Aujourd'hui, près des deux tiers des citoyens jordaniens ont des origines palestiniennes. Ancrés dans l’identité du pays, tous ne bénéficient toutefois pas du même statut. Elle-même d’origine palestinienne, la spécialiste jordanienne Oroub El-Abeb analyse la question de l’identité dans la région, notamment depuis le 7 Octobre.
L’aéroport a perdu près de 71 % de ses passagers
Avant, les touristes venaient d’Israël, des États-Unis et d’Europe. « Même si depuis mars, nous avons plus de voyageurs venant de Jordanie ou de pays voisins, nous ne sommes toujours pas au niveau de l’année dernière », explique une responsable d’un hôtel cinq étoiles de la ville. L’aéroport a perdu près de 71 % de ses passagers entre janvier et mars. Une autre statistique résume la situation : en novembre 2022, une vingtaine de bateaux de croisière avaient débarqué au port d’Aqaba. Un an plus tard, ils n’étaient que deux. Dans cette station balnéaire du sud de la Jordanie, la grande majorité des habitants vivent du tourisme. Dans les ruelles étroites et habituellement bondées du centre, les boutiques, les restaurants et les centres de plongée se succèdent. Mais en ce printemps, seuls quelques touristes arpentent les rues. De nombreux magasins ont déjà baissé le rideau, d’autres vont peut- être suivre. « Je réfléchis à fermer ma boutique, parce que le loyer est trop cher », témoigne Seham Yassen au milieu de ces bracelets, colliers et autres accessoires faits main dans sa boutique du centre-ville. Son mari, conducteur de taxi, a lui perdu son travail au début de la guerre. La commerçante s’inquiète du financement des études de leurs quatre enfants. « J’ai dû les mettre dans une école publique car on ne pouvait plus payer les frais dans le privé. »
Depuis la guerre israélo-arabe de 1948, les vagues de réfugiés se sont multipliées sur le territoire jordanien. La chercheuse Oroub El-Abed rappelle que les exilés palestiniens n’ont pas tous le même statut dans le pays, les Gazaouis étant les plus défavorisés.
Le jeune guide dévale les larges marches en pierre qui longent les murs du château historique de la ville d’Aqaba. Oussama Bulbul arrive à la place de la révolte arabe en indiquant de son doigt les choses remarquables. « La place devrait être pleine de monde à cette heure », indique l’homme de 22 ans. La vue s’ouvre sur la mer Rouge, ses quelques yachts, et les lumières de la ville d’en face, encerclées de montagnes à 6 kilomètres de là : Eilat, en Israël. Le vent fait flotter le drapeau de la révolution arabe au milieu de la place, quelques personnes se sont rassemblées autour du mât pour profiter du soleil couchant. Habituellement, lorsqu’il se rend ici, il accompagne un groupe de voyageurs. C’était sa vision en 2022 lorsqu’il a lancé son entreprise Aqaba by Locals. Mais, « entre octobre et mars nous n’avons eu aucune réservation. C’était vraiment difficile », déplore le guide. Depuis le 7 Octobre et le début de la guerre à Gaza, les voyageurs internationaux manquent à Aqaba : ils se sont réduits de moitié depuis le début de l’année, selon l’Autorité économique spéciale d’Aqaba (Aseza).
Diplomatie de l'eau : la paix dans les tuyaux
Israël pose ses conditions. En mai 2024, le contrat accordant 50 millions de mètres cubes d’eau israélienne par an à la Jordanie devait prendre fin. Conclu en 2021, il s’agit d’un complément aux accords de Wadi Araba, un traité de paix qui prévoyait déjà la même quantité d’eau, depuis 1994. L’État hébreu, conscient de la dépendance de son voisin à son eau désalinisée, en joue pour obtenir ce qu’il souhaite. Il conditionne aujourd’hui le renouvellement de cet accord au réchauffement de leurs relations diplomatiques et à l'arrêt des déclarations hostiles à son égard par Amman. La Jordanie ne s’est pas encore positionnée sur ces demandes, exprimées dans les médias.
