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Notre monde a changé, et plus rien ne sera comme avant. Voilà, en substance, le résumé de cette session plénière du mois de mars, moins de deux semaines après l’attaque de l’Ukraine par la Russie. La guerre est de retour aux portes de l'Union européenne et au sein des débats européens.
De Josep Borrell à Roberta Metsola, de Kaja Kallas à Paolo Gentiloni, l’urgence presque vitale de reconsidérer une politique de défense européenne a été notée, soulignée, plaidée. Reste maintenant à espérer que cette unité affichée ne se délite pas. La guerre en Ukraine risque en effet de durer et les difficultés économiques en Europe de surgir.
Au-delà du renforcement de la défense, les eurodéputés ont rappelé l’importance de l’indépendance énergétique des États membres face au gaz russe, et de lutter contre l’ingérence étrangère – principalement venue de Russie – dans les processus démocratiques de l'Europe. Les parlementaires ont affiché un front uni sur la question des passeports dorés, très liée à la question des sanctions contre les oligarques russes. Quant à la Journée des droits des femmes, le mardi 8 mars, elle a été dédiée aux Ukrainiennes, où qu’elles soient.
L’Union européenne vit peut-être là le moment le plus crucial de son histoire. La guerre sur le vieux continent n’est plus un vieux fantôme brumeux : c’est une réalité qui bouleverse notre vision du monde et de ses rapports de force. Face à la menace que représente aujourd’hui la Russie, l’Union Européenne se doit de montrer un front uni et coordonné dans ses réactions, qu’elles soient politiques, économiques ou militaires. C’est peut-être ici et maintenant que se joue le futur de la paix en Europe.
Isalia Stieffatre
Les parlementaires européens ont validé le programme d’action pour l’environnement (PAE) de l’Union européenne jusqu’en 2030. Rédigé en collaboration entre les représentants des différentes institutions européennes en décembre 2021, ce programme doit guider la politique environnementale des États membres de l’Union pour ces prochaines années.
La proposition la plus marquante est l’arrêt progressif des subventions des énergies fossiles, « une décision que nous aurions dû prendre il y a longtemps », affirme l’eurodéputé Pär Holmgren (Verts/ALE). « La nature est la clé de notre système planétaire et malgré tout, les gouvernements continuent de subventionner les activités qui détruisent notre planète », renchérit Grace O ’Sullivan (Verts/ALE).
À l’inverse, le groupe de l’extrême droite Identité et Démocratie n’est pas du tout du même avis : « Votre politique est totalement irresponsable ! » s’indigne Silvia Sardonne. « Votre réponse à la crise actuelle c’est baisser le thermostat, vous pensez vraiment que les Européens ne le font pas déjà ? »
Le montant des aides des États membres de l’UE aux entreprises exploitant des énergies fossiles a atteint 52 milliards de dollars en 2020.
Une sirène d'alarme retentit dans l'entrée du Parlement européen où est organisé un rassemblement en soutien aux Ukrainiens. « Voilà comment nous nous sommes réveillés il y a deux semaines », débute Mariia Mezentseva, présidente de la délégation ukrainienne au Conseil de l'Europe. Avec émotion, la députée à la Rada raconte l’enfer que vit son peuple depuis plusieurs jours.
Devant un immense drapeau bleu et jaune, la maire écologiste de Strasbourg Jeanne Barseghian renchérit : « Dans ces heures terribles, restons unis ! » « Slava Ukraini ! » (Gloire à l'Ukraine) clame à son tour Borys Tarasiuk, ancien ministre des Affaires étrangères en Ukraine, devant la foule captivée. Ce cri est repris plusieurs fois par Roberta Metsola. En français, la présidente du Parlement rappelle le rôle crucial de l’Union européenne tout en exprimant son admiration : « Un peuple dont le courage nous impressionne. Nous devons être à la hauteur ! » L’hommage se termine au bout de vingt minutes lorsque l’hymne ukrainien résonne dans le bâtiment.
L’adhésion à l’Union, une gageure
Les espérances ukrainiennes, géorgiennes et moldaves sont en réalité freinées pour plusieurs raisons. D’abord, les pays membres sont divisés. En Europe de l’Est, la Pologne soutient l’idée d’une procédure accélérée pour la candidature ukrainienne, tandis que certains pays de l’Ouest de l’Europe expriment leurs réticences quant à cette possiblité.
Elle était l’invitée attendue et remarquée de cette semaine européenne à Strasbourg. La première ministre estonienne Kaja Kallas a présenté sa vision de la crise actuelle et ses espoirs pour le futur de l’Union européenne ce mercredi 9 mars, face aux députés rassemblés dans l’hémicycle. Sans surprise, ses premiers mots ont été pour le peuple Ukrainien et pour sa « résistance acharnée » face à cet « acte d’agression militaire pur » que représente l’invasion du pays par Vladimir Poutine. Mais plus qu’un simple message d’unité, c’est un appel au changement que la première ministre d’Estonie est venue porter. Un changement en matière de politique européenne de défense. « Le 24 février, le monde a changé », a-t-elle lancé aux parlementaires. « Cette crise a déclenché une période d’insécurité sur notre continent, que nous n’avions pas connu depuis 1939. Notre monde ne va pas revenir au status quo. Il y aura un avant et un après. » En tant que représentante d’un pays frontalier de la Russie, Kaja Kallas incarne les dangers qui pèsent directement sur l’UE. Les pays Baltes, dont fait partie l’Estonie, sont intégrés à l’OTAN : une attaque directe de la Russie sur leur territoire déclencherait un intervention de l’alliance, et donc la guerre. Si elle ne se dit pas inquiète pour son pays, Kaja Kallas s’avoue plus préoccupée par la situation de la Finlande ou de la Suède, qui ne font pas partie de l’OTAN. D’où l’importance de construire une organisation complémentaire à l’alliance nord-atlantique : « Il faut trouver un consensus, au sein de l’UE, en termes de défense ».
