Avec une capacité d’accueil de 60 personnes, il est quand même nécessaire de mettre en place des astuces pour limiter les dégâts. « Il faut être avare avec l’eau. On a diminué de 50 % la puissance des robinets et on rationalise son utilisation dans le ménage. » Bien que l’hôtel soit réapprovisionné le jeudi et le vendredi par l'État, les quantités ne sont pas suffisantes pour tenir toute la semaine.
Arrivé d’Égypte où l’eau est bien moins rare, le gardien a dû adapter ses gestes. Éponge à la main, il se contente par exemple d’un seau pour laver quatre voitures en hiver. Et six en été.
Jana Hicham Al-ali, 18 ans, une Palestino-Jordanienne engagée : « Mon combat a commencé le jour de ma naissance »
« Écoeurée. » C’est le mot qui revient en boucle chez Jana, 18 ans, lorsqu’elle évoque le sort des Palestiniens, que ce soit les Gazaouis tombant sous les bombes ou les Cisjordaniens victimes de la colonisation. Depuis le début de la guerre à Gaza, elle est de toutes les manifestations. « Ici, en Jordanie, on ne peut pas faire beaucoup plus que manifester et boycotter. Mais rien ne changera si on n’y croit pas », clame la jeune femme. Tous dans sa famille sont Palestiniens. Née en Jordanie, elle est de la troisième génération depuis la Nakba (« catastrophe » en arabe), l’exode du peuple palestinien à la création d’Israël en 1948. Celle qui est graphiste sur les réseaux sociaux a grandi dans un milieu où « le droit de [son] peuple à vivre sur [sa] terre » est une cause sacrée. « Mon combat a commencé le 9 avril 2006... le jour de ma naissance. » Pas question pour autant de haïr les Israéliens sans distinction. Son rêve, c’est celui d’une Palestine où musulmans, juifs et chrétiens cohabiteraient en paix. « Cette terre est très importante pour nos trois religions. » Dans ses illustrations, elle n’hésite pas à ajouter de petits détails comme des pastèques, symbole utilisé par la jeunesse pour rappeler les couleurs du drapeau palestinien.
Jean Lebreton
Mais alors que certains politiques jordaniens montaient au créneau pour défendre la rencontre, la direction d’Al-Wehdat a confirmé la participation de l’équipe. Une décision qui a d’abord créé des remous, puisque six dirigeants ont posé leur démission, avant de se raviser sous la pression du président d’Al-Wehdat, Bachar Al-Hawamdeh. Relégué sur la troisième marche du podium derrière son ennemi juré d’Amman, Al-Faisaly, Al-Wehdat a pâti de ces enjeux extra-sportifs. D’autant que cette saison a été marquée par l'éclosion d’un nouveau concurrent : Al-Hussein.
Basée à Irbid, la deuxième ville de Jordanie, cette écurie dirigée par un ancien cadre d’Al-Faisaly a remporté le championnat grâce à de nombreux investissements. Seize recrues ont été enregistrées à l’intersaison, dont deux joueurs brésiliens. Un fait rare dans le championnat semi-professionnel jordanien, puisqu’Al-Hussein a dépensé près d’un million de dinars (1,3 million d’euros) alors que remporter le championnat ne permet d’en empocher que 60 000. « Nous sommes le meilleur club du pays ces vingt dernières années. Sans nous et Al-Faisaly, il n’y a pas de football en Jordanie. Le football, c’est l’argent mais c’est aussi l’histoire », dédramatise le directeur sportif à Al-Wehdat, Ziad Shalabayé.
Selon Rafat Ali, l’entraîneur du club et ancien international jordanien (45 sélections), Al-Wehdat devra « tout de même prendre les mesures nécessaires » ces prochains mois, pour ne pas se laisser distancer. Surnommé l’Artiste ou encore Picasso, il est une légende du club avec 332 matchs joués sous les couleurs vertes entre 1993 et 2014 pour 88 buts marqués. Rafat Ali, figure populaire, incarne une stabilité perdue depuis le début de saison : « Déjà en tant que joueur, et maintenant comme entraîneur, j’essaie de remporter chaque match, chaque trophée, pour donner du bonheur aux supporters. » Malgré la tempête, le navire Al-Wehdat peut compter sur son capitaine pour continuer à voguer en haute mer.
