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La décharge de Targu Jiu compte pour le moment deux monticules. Un troisième verra le jour prochainement.

Une entreprise qui ne respecte pas les normes environnementales

« En 2020, ils ont utilisé 322 tonnes d'acide sulfurique pour traiter les lixiviats », affirme Mădălina Şarapatin, après avoir reçu des données de l’Agence de protection de l’environnement de Gorj. Seulement, le permis environnemental auquel Polaris Mediu est soumis n’autorise qu’un maximum de 100 tonnes par an. Certaines nuits, les valeurs de sulfure d’hydrogène enregistrées sont 70 à 90 fois supérieures à la limite légale : le 29 avril 2022, elles ont même atteint 1,48 mg/m³, pour 0,0150 mg/m³ autorisés, soit presque 100 fois supérieures.

En mars 2021, la décharge a été fermée par la Garde environnementale après que les analyses ont prouvé que Polaris ne respectait pas les normes en vigueur : empoisonnement du sol avec les lixiviats, des rivières alentour et de l’air que les riverains respirent. Une plainte collective des habitants avait poussé les autorités à se rendre sur place, et constater que certaines installations figurant déjà sur le contrat d’exploitation de la décharge en 2019 n’existaient pas.

« Avant la fermeture, le système de traitement des gaz et des lixiviats n’existait pas, rapporte un élu local. Ils ont fini par l’installer quand la Garde environnementale les a épinglés l’an dernier, et leur a imposé de se mettre en conformité avec la loi. » Avec le feu vert des autorités, la décharge a rouvert en juillet 2021.

Pourtant, le degré de pollution continue d’augmenter dans le secteur. « Les autorités savent que l'activité de la décharge est illégale, mais personne ne lui impose de respecter la loi », déplore-t-elle. Qui peut agir ? Selon cette source très engagée dans ce dossier, la mairie pourrait mettre fin à sa collaboration avec Polaris Mediu si les conditions du contrat ne sont pas respectées. La préfecture devrait faire respecter les normes environnementales. « La Garde de l’environnement, la Direction de la santé publique, le Conseil du comté de Gorj… Toutes peuvent faire quelque chose. »

Et la pollution des sols ?

Les riverains craignent avant tout pour leur santé. Mais la question de la pollution des sols et de l’eau n’est pas en reste, car, là aussi, peu d’études existent. Pour sûr, lorsqu’il pleut beaucoup et que les cuves sont pleines, une partie des lixiviats est évacuée avec les eaux de pluie. Ces liquides toxiques sont rejetés, sans traitement, dans la nature. En août 2019, la première parcelle de déchets a été fermée sans évaluation environnementale. La deuxième parcelle est déjà presque pleine et, malgré ces antécédents, la mairie a approuvé l’ouverture d’une troisième parcelle en décembre. « S’il y a déjà des problèmes avec les deux premières cellules, qu'est-ce que cela va être avec les suivantes ? », s’indigne Andreï.

La solution n’est pas tant de fermer la décharge que de la mettre aux normes. « La fermer, ça serait bien, mais où iront les ordures ? », demandent en chœur les habitants de Slobozia, rencontrés dans la rue un soir d’orage. Lorsqu’elle a temporairement fermé ses portes l’an dernier, les déchets du comté ont été envoyés à Drobeta-Turnu Severin, à plus de 100 km de là. Et pour les habitants de toute la ville, les frais de gestion avaient augmenté.

Dans le centre, on ne se préoccupe de la décharge que lorsque le vent y pousse les odeurs. Mais de son jardin, Cristian*, lui, l’aperçoit tous les jours. Il habite Slobozia depuis une cinquantaine d’années, et malgré les désagréments, il ne compte pas déménager. « Il est beaucoup plus facile d’arranger la décharge que de déplacer des dizaines des familles. » Sur le trottoir d’en face, Andreï insiste : « La loi garantit à tous les Roumains le droit à un air propre. Ce n’est pas à nous de bouger mais aux autorités d’agir. »

Camille Lowagie et Laura Remoué

*pour des raisons de sécurité, les sources ont été anonymisées

Polaris Mediu SRL et la mairie de Targu Jiu n’ont pas donné réponse à nos questions. La Garde environnementale du comté a finalement répondu mi-juin à News d'Ill. Elle assure être en conformité avec les plans nationaux et régionaux de gestion des déchets. Selon elle, c’est à l’opérateur, Polaris Mediu, que revient l’obligation de déterminer son niveau de pollution et d’interrompre immédiatement ses activités lorsque les limites légales sont dépassées. Elle admet des « fuites accidentelles » de lixiviat lors de fortes précipitations, mais déclare qu’il est d’ordinaire bien traité. Concernant la réouverture de la décharge en 2021, elle justifie sa décision par la réalisation de travaux de mise en conformité par Polaris.