Isalia Stieffatre
« Il est temps de remodeler la mode ». C’est par ces mots que Virginijus Sinkevičius, commissaire européen à l'environnement, a conclu la présentation de la nouvelle stratégie de l’Europe pour restructurer l’industrie textile, jeudi 10 mars au Parlement européen. Quatrième secteur le plus polluant et gourmand en eau, cette industrie est responsable de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les objectifs de la commission tiennent en trois idées clés: production circulaire, durabilité et recyclage. La première étape est de trouver des alternatives vertes pour les matières premières très polluantes comme le polyester, produit à partir de ressources fossiles, et qui relâche des tonnes de micro-plastique dans les océans. Pour le recyclage, la marge de progression est colossale. « Moins d’1% des vêtements dans le monde est recyclé, ce n’est pas de la fast fashion* mais de la super fast fashion », commente Anna Cavazzini (Verts/ALE). La députée allemande attire aussi l’attention sur le manque de transparence des conditions de fabrication des textiles. Beaucoup d’enfants et de « femmes esclaves » se cachent derrière un jean ou une veste.
*Fast fashion: vêtements bon marché produits rapidement et en grande quantité par les détaillants de la grande distribution pour répondre aux dernières tendances.
« Les femmes de ma patrie sont fortes, elles prennent les armes, elles sauvent des vies, elles vont au front », scande Oksana Zaboujko, d’une voix grave qui résonne dans tout l’hémicycle. Invitée à s’exprimer devant les députés européens à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes ce 8 mars 2022, l’écrivaine ukrainienne s'est exprimée sur le cas spécifique de son pays : « C’est la première fois que je dois me lever pour défendre le droit des femmes à la vie ! ». Elle le rappelle, dans ce contexte de guerre déclenchée par la Russie, ce sont les femmes qui se délèguent totalement aux autres, jeunes comme vieux. Pour l’autrice, qui a elle-même dû quitter l’Ukraine deux semaines auparavant, l’Union européenne agit certes, mais trop tard : « Combien de vie aurait-on pu sauver il y a 8 ans, lors de l’invasion de la Crimée, si l'UE avait fait face à ce nouvel Hitler », déplore-t-elle en comparant Poutine au Führer. L'écrivaine appelle l'Union à agir vite, car pour elle « chacune de vos pauses-café coûte une vie », chaque seconde de perdue, c'est un moment où une personne ukrainienne meurt. L’écrivaine conclut en interpellant les députés européens une dernière fois et en les suppliant d’agir rapidement : « N'ayez pas peur de protéger le ciel au-dessus de leurs têtes », un discours accueilli par un tonnerre d'applaudissements.
« S’il vous plaît sauvez nos vies »
Quand elles atteignent enfin la frontière avec leurs enfants ou leurs parents, le calvaire est loin d’être fini. Elles doivent gérer les contraintes matérielles pour trouver de la nourriture, un logement, puis une école pour leurs enfants. Beaucoup doivent aussi composer avec la lourde culpabilité d’avoir abandonné leur pays. Pour les Ukrainiennes, le seul moyen d’éviter l’exil est de mettre fin aux bombardements en créant une zone aérienne libre. L’heure n’est plus aux débats mais à l’action. Que ce soit au Parlement ou dans les manifestations, ce 8 mars à Strasbourg est surtout l'occasion de lancer un appel à l’aide général : « Please, please, please, save our lives ! » (s’il vous plaît, sauvez nos vies).
Clémence Blanche et Lisa Ducazaux
Les eurodéputés ont débattu des SMS controversés entre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, et Albert Bourla, PDG du géant pharmaceutique américain Pfizer. Ces messages traitaient de l’achat de 1,8 milliard de doses de vaccin à 19,50€ l’unité, soit 35 milliards d’euros. La Commission européenne a refusé de rendre public l'accès à ces sms. La médiatrice européenne Emily O’Reilly a demandé au cabinet de la présidente de les retrouver et d’en révéler le contenu. Pour la gendarme des institutions européennes, les textos peuvent faire l’objet d’un contrôle. Toutefois, la législation de 2001 sur l’accès aux données ne prend pas en compte ces nouveaux canaux. C’est un argument qu’a mis en avant la Commission, soulignant l’éphémérité du support.
Mais les parlementaires étaient unanimes, il faut que lumière soit faite, dans « une maison de verre [...] où il n’y a aucun espace pour l’obscurité » (Alessandro Panza, ID, extrême droite). Un devoir d’exemplarité souligné par Evin Incir (S&D, sociaux-démocrates), raillant que même « un envoi de lettre par pigeon » aurait dû être rendu public. Un deuxième « SMSgate » pour Ursula von der Leyen qui ne passe pas pour les députés européens, celle-ci ayant déjà effacé des messages lorsqu’elle se trouvait à la tête de la Défense allemande. « Une masterclass de mauvaise foi », estime le Belge Marc Botenga (La GUE, extrême gauche). Seul un des membres du PPE, Tomislav Sokol, s’est montré un peu plus conciliant : « certains doutes doivent être dissipés, mais nous ne devons pas remettre en question toute la procédure d’achat. » La commissaire a conclu en rappelant l’échéance du 26 avril, date à laquelle l'exécutif européen est censé donner une réponse à la médiatrice.
La semaine dernière, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont officialisé leur demande d’adhésion à l’Union européenne. Si l’agression russe a créé un appel d’air pour les candidatures, leur acceptation par les 27 reste très peu probable.