Aseel Bassam
Baptiste Huguet
Hôteliers, commerçants, moniteurs de plongée : les professionnels du secteur espèrent voir revenir les voyageurs internationaux. Ramadan Albaba et son fils Khalil ont des origines gazaouies, ils disent avoir déjà perdu plus de quinze proches à Gaza. Tous les deux ont leur propre magasin d’épices à quelques mètres l’un de l’autre. Eux aussi sont désertés. Ramadan Albaba relativise : « Ce n’est pas grave quand on pense à ce qui se passe dans la guerre à Gaza. Ce qui compte vraiment c’est que la guerre se termine bientôt. »
Alexia Lamblé
Laura König
Avec Thanaa Nazzal
Les Jordaniens et les voyageurs des pays proches (Arabie Saoudite, Égypte...) n’ont pas les mêmes habitudes de consommation et n’ont pas la même vision du voyage. « Les visiteurs de la région viennent surtout pour profiter de la mer plutôt que de payer pour des activités. Les étrangers, eux, cherchent de "nouvelles expériences" comme découvrir la musique et la gastronomie », raconte Osama, le jeune guide d’Aqaba by locals. Tous sont attirés par le trésor du golfe d’Aqaba : les récifs coralliens à seulement quelques mètres du bord des plages. Dans le grand complexe d’Ayla, entre les yachts, Talal Abumahfouz est assis dans le salon de son voilier. Les quatre bateaux de son centre de plongée Sharks Bay Divers restent à quai depuis octobre. « Nous avons 100 % d’annulation jusqu’à aujourd’hui. Cela touche non seulement ma famille mais aussi celle de mes employés. » Même constat dans une boutique d’accessoires de plongée où Rami travaille, dans une artère du centre-ville, la rue du roi Hussein. Face au manque de touristes, il a baissé les prix. « Les personnes qui viennent maintenant, ne veulent et ne peuvent pas payer le même prix que les touristes internationaux. »
Selon les Nations unies, le nombre de réfugiés palestiniens est estimé à deux millions dans le pays dont trois quarts d’entre eux détiennent la nationalité jordanienne. Que faut-il comprendre ?
Lors de la création de l’État d’Israël, en 1948, et la guerre qui a suivi, les Palestiniens arrivés en Jordanie n’avaient pas la possibilité de retourner sur leurs terres. Considérés dans un premier temps comme réfugiés, ils obtiennent dès décembre la nationalité. Au même moment, la Jordanie a conquis la Cisjordanie. Une fois le territoire annexé, ses habitants sont devenus des citoyens jordaniens à part entière. Après la guerre des Six Jours en 1967, les [centaines de milliers de] Palestiniens vivant sur ce territoire étaient des citoyens déplacés parce qu’ils avaient déjà la nationalité jordanienne. Alors quand le roi lui-même déclare aujourd’hui devant les médias que nous avons deux millions de réfugiés palestiniens, c’est un peu gênant parce que la majorité d’entre eux sont Jordaniens. Par contre, ceux qui ont fui Gaza en 1967 n’ont pas obtenu la nationalité jordanienne. Ils étaient 15 000 à l’époque. Aujourd’hui, avec leurs descendants, ils sont estimés à 200 000. Mais ils sont bien plus que ça.
Quelle est la situation des réfugiés gazaouis actuellement ?
Ils ont un document provisoire renouvelable, valable pour deux ans. C’est un laissez-passer qui leur donne la liberté de circuler. Pour l’école publique, ils doivent payer. Pour le travail, c’est comme pour tous les non-jordaniens, ils sont limités aux métiers de la construction, de l’agriculture et du service.
