Vous êtes ici

Depuis 2020, le boulevard de Nancy, artère majeure du quartier Gare de Strasbourg, héberge le café Quai 67. Derrière les ateliers socioculturels qu'il propose, une Église évangélique est à la manœuvre.

 

Alors où sont passés les autres ? Ils dorment ?”, plaisante Whitney Vallenari, une Américaine chargée d’enseigner le français au Quai 67. Depuis le boulevard de Nancy, au quartier Gare de Strasbourg, la vitrine ne laisse paraître qu’un café. Dans une grande salle à l’arrière, huit femmes sortent leur cahier pour la leçon du jour. En septembre, 76 élèves s’étaient inscrits aux cinq cours répartis sur trois jours dans la semaine. “Une grande partie d’entre eux sont en situation irrégulière, c’est difficile de les garder jusqu’au bout”, détaille Whitney.

 

[ Plein écran ]

Justin Dodson et Whitney Vallenari dans la salle de classe à l'arrière du café. © Alice Caillau

Ce 17 novembre, le cours porte sur “les deux types de phrases interrogatives”, s’exclame l’enseignante avec emphase et grands gestes. Les élèves ont une heure pour s’exercer à se poser des questions. Au deuxième rang, une Bangladaise et une Géorgienne rigolent en se corrigeant mutuellement, quitte à passer à l’anglais quand c’est trop difficile. Au fond de la salle, deux autres jeunes femmes s’en remettent à Google traduction pour comprendre le sens de certaines questions. Leurs difficultés n'échappent pas au regard de l’enseignante, qui délaisse son tableau blanc pour leur venir en aide : “Ça se prononce “comment”, effectivement c’est bizarre, mais c’est le français”, lance-t-elle d’un ton amusé.

Entre ces personnes qui ont pu fuir la guerre ou subir des discriminations religieuses, Whitney estime qu’“ici, il n’y a pas de conflit. Beaucoup se rendent compte lors de mes cours que la rivalité entre leurs deux cultures n’existe pas en France.” L’intégration, c’est un des objectifs de l’association Quai 67. “On a tous besoin d’une communauté”, affirme Elinor, une autre bénévole.

 

[ Plein écran ]

Elinor et Andrew, deux bénévoles de l'association Quai 67, s'occupent du café. © Alice Caillau

[ Plein écran ]

© Alice Caillau

Sur le mur de la salle, quelques détails discrets sur un triptyque coloré se réfèrent au christianisme. On y voit, sur l’un, deux personnes agenouillées qui prient et sur un autre, Adam et Ève. Whitney, aussi gérante du café, n’aborde jamais sa foi en cours, mais elle est salariée d’une ONG de missionnaires chrétiens évangéliques. À part les tableaux, rien dans la salle de classe n’évoque non plus les célébrations de l’Église évangélique Perspectives qui s’y tiennent le dimanche, lorsque le café est fermé.

De l’action sociale… mais pas que  

Sophie, la trentaine, bénévole au Quai 67, est une fidèle de cette Église, mais à la Krutenau, où s’est formé le projet en 2018. “Avant même d’avoir l’idée du café, on savait qu’on voulait aider. Quand j’ai rencontré une famille palestinienne avec sept enfants qui avaient besoin d’aide aux devoirs, ça nous a donné une idée de quoi faire.” En plus des cours de français et du soutien scolaire, le café propose aussi un accompagnement administratif.

Pour Sophie, c’est avant tout un acte de charité, pas du prosélytisme. “Moi, depuis que j’ai 15 ans, aider les autres, c’est quelque chose qui me tient à cœur.” En parallèle de ses activités au café, Sophie est professeure des écoles à la Meinau quatre jours par semaine. Son statut d’aumônière au sein de l’association Quai 67 lui procure un complément de revenu confortable. L’argent, dit-elle, provient des dons “de ceux qui croient au projet : des amis, de la famille”.

Justin Dodson, le pasteur américain de l’Église évangélique et président de l’association Quai 67, explique que le projet a été financé par “beaucoup d’ONG, de France, des États-Unis, du Canada…” Mais impossible de lui faire dire le nom des organisations. Celui qui a aussi été professeur de théologie en Afrique, admet seulement qu’“il y a des organismes chrétiens qui participent”.

En insistant auprès d’une autre bénévole, on apprend qu’une partie des fonds au moins provient d’organisations missionnaires telles que World Witness, qui emploie deux des intervenants du Quai 67. L’organisation se présente comme “l'agence des missions étrangères de l'Église ARP [l'Église presbytérienne réformée associée, également évangélique, ndlr]”. En somme, une structure qui vise à “établir des Églises” dans le monde, comme l’indique son site internet, autrement dit à répandre la foi chrétienne. 

Mais selon Justin Dodson, “seules deux ou trois personnes ont rejoint l’Église depuis le début du projet. En fait, la foi, c’est ce qui nous pousse à aider notre prochain, mais ce n’est pas le cœur de ce dont on parle ici. Après oui, on en parle, comme quelqu’un animé par l’écologie le ferait, parce que ça fait partie de notre identité.

Pour Jean Werlen, conseiller municipal délégué aux cultes, le Quai 67 fait bien du prosélytisme en faveur de son Église. Cependant, l’élu n’y voit rien d’alarmant pour le moment. “On n’a pas eu de signalement de prosélytisme excessif, mais on y garde une attention toute particulière, car on sait qu’il peut y avoir un risque.

Justine Le Pourhiet et Alice Caillau

Imprimer la page