l’Union. L’eurodéputé français social-démocrate est président de la commission spéciale qui vient de rendre un rapport sur les ingérences étrangères dans les démocraties européennes. Un document examiné avec attention après l’invasion russe en Ukraine.
« Une accélération du phénomène »
Selon le rapport, ces ingérences se manifestent sous forme de cyberattaques, de subversion des élites ou par le harcèlement de journalistes et de chercheurs. Les députés constatent « l’accélération du phénomène » et pointent surtout les risques liés à la désinformation. Des forces étrangères diffusent leur propagande à travers des chaînes d’État tout en manipulant les algorithmes des réseaux sociaux. Après l’invasion de l’Ukraine, la Commission européenne a justement banni les médias Sputnik et Russia Today, deux des principaux canaux de propagande russe.
Plusieurs eurodéputés s'inquiètent de l’approvisionnement en gaz des États membres. Après une flambée des prix liée au Covid-19 en 2021, l’invasion de l’Ukraine et les sanctions prises contre Moscou font que les réserves européennes de gaz s’affaiblissent.
Or 40% du gaz dans l’Union Européenne (UE) provient de Russie. Pour l’Allemagne et l’Italie, c’est plus de la moitié de leurs importations énergétiques. Au vu de cette dépendance de l’UE, l’eurodéputé Cristian-Silviu Busoi (PPE, centre-droit), qui préside une commission spécialisée sur l'énergie, a alerté, à travers une question orale, sur la vulnérabilité des États face aux pressions extérieures. L’élu roumain a demandé à la Commission d’activer des aides pour « faire face à la colère sociale » liée à la hausse des prix. « L’Europe doit devenir indépendante en terme d'énergie », a-t-il ajouté.
Pour l’eurodéputé française Marie Toussaint (Verts, ALE), « l’Europe des gaziers accroît la dépendance aux puissances étrangères. » Selon l’écologiste, la solution passe par une transition plus rapide vers les énergies renouvelables. Pour d’autres, l’indépendance du gaz russe passe par le nucléaire. « Le nucléaire doit rester un atout et à court-terme, les États doivent aussi baisser la fiscalité sur l’énergie », affirme l’élu français François Xavier Bellamy (PPE, centre-droit).
Amine Snoussi