Depuis le 7 Octobre, est-ce que l’espoir pour ces réfugiés gazaouis d’obtenir la nationalité jordanienne s’est renforcé ?
Non, absolument pas. La Jordanie n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951 des Nations unies [qui définit les droits des réfugiés, ndlr]. Ce qui fait que, légalement, elle n’est pas soumise au respect des droits des réfugiés. Ainsi, l’État n’a pas l’intention de les naturaliser. Les seuls Gazaouis qui ont obtenu la nationalité jordanienne étaient des investisseurs qui ont acheté leur citoyenneté pour des sommes colossales à la banque centrale jordanienne.
Un grand nombre de réfugiés vivent dans des conditions précaires malgré cette image de terre d’asile, comment expliquez-vous ce paradoxe ?
L'accueil des réfugiés permet à la Jordanie de recevoir de très importantes aides internationales. Cette manne financière a une importance capitale dans le PIB jordanien, qui en fait un État rentier. Si des Syriens viennent aux frontières, le pays les laisse rentrer et exige ensuite des aides afin de pouvoir assurer cet accueil. L’argent reçu ne sert pas uniquement à ces réfugiés, mais aussi au développement de l'État. Si vous consultez le plan de réponse de la Jordanie à la crise syrienne de 2016, vous verrez qu’il se concentre sur le mot « résilience ». Cela signifie que nous recevons de l’argent pour financer le développement du pays. La problématique est là, c’est un pays aux ressources naturelles limitées qui utilise l’accueil des réfugiés afin de répondre à ses besoins et de contribuer à son développement.
Avec sa politique de frontières ouvertes, la Jordanie se retrouve avec une multiplicité d’identités sur son territoire. Est-ce que cela a influencé l’identité jordanienne ?
De mon point de vue, la réponse est non. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde était divisé en deux pôles, l’identité jordanienne n’était pas une priorité. À partir des années 1990, une nouvelle phase a commencé. Jusqu'alors, l'obsession était l’idéal panarabe, et c’est à partir de là que nous avons commencé à façonner notre identité. Aujourd’hui, vous pouvez être concernés par ce qui se passe en Palestine, et avoir vos convictions idéologiques sur la situation en Irak ou en Syrie. Par contre, les intérêts jordaniens doivent passer avant.
Plus de la moitié des Jordaniens ont des origines palestiniennes, est ce que cette identité est davantage revendiquée depuis le 7 Octobre ?
Elle se fait plus visible et bénéficie d’une plus grande tolérance qu’auparavant quant à son expression. En 2014, avoir un drapeau palestinien sur sa voiture pouvait être un motif d’arrestation par la police. Actuellement, ce n’est plus le cas. Mais si l’État permet cette revendication, ce n’est pas dans l’idée de valoriser l’identité palestinienne, mais pour dire au monde : « Nous sommes contre ce que vous faites à Gaza. »
Océane Caillat
Johanna Mohr
Des touristes différents
Une situation qui fait le bonheur des rares visiteurs. À l’heure du déjeuner, des Français, sac remplis de mets typiques, assument leur opportunisme. Ils ont pris leurs billets d’avions pour la Jordanie estimant qu'« avec la guerre, peu de touristes s’y trouveraient ». Les voyageurs ont fait le tour des sites les plus touristiques de Jordanie avant de finir leur séjour à Aqaba. Le manque de touristes « s’est renforcé depuis le début du conflit, donc on se concentre plus sur le marché local », selon Fares Aljouni, directeur du tourisme de l’Aseza. Des événements et des réductions sont mis en place dans les hôtels, les restaurants et les transports pour attirer les Jordaniens et les touristes d’autres pays arabes. Tenter de vivre grâce aux visiteurs nationaux reste une « alternative mais qui n’est pas suffisante sur le long terme pour faire vivre l’économie touristique d’Aqaba », avance-t-il.