De l'alsacien au Pérou
Si ces vidéos s’adressent principalement à des enfants de 3 à 11 ans, elles touchent en réalité un public bien plus large et quelquefois lointain. Péruvien de 33 ans, Alonso Martens n’a jamais mis un pied en France, mais ce polyglotte qui maîtrise l’allemand s’est pris de passion pour ce dialecte. "J'ai connu l'Alsace grâce à une amie qui a visité Mulhouse il y a quelques années et m’a beaucoup décrit la ville et la région." Un amour inattendu pour l’Alsace qui dépasse le simple intérêt pour la langue : Alonso est aussi un grand fan du Racing club de Strasbourg. Ces vidéos pédagogiques lui permettent de s’initier à l’alsacien : "J’admire Isabelle, c’est une grande artiste. J’aime regarder ses vidéos, elles sont sympas, et elle explique tout très bien." En plus des vidéos, Alonso écoute France Bleu Elsass pour parfaire sa connaissance de la langue, mais aussi de la culture alsacienne. Tout comme le quechua – la langue traditionnelle péruvienne – qu’il apprend également, il a à cœur de revaloriser ces langues régionales pour qu’elles ne disparaissent pas.
Bien que certains aient continué de se rencontrer, Nadia Mariott, sexologue dans le Bas-Rhin, considère que le contexte sanitaire a un effet profondément négatif sur les rapports de séduction : “Il y a quelque chose de délétère, d'angoissant lié à la défiance de l'autre et au danger de mort. Les personnes célibataires qui essayent de rencontrer quelqu'un sont désespérées.” Avoir confiance en l’autre devient donc crucial avant le premier rendez-vous. Clara*, 22 ans, a rencontré deux personnes depuis le déconfinement, et a eu des relations sexuelles avec l’une d’entre elles : “On n’avait pas de gants, pas de masque mais on en avait parlé avant. Ça me semblait un peu normal puisque déconfinement ne veut pas dire disparition du virus.”
Des distances malgré l'attirance ?
Théo n’a eu de relations sexuelles qu’au sein de son cercle de connaissances. “J’ai eu le coronavirus. Mais les filles que j’ai vues, c’était des gens que je connaissais déjà, avec qui j’ai un rapport de confiance. Je les avais donc prévenus et ils ont tout de même souhaité qu’on se retrouve.” Avoir une relation sexuelle avec une personne inconnue lui poserait problème. Une solution qu’il se dit cependant prêt à envisager, à condition de discuter d’abord sur internet pour être sûr de son partenaire. Comme pour une maladie sexuellement transmissible. “C’est un peu comme une MST, on peut l’avoir, on peut la filer à d’autres”, estime Valentin.
Arthur* est totalement en désaccord avec cette vision : “Un virus comme ça, c’est silencieux. Que ce soit avec la nana avec qui j’étais avant le confinement ou que ce soit avec quelqu’un d’autre, le potentiel de risque est le même.” Un virus volatile est plus facile à attraper qu’une MST.
Les discussions préliminaires aussi sont différentes maintenant que le coronavirus bouleverse notre intimité. “Est-ce que tu as des symptômes, es-tu en bonne santé, est-ce que tu veux que je porte un masque ?” Les échanges avant le premier rendez-vous d’Alice ont été étranges : “C’était marrant parce que dans nos discussions, on se disait ‘est-ce qu’on doit faire une sérologie avant d’enlever le masque ?’” Ce qui était en jeu avec le préservatif hier vaut aujourd’hui pour un baiser.
Léo Bensimon
Juliette Mylle
*Les prénoms ont été modifiés
Jusqu’à l’âge de 3 ans, l’artiste n’a parlé que l’alsacien. "J’ai appris le français par immersion à l’école. À la maison je n’ai jamais arrêté de parler le dialecte, c’est comme ça dans la famille." Une habitude qu’elle a transmise à ses enfants. Ce sont d’ailleurs les comptines que lui chantait son arrière-grand-mère que l’on retrouve dans ses vidéos. Elle écrit aussi ses propres chansons depuis l’âge de 17 ans, qu’elle interprète partout en Alsace. Plutôt habituée de la scène, cette quadragénaire originaire de Haguenau a décidé de créer sa chaîne Youtube quand elle a su que les établissements scolaires où elle intervient régulièrement resteraient fermés : ”Comme j’avais des projets en cours dans les écoles, les crèches, des spectacles, c’était histoire de pas perdre le contact."
"Ça faisait longtemps que j’attendais une telle initiative"
L’aspect pédagogique de ses petits films a séduit Jean-Georges Levasseur, professeur bilingue français-allemand à l’école primaire René-Spaeth à Ribeauvillé (Haut-Rhin). Il envisage de les utiliser avec ses propres élèves. "On sent vraiment qu’elle intervient dans les classes, il y a un côté pédagogique, elle fait répéter, et c’est très visuel." Ces vidéos sont devenues un rendez-vous bihebdomadaire pour l’enseignant. L’alsacien fait partie de sa vie depuis sa naissance grâce à ses grands-parents : "Je le comprends assez bien mais ce n’est pas une langue que j’utilise au quotidien avec ma femme et mes enfants."
Transmettre sa langue régionale à ses enfants est au contraire une priorité pour Benjamin Ludwig, responsable de l’action culturelle de la communauté de communes du Pays de Ribeauvillé et chanteur dans le groupe de musique traditionnelle Les Hopla Guys. "Je suis constamment en veille sur ce qui concerne la langue régionale, pour moi mais aussi pour mon métier. Ça faisait longtemps que j’attendais une telle initiative." Les vidéos d’Isabelle Grussenmeyer sont parmi les seules que les enfants ont le droit de regarder à la maison. C’est Roméo, 4 ans, qui en est le plus féru. "Il en redemande et surtout, le plus important, il participe. Il répète spontanément. Un résultat que n’arrivent pas à produire certains autres contenus", explique Benjamin Ludwig.
je n’avais jamais fait de bénévolat auparavant", témoigne Armelle Amouroux, 79 ans, couturière de métier. La retraitée s’est promis de ne pas perdre le fil. Cet été, elle participera au grand barbecue qui se prépare déjà.
