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Il y a moins de trente ans, on ne sortait pas en t-shirt blanc à Petroşani, au cœur de la vallée de Jiu. On pouvait tenter, mais le vêtement devenait noir poisseux. Noire, c’était aussi pendant des décennies la couleur de la rivière Jiu, qui traverse la vallée. À mesure que le cours d’eau retrouve sa transparence, l’horizon devient plus trouble dans la vallée.

Le charbon a longtemps été vedette et source de prospérité de ce territoire situé dans le sud-ouest de la Roumanie. Dans la « valea Jiului », l’extraction a commencé en 1848. Aujourd’hui, la houille ne fait plus partie de l’avenir. L’Union européenne impose au gouvernement roumain de fermer les quatre mines encore en activité dans la vallée d’ici 2032. À Petroşani, plus grande ville du territoire avec ses 40 000 habitants, dans un imposant bâtiment de brique aux airs soviétiques, se trouve le siège de l’entreprise Hunedoara Energy Complex. Le groupe public gère les quatre mines de la vallée de Jiu et une centrale thermique.

 

Rapides et onéreuses, les cliniques privées pullulent

Le manque de moyens du secteur public a favorisé ces dernières années le développement des cliniques privées (voir data). Après avoir été patient du Dr Dulau, Ovidiu Stoika, 37 ans, s’est tourné vers les cliniques privées à son retour en Roumanie, après 15 ans passés en France. Cet ancien habitant de Valea Lungă venu rendre visite à ses parents explique payer plus cher pour être rapidement pris en charge. Souffrant d’une hernie discale, cet ancien bûcheron a déboursé 161 euros pour son scanner, passé le jour même. « Pour un contrôle à l'hôpital public, j’aurais attendu trois semaines », avance l’intérimaire.

Dans un pays où le revenu moyen net ne s’élève qu’à 795 euros, se soigner dans le secteur privé reste inaccessible pour les bas salaires. Créant une médecine à deux vitesses, les cliniques privées assurent une prise en charge rapide moyennant des dépenses élevées. Dans les campagnes, le médecin de famille reste pourtant primordial pour maintenir l’accès aux soins : les consultations, fondées sur le principe du tiers payant, évitent aux patients assurés d’avancer les frais. Leur proximité facilite également une prise en charge rapide des urgences. « On a eu à gérer des accouchements au cabinet, des chocs anaphylactiques, une personne fauchée par un train…» liste Elena Dulau.

Le médecin de famille est aussi un pilier pour certains habitants. « Ils jouent un rôle important dans la communauté, spécialement auprès des plus âgés », explique Iuliana, 30 ans, propriétaire d’un magasin de construction à Valea Lungă . Durant la pandémie de Covid, certains patients positifs ont refusé d’aller à l'hôpital, préférant être suivis chez eux. « La plupart des personnes s’attendent à ce que leurs problèmes soient résolus directement au cabinet. Mais surtout, les gens veulent avoir du temps pour parler », résume Elena Dulau.

Hadrien Hubert

Leïna Magne

Dans le sud-ouest de la Roumanie, au pied des montagnes, la vallée de Jiu a longtemps été un des grands territoires miniers du pays. Quatre mines de charbon sont encore en activité, avec une fermeture programmée en 2032. « Sans plan B », déplorent les habitants de la vallée.

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Près de 13 % des jeunes Roumains déclarent aller à un service religieux au moins une fois par semaine. © Rafaël Andraud

En deux décennies à peine, la Roumanie s'est imposée comme pays en pointe dans le domaine de la cybersécurité. Curieusement, il y a dix ans, le pays faisait surtout la une des journaux internationaux… pour ses hackers causant des dégâts colossaux.

Des contraintes pesantes

À ces frais de fonctionnement s’ajoutent des contraintes légales restrictives : les thérapeutes doivent obligatoirement passer un contrat avec l’assurance maladie roumaine, et se constituer une patientèle d’au moins 800 personnes. Les différentes clauses de cet arrangement imposent de disposer d’un local agréé par les autorités publiques et d’employer au moins une infirmière contractuelle. Ces limitations des conditions d’exercice rendent l’activité « totalement inintéressante », note Raluca Zoitanu.

À l’échelle nationale, de 2 000 à 3 000 médecins de famille, pourtant enregistrés au Collège des médecins, n’ont pas effectué les démarches nécessaires pour pouvoir exercer dans leur spécialité. « Il est fort probable qu'ils ne veuillent pas travailler [dans cette spécialité, NDLR] », et en exercent une autre, éclaire Raluca Zoitanu. Une perte sèche pour les zones rurales, les régions les plus touchées par le manque de praticiens.

Le temps passé en déplacements peut rebuter plus d’un thérapeute. Entre visites à domicile et permanences dans un deuxième cabinet à 25 km de Valea Lungă, les Dulau sillonnent le comté, parcourant plusieurs centaines de kilomètres chaque semaine en voiture.

Deux fois moins payés que leurs confrères hospitaliers

Ce fléau touche l’ensemble du pays. Dans le comté d’Alba, où se situe Valea Lungă - à deux heures en voiture de Cluj-Napoca - treize communes sont aujourd'hui sans médecin selon le rapport fourni par l’ONG L’Avocat du Peuple. La Roumanie connaît depuis le début du XXIe siècle un fort exode à l’étranger.