 

 

 

À Târgu Jiu, les habitants du quartier Slobozia subissent l’exploitation illégale d’une décharge. Cette dernière pose des problèmes sanitaires et environnementaux qui mobilisent peu les autorités locales.

Malgré les tirs de canons effaroucheurs, les charognards rôdent par dizaines au-dessus des montagnes de déchets. Sous un soleil de plomb, ils guettent le défilé des camions-poubelles qui, un à un, déversent le butin de leur collecte à la décharge de Târgu Jiu. Les ordures s’accumulent, le rouleau compacteur s’affaire et les chiens montent la garde, à la recherche d’une ordure à se mettre sous la dent. La mise en décharge est encore une méthode privilégiée pour l'élimination des déchets en Roumanie : 85 % des ordures récoltées en 2020 ont été mises en décharge, et 14 % recyclées. En moyenne, les pays européens recyclent 47,8 % de leurs déchets.

Des hauteurs de la décharge, on aperçoit les premières habitations à travers les brumes de chaleur. À vol d’oiseau, la rue principale de Slobozia ne se trouve qu’à 800 mètres de là. Et pour les riverains, le retour des fortes chaleurs rime avec retour des mauvaises odeurs. En fin de journée, des effluves soufrées envahissent ce quartier excentré : un mélange d'œuf pourri, de fumier et de poubelles restées trop longtemps au soleil. « Le soir, on ne peut plus manger dans le jardin, les odeurs de la décharge nous donnent envie de vomir », déplore Andreï*, installé à Slobozia depuis une dizaine d’années. 

Riverains VS Polaris Mediu SRL

Selon les riverains, les premiers désagréments sont apparus à l’été 2015, et sont devenus insupportables en 2018, même lorsque portes et fenêtres des maisons sont fermées. « Je ne compte plus les nuits au cours desquelles j'ai emmené mes enfants pour aller dormir chez mes parents. Nous ne pouvions tout simplement pas respirer dans la maison », se remémore Mădălina Şarapatin. Pour protéger la santé de sa famille et celle de ses voisins, cette habitante a créé l'association Slobozia veut un air propre. Ensemble, des riverains luttent contre la société qui exploite la décharge depuis 2016, Polaris Mediu SRL, leader dans la région.

Pour prouver que la décharge est à l'origine de ces émanations et qu’il y a un risque pour leur santé, l’association a investi dans un capteur mesurant la qualité de l'air, installé dans le quartier à 1,5 km de la décharge. « L’odeur n’est pas juste nauséabonde, à force, elle pique le nez, assèche la gorge, et il arrive qu’on ait des vertiges, confie Andreï. Aujourd’hui, ça pue mais demain, qui sait si on pourrait avoir un cancer ? » Il sort son téléphone pour suivre, en direct, l'évolution du taux de sulfure d’hydrogène dans sa rue. Même à faible dose, cette substance est très toxique.

Car chaque jour, à partir de 18 h, la courbe du sulfure d’hydrogène augmente brusquement, atteint son apogée aux alentours de 2 h du matin, puis diminue progressivement dans la matinée. En fin de journée, l’entreprise utilise d’importantes quantités d’acide sulfurique pour traiter le « jus de décharge », qu’on appelle lixiviat, récupéré après avoir tassé les déchets. Ce produit dégage du sulfure d’hydrogène qui se répand dans l’air, jusqu’à Slobozia. Des émanations qui s’ajoutent à celles des gaz libérés lors de la décomposition des ordures ménagères, qui contiennent déjà du sulfure d’hydrogène.

 

Accueillis dans le pays, les enfants ukrainiens taisent encore leurs souvenirs de guerre. Leurs dessins et leurs jeux disent pour eux les traumatismes qu'ils ont vécus.