Lucie Caillieret
Achraf El Barhrassi
Jusqu’à l’âge de 3 ans, l’artiste n’a parlé que l’alsacien. "J’ai appris le français par immersion à l’école. À la maison je n’ai jamais arrêté de parler le dialecte, c’est comme ça dans la famille." Une habitude qu’elle a transmise à ses enfants. Ce sont d’ailleurs les comptines que lui chantait son arrière-grand-mère que l’on retrouve dans ses vidéos. Elle écrit aussi ses propres chansons depuis l’âge de 17 ans, qu’elle a l’habitude d’interpréter partout en Alsace. Plutôt habituée de la scène, cette quadragénaire originaire de Haguenau a décidé de créer sa chaîne Youtube quand elle a su que les établissements scolaires où elle intervient régulièrement resteraient fermés : ”Comme j’avais des projets en cours dans les écoles, les crèches, des spectacles, c’était histoire de pas perdre le contact."
Avoir confiance avant de se voir
Pour d’autres, comme Valentin*, la peur de contaminer des personnes fragiles a pris le pas sur le contact physique. “À 39 ans, je rencontre principalement des femmes qui ont des enfants. Avoir des contacts, c'est mettre en danger toute une famille”, explique-t-il. L’unique rendez-vous qu'il a eu post-confinement s'est déroulé sans masque, mais avec un mètre de distance. “On s'est fait la bise, naturellement, puis on s'est dit ‘merde, on a oublié il fallait pas !’”, avoue le Strasbourgeois.
En quelques jours, 250 bénévoles se présentent, des appels aux dons de tissus sont lancés, la chaîne de production est organisée : couture, découpe et repassage. Des kits sont aussi disponibles pour ceux mobilisés à domicile. Les masques pour enfants et adultes sont ensuite distribués par des bénévoles, dans les boîtes aux lettres, aux Haguenoviens qui les ont commandés.
"Une grande fierté"
Cet atelier incarne avant tout une aventure collective, un condensé d’humanité et de solidarité. "Certains me disaient n’avoir jamais vécu quelque chose de pareil", s’enorgueillit Marie-Christine Staedel. Face à un confinement inédit, se retrouver pour aider les autres a rendu les choses plus faciles à vivre. "Tous les jours j’ai été dans cette salle, je voyais du monde, on s’est même fait des amis. C’était une grande fierté, je n’avais jamais fait de bénévolat auparavant", témoigne Armelle Amouroux, 79 ans, couturière de métier. La retraitée s’est promis de ne pas perdre le fil. Cet été, elle participera au grand barbecue qui se prépare déjà.
Lucie Caillieret
Achraf El Barhrassi
Pour pallier la fermeture des écoles où elle délivre des cours d'alsacien, Isabelle Grussenmeyer a lancé, dès le 15 mars, sa chaîne Youtube. Elle va continuer cette expérience numérique qui a trouvé son public.
Avec ses doigts, Isabelle Grussenmeyer mime la pluie qui tombe, l’arc-en-ciel qui se dessine dans le ciel. Des illustrations colorées et enfantines s’affichent en haut à droite. Doucement et distinctement, elle énonce le soleil (Sùnne), la pluie (Raje) ou la neige (Schnee). Elle imite le bruit de la grêle et du vent. Face à sa caméra, l’apprentie youtubeuse passe allègrement du français à l’alsacien. Elle propose ensuite de répéter ces sonorités au parfum germanique en marquant des temps de pause. Dès la seconde vidéo, elle remplace des mots de son introduction par leur équivalent en langue régionale : "Guede Morje Kìnder, guede Morje Groossi, guede Morje Kleini" (Bonjour les enfants, bonjour les grands, bonjour les petits). Chaque vidéo est l’occasion d’apprendre une comptine ou du vocabulaire autour de la nourriture ou encore des couleurs. Au 27 mai, la chaîne Youtube de l’autrice-compositrice-interprète de chansons en dialecte comptait 24 vidéos et 125 abonnés.
La première vidéo d’Isabelle Grussenmeyer comptabilise 1 281 vues. © Isabelle Grussenmeyer
Ensemble pour protéger les autres
L'idée a germé dans la tête de Marie-Christine Staedel, fille de commerçants, qui a elle-même tenu pendant seize ans une boutique de nutrition et bien-être. L’attention à l’autre, c’est ce qui a poussé cette native d’Alsace du Nord à s’essayer à la fabrication de masques en tissu lorsqu’une cliente lui a demandé où s’en procurer. Marie-Christine Staedel contacte la mairie qui lui met à disposition la Salle des corporations, où elle va monter cet atelier.
Donner du sens à cette période
Un engagement "évident" pour Stéphanie Ledoux, professeure d’anglais de 53 ans : "Je me suis dit que si tout le monde agissait, ça donnait du sens à cette période hors-norme." Fin mars, le CCAS la contacte pour aider une dame d’origine malgache, de plus de 80 ans. "Ça ne s’arrête pas uniquement à 'je fais vos courses, je vous les dépose et au revoir'", explique la Haguenovienne. Même si elle passera prochainement la main à une autre bénévole, par manque de disponibilité, elle en tire une leçon : "Ça m’a confirmé que c’est le genre de démarche qui m’interpelle et m’intéresse."