Dans le centre-ville, cette fleuriste raconte que son père faisait partie de ces anciens rattrapés par la nostalgie du communisme. « Pourtant, la Révolution a été une libération pour lui qui était si malheureux de vivre sans libertés », se remémore, émue, Ella Fodar. Elle-même avait 12 ans en 1989, et se souvient comment ses parents fermaient les rideaux de l’appartement le soir. « Nous écoutions des radios clandestines doucement, car on avait peur que des voisins appellent la police. » Elle explique la nostalgie tardive de son paternel par « l’absence de chômage à l’époque communiste ».
Pour l’historien Virgiliu Ţârău, plus que la nostalgie, le principal problème réside dans « l’oubli du passé. Il faut chercher à comprendre le présent en regardant l’histoire ». Ce combat a débuté dans les années 2000 avec une lutte pour l’ouverture des archives. L’objectif est désormais de « transmettre ce passé aux jeunes ». Au sein des familles, par l’école et dans l’espace public. L’entrée dans l’Union européenne a permis un premier pas, car avant de se tourner vers l’Occident, « beaucoup ont considéré qu’il était important de questionner le passé communiste. Ouvrir le débat a contribué à démocratiser la société ».
« Délivrer l’histoire comme un bien public »
Dès sa genèse, le Mémorial de Sighet s’est jeté dans la bataille des mémoires. Face à « l’homme nouveau, le cerveau lavé » que rêvait de créer la dictature, Ana Blandiana, poétesse et fondatrice du Mémorial, tente de « ressusciter la mémoire collective ». Ce projet, porté avec son mari défunt, l’écrivain Romulus Rusan, a été soutenu par le Conseil de l’Europe (qui l’a nommé en 1998 parmi les trois premiers lieux de la mémoire européenne, avec le Mémorial d’Auschwitz et le Mémorial de la Paix de Caen). Avec l’objectif de « délivrer l’histoire comme un bien public, pour compenser le silence des autorités » dans les années qui ont suivi la chute de Ceaușescu, explique l’historien Virgiliu Ţârău. Il est aujourd’hui reconnu d’utilité publique et destination de sorties scolaires. Entre 120 000 et 140 000 personnes le visitent chaque année.
La mine a longtemps englobé tous les domaines de la vie de la vallée. En témoignent encore le palais culturel minier à Lupeni, grand bâtiment blanc orné de dorures, ou le terrain de football à l’abandon. Aujourd’hui, pour les jeunes mineurs, il s’agit juste d’un emploi comme un autre. « Travailler à la mine, c’est l’emploi le plus stable ici », explique Stefan Dobârcean, 35 ans, habitant de Petrila et contremaître depuis 15 ans à Lupeni. Les conditions de travail n’ont pas évolué depuis les années 1980 : « Le métier est dur car il n’y a pas d’investissements. C’est comme aller au travail dans une maison pas finie. » Mais pour les travailleurs, la solidarité demeure essentielle et question de vie ou de mort. « C’est le plus grand esprit collectif qui existe. Si tu ne fais pas confiance aux autres, il y a des accidents », s’exclame ce père de famille.
Vendre de l’ail des ours pour survivre
Pendant des générations, être mineur était un héritage familial. Cet ancien houilleur de 46 ans, qui travaille désormais dans une station essence, confirme : « À l’école, on nous apprenait que notre futur, c’était la mine. C’était normal d’aller y travailler. Comme tout le monde, mes parents étaient mineurs. » Un sentiment d’appartenance qui a parfois été manipulé. Pendant les « Minériades », à l’aube des années 1990, des milliers de mineurs se sont rendus à Bucarest en train pour contrer une manifestation opposée au pouvoir. Les ouvriers de l’or noir y ont été fortement poussé par le gouvernement et les syndicats. En 1977, les houilleurs de la vallée s’étaient déjà mobilisés, conduisant Ceaușescu à faire des concessions sociales. Depuis ces épisodes, de nombreux Roumains ont une image de « fauteurs de trouble » des mineurs de la vallée de Jiu.
