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À une clientèle cosmopolite, dix boutiques du quartier Gare proposent de transférer de l’argent à l’étranger.

Alina* sort de son sac une carte d’identité et deux billets de 50 euros. “Pour la même personne que la dernière fois”, dit-elle dans un français hésitant. De l’autre côté du guichet, le responsable de l’agence s’assure du pays de destination : la Roumanie. D’ici 20 minutes, la famille d’Alina pourra aller récupérer l’argent dans une boutique partenaire, à 2 000 km d’ici. Changée en 500 lei roumains, la somme paiera la nourriture et l’électricité pour un mois. Ni Alina ni sa famille n’ont besoin de posséder un compte bancaire pour effectuer cet envoi d’argent.

Dans le quartier de la gare, ils sont nombreux en ce début de mois de novembre à se rendre dans une des dix boutiques proposant le service de transfert d'argent à l’étranger. Parmi eux, des immigrés comme Alina, qui expédient des espèces à leur famille restée au pays, mais aussi des patrons de PME ou encore des étudiants. Ils viennent de Strasbourg, de Bischheim, de Lingolsheim, ou de plus loin, comme Saverne.

Neuf de ces enseignes sont des commerces multiservices, partenaires de sociétés de transfert d’argent comme Ria. Dans ces téléboutiques, les clients peuvent aussi appeler à l’étranger dans une cabine téléphonique ou grâce à une carte SIM prépayée, acheter un téléphone, un ordinateur, un chargeur, faire réparer leur appareil électronique, récupérer un colis et parfois prendre un café ou une boisson fraîche à la machine. Moneytrans, rue Thiergarten, est la seule agence dont l’activité principale est la remise de fonds.

Un service destiné aux diasporas

Dans ce quartier cosmopolite, les téléboutiques cohabitent avec des épiceries asiatiques, des coiffeurs afro et des kebabs dont la clientèle recoupe la leur. On entend parler arabe, hindi, ou anglais  ; les commerçants sont parfois eux-mêmes d’origine étrangère. Rue du Maire-Kuss, les clients s'entassent dans la petite échoppe Jeno Telecom qui, selon un employé, existe depuis une vingtaine d’années. Faute de place à l’intérieur, Aurélie attend dans la rue avec une poussette. Elle vient une à deux fois par mois depuis une décennie et envoie à chaque fois 100 ou 200 € aux Comores pour son beau-père  : “J’ai l’habitude de passer par là. Ils ont tous mes papiers donc c’est plus simple, plus rapide.”

"La plupart de nos clients sont des immigrés qui envoient de l’argent à leur famille, parfois pendant des années, avant de pouvoir faire un regroupement familial, explicite le responsable de l’agence Moneytrans, rue Thiergarten. Les deux premières semaines du mois, quand les gens reçoivent leur paie, ou les allocations, nous avons environ 70 à 80 personnes par jour.” Ici, l’argent est majoritairement envoyé vers le Maroc, la République démocratique du Congo, la Géorgie et le Vietnam. En moyenne, les transferts avoisinent 150 à 200 €.

Il est aussi possible de réaliser des transferts internationaux via une banque, mais les virements sont plus longs (trois jours ouvrés) et plus coûteux. Christian envoie un peu plus de 1 000 € aux Philippines tous les mois, pour son entreprise. “Un virement bancaire me coûterait 33 €, alors qu’en agence, ils ne me prennent que 5 € de frais de transaction”, explique-t-il.


© Alexia Lamblé

 

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Les boutiques de transfert d'argent sont très ancrées au quartier gare et attirent notamment une population immigrée © Clara Grouzis

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© Alexia Lamblé

Selon le responsable de Moneytrans, les montants varient en fonction des pays et des périodes de l’année, notamment pendant les fêtes traditionnelles comme l’Aïd ou le Nouvel an vientnamien, où l’activité est plus intense. La société adapte alors sa stratégie marketing et fait baisser les frais de transaction. “En ce moment, les clients peuvent envoyer jusqu’à 200 € en Roumanie sans aucun frais”, détaille-t-il.

Des clients sans compte en banque

Avant la fin des années 2000, seul Western Union associé à La Banque Postale permettait d’envoyer de l’argent à l’autre bout du monde. L’arrivée de sociétés spécialisées comme Ria et Moneygram, ainsi que l’ouverture à la concurrence dans l’Union européenne en 2007, ont fait drastiquement baisser les coûts de transaction. Cette libéralisation a aussi ouvert la voie à des start-ups qui proposent des services dématérialisés. Il devient très facile, depuis son smartphone, d’envoyer de l’argent à n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Mais ces services en ligne supposent d’avoir un compte en banque, ce qui n’est pas toujours le cas des expéditeurs, et encore moins des bénéficiaires à l’étranger.

Omaima Zribi est arrivée en France il y a neuf mois avec son mari et sa fille de 2 ans et demi. Tous les mois, elle se rend à l’agence Moneytrans, pour envoyer 400 à 600 € en Tunisie où elle fait construire une maison. “J’espère pouvoir y retourner dès que possible. Mais je n’ai pas de compte en banque donc je passe par une agence”, précise-t-elle. Selon elle, “certains Arabes envoient presque tout leur salaire”.

Les clients amènent la somme en liquide pour la transférer à leurs proches résidant à l'étranger. © Clara Grouzis

Lutter contre le blanchiment

Mais Moneytrans fixe un plafond d’envoi mensuel à 3 000 €. Au-delà, l’agence peut demander les feuilles de salaire et l’avis d’imposition du client. En effet, les sociétés de remise de fonds sont soumises à de fortes contraintes pour lutter contre le blanchiment d’argent, qui se sont accentuées depuis 2016. “Mais tout cela n’empêche pas les gens qui veulent blanchir de l’argent de passer par ces services. C’est un peu un jeu d’équilibriste pour nous”, se résigne le responsable de Moneytrans.

Les transferts depuis la France vers les pays à revenus faibles et intermédiaires sont estimés à 11 milliards d’euros pour 2021 par la Banque de France. Cet argent venant des pays développés peut représenter plus de 25 % du PIB de certains États comme les Tonga, le Népal, le Tadjikistan ou Haïti.

Alexia Lamblé et Clara Grouzis

*Le prénom a été changé

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