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© Juliette Mylle

"On ressort grandie et humble", confie de son côté Isabelle Gaulmin, parce qu’au fil des jours, une relation de confiance et une complicité se créent. Elle qui restait au départ devant la porte d’Angèle, a fini par "déballer les courses ou réparer sa table basse". 

Face à tant de bonnes volontés, l’adjointe Mireille Illat souhaite que soit mise en place, durant ce nouveau mandat, une "bourse du bénévolat" sous la forme d’un site internet. Avec cette plateforme, l’élue espère "permettre aux associations de signifier leurs besoins et aux personnes qui ont envie d’agir, de s’engager, de manière pérenne ou plus ponctuelle". En attendant, des trésors d’entraide ont émergé à Haguenau : paniers de fruits et légumes offerts aux auxiliaires de vie, dons des entreprises locales au personnel soignant, atelier des couturiers.

Ce dernier projet a permis la confection bénévole de 30 000 masques, en un peu plus de six semaines.

Comment se déroule un rencard post-confinement ? Pour Alice*, 34 ans, le premier rendez-vous avec un homme rencontré via l’application Fruitz était masqué : “C'était étrange, mais je me suis sentie à l'aise. Le masque agissait comme un filtre : on était encore un peu planqué.” Porter un masque, des gants, respecter un mètre de distance… Des mesures qui ne sont naturelles pour personne. Théo*, qui a rencontré des femmes pendant et après le confinement, ressent lui de la frustration. “La situation sanitaire modifie les rapports de séduction. Avec un masque, on ne peut pas voir le sourire de la personne”, détaille le jeune homme de 26 ans.

La principale difficulté réside peut-être dans l'opposition entre envie de contact physique et distanciation sociale. “Une relation sans se tenir, sans se rouler des pelles, ce n’est pas une relation”, affirme Sylvain*, 41 ans. Arthur, 33 ans, qui était dans un couple ouvert au début du confinement, a dû trancher le dilemme : “On était tous les deux assez flippés par le Covid, mais c'était un risque à prendre. À un moment, lui faire un câlin était plus important que la peur du virus.”

Les deux femmes ne se connaissaient pas. C’est le registre solidaire de Haguenau qui les a mises en relation. Dès la deuxième semaine du confinement, la municipalité bas-rhinoise a en effet décidé de s’inspirer d’un dispositif déjà utilisé lors des périodes de canicule ou de grand froid. "On a tout de suite porté une attention particulière aux plus vulnérables : les personnes âgées, handicapées ou isolées, en mettant en place un système pour les courses ou les médicaments", expose Mireille Illat, adjointe sortante aux solidarités. En tout, une centaine d’habitants ont signé une convention de bénévolat auprès du Centre communal d’action sociale (CCAS) pour aider 90 personnes. 

Le coronavirus étant toujours présent, les rencontres physiques demeurent potentiellement dangereuses. Les rapports à la séduction, aux rendez-vous galants et à la sexualité se réinventent. 

Les personnes âgées font face à “une nouvelle dépendance” qui “les démoralise et fragilise leur estime de soi”. C’est ce qu’explique Alexandra de Saivre, fondatrice de Tous en Tandem, une association qui promeut les nouvelles technologies chez les séniors, en collaboration avec des Ehpad à Strasbourg et Colmar. Pendant le confinement, les membres de l’association ont dû laisser de côté les appels via Skype et revenir aux traditionnels coups de téléphone.

Une formation à l'usage du smartphone

Il n’a pas fallu attendre la crise sanitaire pour que la place du numérique dans le maintien du lien social avec les aînés soit prise en compte. L’association Génération mouvement 67 organisait déjà des séances de formation au numérique qui ont dû brutalement être suspendues. Jacques Cordonnier, le président de la fédération bas-rhinoise, y voit l’occasion de les repenser : “On va désormais ajouter à nos formations l’utilisation de la visioconférence. On s’est rendu compte que l’usage des tablettes ou des ordinateurs n’était pas évident, même pour ceux qui en ont l’habitude.”