Employé du centre communautaire Roua à Baia Mare en semaine et bénévole à la frontière le week-end, Ionut sait ce que signifie pour ces enfants de confier leurs dessins. Ses yeux rougissent sous le coup de l'émotion lorsqu'il se remémore cette petite fille de 5 ou 6 ans : « Elle tenait vraiment à nous donner son dessin. Elle était comme ça, les mains tendues devant elle. Quand mon collègue l'a pris et l'a accroché au tableau, elle lui a fait un câlin. Nous l'avons toujours ici, mais il était si sombre ! Une personne gisait au sol et perdait son sang. Il y avait une explosion et un avion qui lâchait une bombe. C'était rempli de noir et de rouge. »

« Les enfants expriment plus ou moins leurs traumas à travers leurs dessins et leurs constructions », observe Tudoz, de YMCA Roumanie. « Nous possédons un lieu pour les jeunes de 5 à 11 ans où ils peuvent jouer avec des cubes, des Lego, raconte Ionut. Vous savez ce qu'ils ont construit en premier ? Des armes. »

 

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Les enfants « s’approprient des reliques de l’événement (traumatique) comme autant de nouveaux jeux », selon la psychologue Hélène Romano. © Laura Remoué

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À la frontière, les bénévoles accueillent 20 à 50 réfugiés par jour. © Laura Remoué

Un événement traumatique devenu un jeu
                    
Souvent, c'est inconsciemment que les enfants transmettent leurs histoires, car « involontairement, ils adoptent des mécanismes d'imitation », analyse Tudoz. La chercheuse française Hélène Romano explique, dans un article pour le Journal des psychologues, que les enfants « s’approprient des reliques de l’événement (traumatique) comme autant de nouveaux jeux », avec pour particularité qu'ils n'y éprouvent aucun plaisir. Qui plus est, « contrairement aux autres jeux, celui-ci n’autorise aucune interaction avec ceux qui l’entourent, aucun partage, aucune règle : c’est un espace à sens unique ». Les deux membres du centre de Baia Mare se rappellent d'un comportement qui les avait alertés : « Un des enfants a commencé par construire un mur à partir de gros cubes. Avec des Legos, il s'est fait une arme. Chaque fois qu'un autre enfant s'approchait pour jouer avec lui, il lui tirait dessus. »
                    
Habitués à cotoyer des jeunes en difficulté, les éducateurs du centre d'intégration sont vigilants vis-à-vis de ce type de signes. Ce qui diffère le plus de son travail avec des enfants roumains est au final « la barrière de la langue », estime Tudoz. Google Traduction et des traducteurs l'aident à communiquer avec eux, en freinant inévitablement certains progrès : « Quand ils se confient à une personne, c'est une grande étape. Ils ne veulent pas avoir à passer par un tiers pour échanger avec nous. » Pour faciliter la discussion, il apprend alors à parler ukrainien. Le centre a également embauché des éducateurs et psychologues ukrainiens. Ce qui lui importe avant tout est « d'essayer de comprendre les enfants. Pas de les guérir, car ce processus sera très long. Il faut déjà bâtir de la confiance ».

Laura Remoué

Sous les parasols du restaurant La Vamă, les clients sirotent leurs boissons sur les airs d'une chanson de Mariah Carey. C'est un dimanche bien calme dans ce coin de Sighetu Marmației, où l'on observe depuis sa table les va-et-vient des voitures et cyclistes passant la frontière entre la Roumanie et l'Ukraine. Une étrange normalité, face à cette barrière séparant un pays en paix d'un pays en guerre. De l'autre côté du chemin, les bénévoles des ONG accueillent dans leurs tentes de vingt à cinquante réfugiés par jour.

Cartes routières et dessins d’enfants
                    
Sur les murs, les cartes localisant les routes européennes côtoient des dessins d'enfants. La majorité ont été envoyés par des jeunes roumains ou internationaux, dans des colis alimentaires, pour exprimer leur soutien. Des cœurs dansent sur des pages remplies de couleurs, un poisson apporte une fleur entre ses nageoires et les drapeaux se rejoignent. « Welcome to Romania », annonce l'un d'entre eux. Mais depuis un autre pan de mur, un tout autre regard se dévoile à celui des visiteurs. Les chars se sont avancés, les avions encombrent le ciel, des larmes de sang coulent d'un visage. La guerre a envahi l'imaginaire des enfants.

Récits d'enfants ukrainiens, une guerre sans les mots en Roumanie

25 mai 2022

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