La médecine de famille n’attire plus les jeunes diplômés, qui lui préfèrent des branches mieux perçues socialement et mieux rémunérées. Les revenus des médecins de famille varient en fonction du nombre de patients suivis. Les paies sont en général moins élevées que celles des praticiens employés dans les hôpitaux. « 2 020 euros par mois environ en début de carrière », explique la docteure Raluca Zoitanu, présidente de la Fédération des médecins de famille. En comparaison, un médecin de famille roumain gagne en moyenne 1 010 euros. Quant à Elena et Gheorghe, leurs revenus mensuels net n’atteignent que 1 617 euros chacun. Au prix de nombreuses heures supplémentaires. « On fait le travail de trois personnes en étant deux », constate d’un air désabusé la praticienne de 61 ans. La moitié de leurs revenus de base sert aux dépenses de fonctionnement (loyer du local, charges administratives et le salaire des deux infirmières) ainsi qu’à investir dans le matériel médical le dernier achat en date, un électrocardiographe, a coûté 2 000 euros.

Dans la vallée de Jiu, le charbon n’est plus l’horizon

22 mai 2022

Dans la vallée de Jiu, le charbon n’est plus l’horizon

Dans le sud-ouest de la Roumanie, au pied des montagnes, la vallée de Jiu a longtemps été un des grands territoires miniers du pays. Quatre mines de charbon sont encore en activité, avec une fermeture programmée en ...

Des bénévoles et une petite équipe de travailleurs sociaux de la région métropolitaine de Cluj (ZMC) tentent, tant bien que mal, de compenser l’inertie des politiques locales. Deux fois par semaine, des cours de mathématiques, de langue roumaine et une permanence avec une psychologue sont proposés à une vingtaine d’adolescents de Pata Rât. « Ce sont surtout des élèves dans des classes charnières d’examen », explique une travailleuse sociale.

« Je veux devenir coiffeuse et vivre en ville »

Ce jeudi après-midi, l’activité, habituellement tenue dans des locaux au centre-ville, se délocalise au sein du bidonville. « Nous avons eu beaucoup d'absents récemment. Les cours en ligne et les confinements ont été dévastateurs. On a donc décidé de se rapprocher », justifie Cristina Roman, psychologue. À bord d’un van, l’équipe sillonne Pata Rât pour convaincre les jeunes d’assister à la séance. Aux côtés des membres de la ZMC, Alexandru Feteche est une figure familière dans le ghetto. Après avoir vécu cinq ans à Coastei, l’un des quatre sous-quartiers de la décharge, il est, depuis 2017, un militant actif pour la communauté. « Ils ont refusé l’inscription de ma fille à l’école à cause de notre adresse, est-ce que tu peux faire quelque chose ? », l’interpelle une mère de famille, assise devant une maison aux murs décrépis, une cigarette entre les doigts. « Je suis le pont entre la communauté et les autorités », résume le gaillard à la longue barbe et aux bras tatoués. 

Plus loin, au plus près de l’odorante montagne de déchets, « la rampe »zone la plus pauvre de Pata Rât. Ici, les enfants passent leur journée à errer dans les détritus et les bris de verre, certains consomment déjà des substances. Adela, 16 ans, n’a pas mis les pieds en cours depuis une semaine. « J’ai mal au ventre », justifie l’adolescente aux cheveux emmêlés auprès de Cristina, la psychologue de la ZMC. Pendant une heure, dans le préfabriqué servant aussi de salle de classe, Cristina prend le temps de discuter avec la jeune femme. « On essaye d’élaborer un projet professionnel ensemble », explique celle qui fait aussi office de conseillère d’orientation. Adela rêve de devenir coiffeuse, comme sa soeur aînée, seule membre de sa famille à être sortie des griffes du ghetto. « Je ne veux pas travailler dans la décharge comme mon père. Je veux vivre en ville. Et mes parents veulent que je devienne quelqu’un », assure l’adolescente qui l’a promis, retournera, peut-être, à l’école lundi.

Iris Bronner

Une ferveur religieuse en baisse, après un pic post-communisme

Ovidiu fait habituellement partie de cette foule, malgré quelques réserves : « Je vais à l’église mais je me méfie de l’institution orthodoxe. » Lui y est resté, mais beaucoup de ses amis, comme une partie de la jeunesse roumaine, se sont détournés de ses portes. « Si on s’intéresse aux comportements religieux (assistance aux services, prières, jeûnes, etc.), on constate qu’il y a un affaiblissement plus profond », précise Dani Sandu, qui a cosigné une étude sur la jeunesse de son pays en 2019. Selon cette dernière, 13 % des jeunes assistent à la messe au moins une fois par semaine. C’est deux fois moins que cinq ans auparavant.

Une tendance qui contraste avec l’effervescence religieuse observée chez les jeunes au cours de la décennie qui a suivi la chute du régime communiste. Des milliers d’églises flambant neuves, ainsi que des facultés de théologie, sont sorties de terre et le nombre de pratiquants parmi les jeunes avait doublé : de 17 % en 1990 à 34 % en 1999. « Ces dix dernières années, de moins en moins de jeunes s’investissent dans la vie de la paroisse, même si beaucoup continuent de pratiquer. Ils croient encore mais ne viennent plus », déplore le diacre de la cathédrale, Simeon Pintea. De l’avis de la plupart des sociologues, ce phénomène est une des conséquences de l’influence du monde occidental sur l’évolution de la société roumaine, renforcée par l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007. Et particulièrement à Cluj, comme l’indique Dani Sandu : « Cluj, en tant que grande ville très prospère et universitaire, est beaucoup plus connectée avec l’Europe. L’occidentalisation y est plus rapide. »

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