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Une numérisation forcée

Avant la pandémie, Willy Hahn ne se serait jamais lancé dans une telle “aventure numérique”. “Le confinement m’a poussé à le faire, et ça a aussi drainé un nouveau public vers ma page.” Son compte Facebook a gagné 30% de likes et atteint aujourd’hui 613 abonnés. Les rencontres sur les réseaux sociaux sont difficiles à traduire en clients potentiels car les nouveaux venus viennent parfois de l’autre bout de la France. En plus de ses discussions en direct, Willy Hahn participe à des échanges en vidéoconférence. Le 18 mai, il échangeait avec Frédéric Couderc, auteur de Yonah ou le chant de la mer.

À la librairie Gutenberg, à Strasbourg, Facebook a servi à promouvoir la mise en place du système de vente à emporter, annoncée dans la newsletter. Sur le réseau social, la publication informant de l’initiative, le 22 avril, a touché près de 2000 personnes contre en moyenne 300 pour une publication en temps normal sur la page de la librairie. Françoise Laot, la gérante, se réjouit : “Quand on a lancé le drive, on a rappelé qu’il y avait un site internet, il était plutôt endormi depuis novembre, et maintenant on a des commandes tous les jours sur le site, avec des nouveaux clients.” Les sollicitations n’ont pas ralenti avec le déconfinement.

“Le contact, c’est le cœur de mon métier. Je suis libraire car j’aime la lecture et les livres, mais avant tout parce que j’adore en parler et en discuter avec les gens…” Pendant deux mois, Willy Hahn, gérant de la librairie “À livre ouvert” à Wissembourg, n’a pas pu accueillir ses clients au sein de son magasin. En revanche, sa passion pour la littérature étant loin d'être restée confinée, il a organisé des Facebook lives pour partager ses lectures sur la page de sa boutique.

Prendre le temps

Plus de virtuel et moins de rencontres, le confinement a aussi modifié l’usage des applications et sites de dating, obligeant parfois leurs utilisateurs à investir davantage le temps de la discussion. Tinder a noté une augmentation de 25% de la durée des conversations entre usagers à travers le monde. Adepte de ces sites depuis plusieurs années, Thibault*, 30 ans, a fait le même constat : “ll n’y avait pas la pression d’un rendez-vous tout de suite. C’est évident qu’on prenait plus le temps d’échanger, de se connaître.”

Pour Caroline*, 21 ans et confinée à 25 km de son compagnon, l’abstinence due à l’éloignement s’est révélée salutaire. “Le manque de libido était là depuis quelque temps, sans raison, et ne pas voir mon chéri pendant deux mois, ça me l’a fait remonter”, se réjouit-elle. “L’éloignement a pu permettre à certains de ne plus être sous cette sollicitation, de pouvoir un peu respirer et du coup de laisser revenir leur propre souffle de désirs”, estime la sexologue Maria Victoria Hernandez. 

Sans être séparés géographiquement, Magalie* et son petit ami ont mis de la distance dans leurs ébats. Une occasion pour le couple confiné à Griesheim d’échanger sur leurs appétits mutuels. “Même si on a eu moins de rapports, le confinement nous a fait beaucoup plus discuter de notre sexualité ensemble, de ce qu’on aimait et de ce qu’on aimait moins”, raconte la jeune femme de 24 ans. Des mots, plus que des gestes, qui ont permis au couple de tout mettre à plat et à Magalie “d’arrêter de vouloir que tout soit parfait”. 

Manon Lombart-Brunel
Madeleine Le Page

 *les prénoms ont été modifiés

Le virtuel peut-il remplacer le réel ? 

Combler l’absence de galipettes et autres parties crapuleuses est aussi passé par un recours accru aux plateformes de rencontre, permettant à certaines de battre des records de connexions. Pour la seule journée du 29 mars, Tinder, par exemple, a enregistré plus de trois milliards de swipes, ces balayages du doigt sur l’écran pour initier ou non un contact avec un potentiel partenaire. Une première depuis la création de l’application en 2012. 

Benjamin*, étudiant de 21 ans en école de commerce à Strasbourg, l’a téléchargée au tout début du confinement, mi-mars. Résultat : des discussions virtuelles avec des filles pendant plus de deux mois qui ne l’ont pas pour autant convaincu de cette nouvelle manière de draguer. “J’ai désinstallé l’application dès le 11 mai. Ça n’a pas donné grand-chose à part un plan fesse que j’ai concrétisé juste après le déconfinement. Je trouvais ça sympa au début mais c’est 10, 20, 30 fois le même sujet de discussion”, déplore-t-il. “Ça peut vite devenir assez chaud par message”, explique de son côté Alexandre, un responsable de vente strasbourgeois de 27 ans qui s’est rapidement lassé de ces échanges sans lendemain. “Il fallait réussir à maintenir une espèce de contact pour ne pas se faire doubler” et au passage s'assurer une rencontre à la clé.

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