Les personnes âgées sont cependant de plus en plus familiarisées aux nouvelles technologies par leur entourage ou au cours de leur carrière. Francine, 68 ans, est membre d’une association de séniors à Illkirch-Graffenstaden où elle a bénéficié, l’année dernière, d’une formation au smartphone. Le confinement lui a permis d’approfondir sa maîtrise de l’outil, notamment grâce à sa fille :  “Maintenant, j’arrive à utiliser WhatsApp et Hangout (deux applications de messagerie instantanée, ndlr). J’ai pu joindre une amie confinée au Laos et faire des apéros avec ma fille.”

Assurément, cette crise a au moins permis de rendre visible les conditions de vie du grand âge, estime Arnaud Campéon, sociologue spécialiste du vieillissement. Un point positif, selon lui, dans “une société de performance et de jeunisme où la place réservée aux personnes âgées n’est pas éclatante, alors que les 60 ans et plus représentent 15 millions de personnes en France”.

 

Inès Guiza
Myriam Mannhart

Une fois par semaine depuis le confinement, Isabelle Gaulmin, 28 ans, effectue des courses alimentaires pour Angèle, 88 ans, qui vit seule et sans parent à proximité. Moins d’un kilomètre sépare cette employée d’une entreprise pharmaceutique du domicile de l’octogénaire. Elle y récupère sa liste de courses, avant de revenir les bras chargés. "Avec mes grands-parents, je me suis rendue compte que des personnes autonomes peuvent se retrouver en situation de dépendance", souligne la Haguenovienne. "Dès le début de la pandémie, je me suis demandée comment aider."

Drives et livraisons de paniers ont permis aux producteurs et maraîchers de séduire de nouveaux clients. © Sharonang / Pixabay

“Avec les personnes dépendantes, la communication passe par les gestes : se tenir la main, une caresse… Skype ne remplacera jamais tout ça”, témoigne Marie-Laure, 57 ans. Sa mère, octogénaire, vit dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et ne parle plus. Les échanges par Skype ont finalement été une épreuve douloureuse à vivre pour sa fille. Elle estime que “beaucoup vont mourir du manque de contact et de stimulation”.

Les services publics se sont saisis de l’outil numérique pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, sommées de rester chez elles malgré le déconfinement progressif. Le conseil départemental du Bas-Rhin a fourni, en avril, 300 tablettes à 77 Ehpad. Le moyen de garder le contact avec les proches, dont les visites étaient interdites pendant le confinement. Freddy, infirmier-coordinateur dans une maison de retraite au nord de Strasbourg, bénéficiaire de six tablettes, explique que “les familles étaient demandeuses de visioconférences”. Voir leurs proches à distance fait “du bien” aux résidents qui sont parfois restés un mois sans sortir de leur chambre. 

“Il faut remettre le numérique à sa bonne place”

Pour les séniors dépendants, comme la mère de Marie-Laure, il est difficile d’appréhender la visioconférence, affirme Freddy. “Les personnes atteintes de troubles cognitifs pensent voir une photo ou une vidéo de leurs proches”, sans comprendre qu’il s’agit d’une rencontre en direct. D’ailleurs, la présence physique favorise davantage la stimulation du cerveau que ne le permet le numérique, selon Frédéric Bernard, chercheur en neuropsychologie à Strasbourg. Les personnes âgées, en perte de capacités cognitives et sensorielles, sont d’autant plus concernées. 

“Il faut néanmoins remettre le numérique à sa bonne place, comme le maillon d’une chaîne. L’accompagnement est un facteur clé de prise en main et d’appropriation”, estime Véronique Chirié, ingénieure, présidente du Tasda*. Pour elle, l’arrivée de tablettes dans les Ehpad a eu lieu trop tard puisque “tous ces outils nécessitent beaucoup d’accompagnement, de soutien et de formation”.

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