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Cet engagement identitaire met aussi parfois le feu aux poudres. Le 15 août 2023, Al-Wehdat devait disputer une rencontre aux Émirats arabes unis contre un club de Dubaï. Un match de début de saison que les supporters de Al-Wehdat avaient appelé à boycotter. En cause, la présence dans les rangs adverses de Mounas Dabbour, joueur vedette d’origine palestinienne qui porte le maillot de la sélection nationale israélienne. Une pression populaire que le Group Wehdat a justifié par son refus d’acter une normalisation des rapports avec l’État hébreu.

Des innovations sont intégrées dans le paysage pour surveiller le niveau d'eau. © Zoé Dert-Chopin

Un peu à l’écart du centre-ville, le Oasis Resort Ayla est un symbole de cet âge d’or. Sorti de terre il y a à peine cinq ans, ce complexe d’1,5 milliard de dollars témoigne de la démesure. Il a été conçu par Sabih Al-Masri, un homme d’affaires jordanien d’origine palestinienne. Lagons, villas et hôtels, yachts et le premier parcours de golf de 18 trous en Jordanie : Ayla est une cité artificielle à part. Mais comme les autres, ces complexes de luxe restent désespérément vides depuis octobre. Derrière son comptoir, Nour Abdullah, 22 ans, réceptionniste au Double Tree Hilton ne sait quoi faire de ses journées : « Nous avons même parfois enregistré un taux zéro d’occupation. J’ai peur de perdre mon travail. » La plupart des réservations ont été annulées ou reportées. Selon l’Aseza, depuis octobre, le taux d’occupation des hôtels a diminué d’un quart. Salah Aldin Albitar, président de l’association des hôtels d’Aqaba, situe, lui, la baisse de l’activité des hôtels entre 70 % et 80 %.

Lors de la période Covid-19, le gouvernement a mis en place des aides pour soutenir l’économie et le tourisme. Mais aujourd’hui, malgré l’impact de la guerre à Gaza, « le gouvernement n’a pas baissé les taxes », regrette Salah Aldin Albitar. Alors, les hôtels font la chasse aux dépenses. Un cinq étoiles a fermé la moitié de son bâtiment pour réduire les factures d’électricité et d’eau dans les premiers mois de la guerre. Une des piscines a également été condamnée temporairement et « les jacuzzis ne fonctionnent pas tout le temps, d’après une responsable de l’établissement. Tout était au minimum mais nous avons survécu ». Mi-mai, l’hôtel affichait en moyenne une occupation réduite de moitié, réhaussée certains jours grâce aux vacances des Jordaniens. La période du ramadan a certes permis aux hôtels de se refaire une santé grâce aux visiteurs du pays mais cette parenthèse n’a pas duré. De l’autre côté de la ville, Abed, qui travaille au magasin Maelk Mayuleh qui vend des snacks et des boissons, explique que son patron a licencié quatre de ses huit employés. Certains commerces et hôtels ont fermé pour quelques mois ou définitivement. La haute saison touristique d’octobre à avril est ratée.

Des touristes différents

Une situation qui fait le bonheur des rares visiteurs. À l’heure du déjeuner, des Français, sac remplis de mets typiques, assument leur opportunisme. Ils ont pris leurs billets d’avions pour la Jordanie estimant qu'« avec la guerre, peu de touristes s’y trouveraient ». Les voyageurs ont fait le tour des sites les plus touristiques de Jordanie avant de finir leur séjour à Aqaba. Le manque de touristes « s’est renforcé depuis le début du conflit, donc on se concentre plus sur le marché local », selon Fares Aljouni, directeur du tourisme de l’Aseza. Des événements et des réductions sont mis en place dans les hôtels, les restaurants et les transports pour attirer les Jordaniens et les touristes d’autres pays arabes. Tenter de vivre grâce aux visiteurs nationaux reste une « alternative mais qui n’est pas suffisante sur le long terme pour faire vivre l’économie touristique d’Aqaba », avance-t-il.

En majorité, les Jordaniens possèdent une citerne sur le toit de leur maison et récupèrent ainsi l'eau de pluie. © Pauline Beignon

La tunique d’Al-Wehdat reprend à son compte des symboles forts de l’identité palestinienne. © Baptiste Huguet

De la Nakba à Gaza, les exilés palestiniens à Amman ont un point commun : l’attachement à leur terre d’origine. Les guerres israéliennes ont créé au fil des décennies des millions de réfugiés, en Jordanie, plus d’un habitant sur deux est Palestinien.

De l’autre côté de la très fréquentée Mosquée Sharif Hussein bin Ali, dans la rue commerçante Ar-Razi, Hadi Manzalawi est assis dans sa boutique de souvenirs vide. Le jeune homme a dû arrêter ses études de droit en octobre. Les revenus de la boutique de souvenirs de son père ne suffisent plus à payer des salariés.

Celui qui vit à Amman pour ses études a donc décidé de revenir à Aqaba pour l’aider à gérer son magasin. La situation est d’autant plus éprouvante pour les professionnels du secteur que ces dernières années, la ville s’était remise du Covid et connaissait un nouvel âge d’or.

Omar Shoshan n’est pas seul à dénoncer ces dérives, dont la grande perdante est l’écologie. Samia Tarabeya est une activiste environnementale et militante druze pour la sauvegarde des traditions communautaires d’Azraq. Elle déplore une productivité qui n’a plus rien à voir avec les traditions communautaires revendiquées par les élus locaux. La jeune femme se sent trahie par les autorités et rapporte avoir fait face à de lourdes pressions : « On est faibles face aux responsables politiques. Ils sont originaires d’ici mais ce qui compte pour eux, c’est leur place de privilégiés. »

« Être plus autonomes en eau »

« On doit se référer aux pratiques ancestrales en bonne intelligence avec l’oasis », renchérit Omar Shoshan. Le sol n'étant pas suffisamment riche, des archéologues ont justement noté que, par le passé, les terres d’Azraq n’étaient pas utilisées pour l’agriculture. Jusque dans les années 1970, le maraîchage est resté à l’échelle domestique et les habitants dépendaient essentiellement des ressources offertes par l’oasis.

« Personne ne vous en parlera », introduit Mohammed*. Les minutes passent et cet ancien agriculteur accepte finalement d’évoquer le sujet tabou : les puits qui pullulent dans cette terre assoiffée. Mohammed parle de puits « non certifiés », la plupart les qualifieront d’« illégaux ». Si un décompte fiable est compliqué à obtenir, on en compterait entre 150 et 500 à Azraq. Ceux connus des autorités sont simplement considérés comme « enregistrés ». « Le gouvernement utilise des satellites, jure Mohammed, désabusé. Aucun puits ne lui échappe. » Ce fléau a un nom. « C’est le surpompage », tranche Omar Shoshan, natif d’Azraq et président de l’Union environnementale de Jordanie (JEU), rassemblant une dizaine d’Organisations non gouvernementales (ONG) environnementales. Pourtant, sur le papier, les propriétaires doivent respecter des critères si restrictifs que les acteurs locaux estiment qu’il est « impossible d’en creuser ». Du moins, d’en creuser légalement. À l’inverse, Omar Shoshan dénonce le laxisme gouvernemental. D’après son expérience, il faudrait « renforcer la loi ».

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