Petrila, 9h30, dimanche matin. Dans un café, assis à une table en formica marron, fleurant bon les années 1970, Luca Vasile a déjà bu son verre de vodka. Son béret sur la tête et son pull bleu marine lui donnent un air de vieux loup de mer. Il paraît bien plus vieux que ses 67 ans. L’homme a été à Petrila pendant 24 ans, jusqu’en 2004. Les yeux brillants, il assure : « La vie et les conditions de travail étaient meilleures pour les gens d’ici quand ils pouvaient travailler à la mine. La fermeture, ça a brisé des familles, il fallait être d’accord sur partir ou rester. »
Par ailleurs, la Transylvanie est une région où se côtoient de nombreux cultes : plus de 15 % de protestants, catholiques ou gréco-catholiques. « En raison de cette diversité, et bien qu’en réaction une minorité d’entre eux sont encore plus fondamentalistes, la plupart des jeunes Clujiens orthodoxes sont davantage sécularisés et tolérants qu’ailleurs en Roumanie », explique le sociologue.
Alex, lycéen de 18 ans, fait partie de ces jeunes Roumains progressistes. « Notre génération a pu développer ses propres opinions, indépendamment du cadre familial et religieux », s’enthousiasme-t-il. À l’entrée d’un des nombreux campus universitaires de Cluj, Stefan et Dan, 20 ans, se retrouvent pour une pause clope entre deux cours. Le premier ne va plus à l’église où ses parents l'emmenaient et le second n’y retourne que pour faire plaisir à sa mère. Ces deux étudiants en informatique racontent qu’ils peinent à retrouver leurs aspirations dans les discours très conservateurs des prêtres orthodoxes : « Les valeurs qu’ils défendent sont celles des plus anciens : il faut suivre les principes moraux traditionnels. Ils mettent la pression par rapport au sexe, au couple, à la fête… L’écart est trop grand par rapport à notre mode de vie. »
Génération bidouillage
Les fondateurs de Cyber Threat Defense, Remus Munteanu, comme « Iceman », n’avaient ni ces certifications, ni pléthore de ressources à disposition pour apprendre à devenir hackers – encore moins hackers éthiques. Ils sont de la génération bidouillage. « Dans cette industrie, tout le monde dans notre génération a un peu de bagage [dans le hacking illégal] ... On a bien dû apprendre quelque part », sourit Andrei Pușoiu. La génération de self-made hackers, née sous la répression communiste de Nicolae Ceaușescu, a porté la Roumanie sur le devant de la scène cyber.
Presque en adoubement de cette particularité roumaine, la première institution européenne à s’installer dans le pays n'est autre que le Centre de compétences en matière de cybercriminalité. « Différents facteurs ont parlé pour la Roumanie, explique Martin Übelhör de la Commission européenne, chargé de cette institution cyber à Bruxelles. La Roumanie est connue pour ses diplômés universitaires qualifiés, ses spécialistes en cyber et un écosystème dynamique avec de grandes et petites entreprises spécialisées dans ce domaine. »
La Roumanie, riche en cybersécurité, mais pas cybersécurisée
Le fonctionnaire européen nomme à titre d’exemple BitDefender. Spécialisée dans les solutions de cybersécurité, la société née au début des années 2000 est présente dans près de 200 pays et se place comme l’une des leaders dans son domaine.
