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Pour les artistes de la Semencerie, le rachat du site par la mairie début 2022 assure l'avenir. Même si une partie a déménagé à la Coop. 

C’est quoi ici ? Une brocante ?”, s’interroge une passante de la rue du Ban-de-la-Roche, à Strasbourg, intriguée par un hangar aux portes grandes ouvertes. À l'intérieur, 1 800 m² de ferrailles rouillées, de roues de vélo et d’installations extravagantes, parmi lesquelles un économe géant suspendu au plafond. Le long des anciennes friches du quartier Gare, la Semencerie accueille une vingtaine d’artistes en résidence, comme plus loin dans les remparts, le Bastion XIV avec ses 21 ateliers.  Les deux endroits paraissent abandonnés. L’un est recouvert de graffitis, l’autre de lierre.

“La fin de l’épée de Damoclès”

Le 24 mars dernier, le projet de rachat de la Semencerie par la Ville de Strasbourg a reçu le feu vert des Établissements publics fonciers (EPF). C’est la fin des baux précaires et de l’incertitude qui régnait sur l’atelier depuis 2015. L’ancien propriétaire Roger Heitz, qui accueillait les artistes depuis le départ des Semences Nungesser en 2009 était

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Zoé Bouchicot, scénographe et résidente permanente dans son atelier de la Semencerie © Julie Lescarmontier

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Pour Arno Luzamba, la Semencerie est un foyer © Julie Lescarmontier

prêt à signer un projet de complexe hôtelier. Une énième proposition de reconversion qui a bien failli aboutir après l’échec des logements sociaux et du parking. “On s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser disparaître un espace pareil”, résume Marie-Dominique Dreyssé, adjointe à la maire en charge du quartier Gare, en évoquant l’esprit créatif de son secteur. Du côté des artistes, c’est le soulagement. “La fin de l’épée de Damoclès”, pour Zoé Bouchicot, résidente permanente de la Semencerie depuis 2014. La scénographe sillonne les lieux en partageant sa tablette de chocolat. Non loin de là, Arno Luzamba photographie sa dernière installation dans l’espace commun. Il y a disposé une centaine de gants d’ouvriers pour dénoncer l’aliénation à l’usine. L’artiste franco-congolais souligne son attachement profond à l’atelier, qu’il décrit comme un “lieu d’intégration”. “Lorsque je suis arrivé en France, la Semencerie est le premier lieu à m’avoir accueilli”, confie-t-il. Si le rachat marque une nouvelle ère pour la Semencerie, un tiers de ses résidents ont déjà quitté le quartier Gare.

En 2017, sous la menace permanente d’une expulsion, une dizaine de membres du collectif ont cherché un nouvel espace artistique à partager. Ils ont alors saisi l’opportunité d’un appel à manifestation d’intérêt lancé dans le quartier du Port du Rhin pour occuper les friches industrielles de l’ancienne Coop. Le Cric y a ainsi vu le jour en 2019 dans ce qui en était le garage. Il réunit aujourd’hui 23 artistes, majoritairement issus du quartier Gare. Grâce aux architectes présents dans le collectif, les résidents aménagent eux-mêmes leurs ateliers.

La Coop : “le nouveau Berlin” ?

Une cafetière à la main, Marie Storup, l’une des fondatrices du Cric, se souvient de ses années au quartier Gare : “La cuisine au centre, on a gardé ça de la Semencerie, pour le côté collectif.” La scénographe ne regrette pas son ancien atelier. “Ici, c’est moins crado. C’est plus bobo, lance-t-elle avec une pointe de sarcasme. L’hiver, il m’arrivait de retrouver ma colle gelée par le froid à la Semencerie.” À la gare, le bâtiment n’est pas chauffable. Écharpes, bonnets, polaires… Les artistes doivent s’adapter aux températures difficiles et à l’absence de lumière naturelle dans leurs ateliers.

La mairie souhaiterait faire de la Coop le “nouveau Berlin”, un espace artistique, jeune et attractif. Selon Zoé Bouchicot, c’est une “volonté de gentrification” qui se cache derrière ce projet. Une démarche qu’elle compare à celle opérée dans le quartier Gare dans les années 2000 et qui séduit certains artistes. Au Bastion XIV, Mathilde Cochepin s’y voit déjà. De retour de l’exposition “Résonance(s)”, la céramiste et illustratrice pour enfants déballe une tête de crocodile colorée. Dès la fin de son bail, elle prévoit de rejoindre les Ateliers bois du quartier Coop.

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Cofondatrice du Cric, Marie Storup ne regrette pas son départ du quartier Gare © Julie Lescarmontier

Ateliers et vie de quartier

Arthur Poutignat a déjà franchi le pas en rejoignant le Cric en 2019. Ancien membre de la Semencerie, l’artiste performeur évoque avec nostalgie les “Expositions de Voisins”, qui permettaient aux riverains de profiter d’un espace de création le temps d’un week-end. Depuis son arrivée au Cric, Arthur Poutignat regrette le manque d’actions sociales dans son nouveau quartier, classé lui aussi prioritaire par la politique de la Ville. 

Julie Lescarmontier et Angelina Lenez

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