Après la riposte de l’État hébreu à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le Royaume avait suspendu, en novembre, un autre traité pas encore ratifié : l’accord « eau contre énergie ». Chacun use de son pouvoir. « Pouvez-vous imaginer un ministre jordanien assis à côté d’un ministre israélien pour signer un accord, alors qu’Israël tue notre peuple à Gaza ? » a déclaré Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères. Cet accord sur les rails depuis 2021 prévoyait l’échange annuel de 200 millions de mètres cubes d’eau israélienne, contre 600 mégawattheures d’énergie solaire produite en Jordanie. Comme le traité de Wadi Araba, il est fortement contesté dans les manifestations jordaniennes, qui réclament une indépendance totale vis-à-vis d’Israël.
Lisa Delagneau
S’il est conscient des enjeux environnementaux, l’agriculteur Fyad Al-Zyoud, propriétaire d’une centaine d’hectares, ne reviendra pas aux anciennes pratiques. Avec son frère Osama, agronome par ailleurs, ils sont persuadés que leur salut viendra de la technologie de premier plan pour mieux utiliser l’eau. Fyad Al-Zyoud a investi des dizaines de milliers de dinars jordaniens dans une station alimentée par énergie photovoltaïque. Celle-ci leur envoie quinze données par jour et permet d’anticiper d’éventuels aléas météorologiques. Aussi, des vannes automatiques sont reliées à un ordinateur permettant d’optimiser à distance l’irrigation dans l’exploitation. « Résultat, moins de main d’œuvre, moins de coûts et de l’eau pour les générations futures. »
C’est également pour cette raison que le Jordanien aux racines bédouines refuse catégoriquement de cultiver de la luzerne. « Quand le Covid-19 est arrivé, nous avons expérimenté différentes associations de cultures pour être plus autonomes et moins dépendants en eau », partage-t-il, savourant quelques grains de blé planté au pied de ses vignes. Quarante hectares d’oliviers signalent l’entrée du domaine situé à l’est du bourg d’Azraq. Le premier d’entre eux, au tronc plus chétif que les autres, fait la fierté de Fyad Al-Zyoud.
« Initialement, c’est la bouture d’un olivier vieux de 2 000 ans que nous avons prélevé au cœur du désert du Wadi Rum », se remémore le sexagénaire à l’œil vif, en caressant les jeunes feuilles. Le propriétaire terrien voit en cette variété robuste un espoir : celui d’adapter ses cultures à la sécheresse qui guette la région à mesure que s’intensifie le changement climatique.
Zoé Dert-Chopin
Depuis le début de la guerre à Gaza, les voyageurs occidentaux manquent à l’appel dans cette station balnéaire jordanienne à la frontière avec Israël. Hôteliers et commerçants ne peuvent compter que sur les touristes du monde arabe.
Si le problème des puits illégaux persiste, c’est aussi en raison d’une opposition de conception liée à la souveraineté du territoire. Cette dernière est révélatrice d’un centralisme jordanien pris en étau par les revendications tribales ambiantes. En 1982, avec l’arrivée de l’Autorité jordanienne de l’eau, les habitants se sont fait retirer la gestion collégiale du bassin d’Azraq. Depuis, les frustrations s'accumulent à mesure que le droit de disposer sans contrôle étatique de cette ressource leur a été peu à peu confisqué. Les communautés locales, druzes et bédouines, estiment être sur la terre de leurs ancêtres et donc en droit d’en prélever librement l’eau souterraine, comme ils en ont toujours eu l’usage.
Plus de 100 000 euros pour construire un puit
C’est aussi dans les années 1980 que les élus locaux, issus des communautés historiques d’Azraq, ont commencé à vendre des terres qu’ils considéraient leur appartenir tandis qu’elles étaient officiellement propriétés de l’état. « Ils font affaire avec les gros investisseurs qui viennent des grandes villes grâce à des prix attractifs pour eux », témoigne Omar Shoshan. Nombreuses sont les terres vendues avec un puits illégal ou sur lesquelles on envisage d’en creuser. L’eau puisée sert en particulier à cultiver de la luzerne – dédiée à l’alimentation du bétail. La chercheuse Majd Al-Naber rapporte que l’état a tenté de dissuader ce type de culture bon marché et gourmande en eau. En vain.
Illégal ou non, creuser un puits coûte environ 80 000 JOD. L’entretenir est également coûteux. Et ceux qui sont illégaux ne sont généralement exploités que pendant un ou deux ans. « L’eau pompée n’est pas de bonne qualité ou insuffisante. Les gens creusent n’importe où », rapporte le président de JEU.