Les entreprises cyber roumaines prospèrent. Cluj IT, un cluster d’entreprises spécialisées dans les technologies de l’information dont Risktronics fait partie, est passée d’une trentaine d'entreprises à sa fondation en 2012 à plus de 70 – sans compter les acteurs de la recherche universitaire. « La dynamique est très positive, notre expansion suit celle de la Roumanie dans ce domaine », témoigne l’une de ses administratrices. Le problème ? Les experts de la cybersécurité roumains travaillent principalement pour des clients étrangers. Seulement un client sur dix de CTD est Roumain. « Rien que dans les dernières semaines, beaucoup de sites essentiels en Roumanie ont été attaqués. Mais avec des attaques très rudimentaires de type DDOS [attaque par déni de service, qui consiste à surcharger un site pour le rendre indisponible, NDLR], se désespère Remus Munteanu de Risktronics. N’importe qui peut les utiliser moyennant quelques crypto-monnaies. La Roumanie doit plus investir dans sa propre cybersécurité. »
Emma Bougerol et Laure Solé
En célébrant ses martyrs, Marius Visovan pense aussi à son père, Aurel Visovan, qui a « souffert seize ans dans les prisons communistes. Avant d’être arrêté, il dirigeait un groupe de résistants armés dans les montagnes dans les années 1950 ». Au Mémorial, sa cellule, la 74, est aujourd’hui dédiée aux résistants de la région du Maramureș.
Quelques nostalgiques d'un passé fantasmé
Le fils de l'ex-prisonnier politique juge que « les politiques et la société roumaine dans son ensemble ne cultivent pas la mémoire ». Certains affirment même regretter cette époque. « Beaucoup de personnes âgées, qui étaient jeunes dans les années 1960 et 1970, gardent une bonne image de leur enfance et sont nostalgiques du communisme », estime l’historien Virgiliu Ţârău. « Cette nostalgie est comparable à l’ostalgie », ressentie en Allemagne à l'égard de la RDA, après la dissolution du régime communiste. « En pensant à leur enfance durant l’âge d’or du communisme roumain, des personnes âgées se disent aussi qu’à l’époque, leur destinée n’apparaissait pas si terrible. »
Deux lieux symboliques : « Nos évêques martyrs sont morts tués par le régime communiste dans cette ancienne prison. Le cimetière des pauvres est le lieu présumé de leur enterrement. Dans quelques mois, un sanctuaire et une église qui leur seront dédiés sortiront de terre », explique le prêtre Marius Visovan. Dans cette foule chantante où l’habit fait le moine, la nonne et l’évêque, celui de Marius, composé d’une simple toge noire et d’une étole argentée, indique qu’il est un curé local.
Sighet, symbole des horreurs du communisme
De 1945 à 1989, environ 600 000 Roumains ont été arrêtés et condamnés pour leurs opinions politiques. Parmi les plus de 230 centres de détention de la dictature, celui de Sighet est loin d’être le plus grand ou le plus mortifère. Mais il est devenu un symbole de la répression politique, qui a atteint son paroxysme dans les années 1950, lorsque 200 anciens ministres, parlementaires, journalistes, militaires et religieux y ont été enfermés. Une cinquantaine y sont décédés, parmi lesquels quatre évêques gréco-catholiques.
Christian Rosu, administrateur général de l’entreprise confirme : « On est sur une phase descendante, l’horizon, c’est la fin du charbon. » Contrairement à la France, où les mines ont fermé car les veines devenaient trop difficiles d’accès et les coûts croissants, dans la vallée de Jiu, le charbon, il y en a encore. « Les réserves resteront présentes, même après 2032. Les dernières tonnes seront extraites en 2030. Et les deux années suivantes serviront à s’occuper de la fermeture des galeries souterraines », planifie l’administrateur général. Mais si un nouveau choc mondial venait changer la donne ?
« Le plus grand esprit collectif qui existe »
Moins de charbon certes, mais la vie n’en devient pas plus heureuse pour les habitants. Au contraire. En 2020, la société Hunedoara Energy Complex, endettée à hauteur de 1,5 milliard d’euros, a licencié 1 500 salariés, en grande majorité des mineurs proches de la retraite. 350 licenciements sont prévus en 2022. Ces dernières années, des mines ont déjà fermé leurs portes. Celles encore en activité n’emploient plus que 2 400 personnes aujourd’hui. Ils étaient 45 000 mineurs pendant la décennie 1990. En s’enfonçant dans la vallée, une route centrale traverse les villages, anciens fleurons de l’extraction du charbon.