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FOCUS : « La présence sur les marchés est symbolique, ça montre qu’on est là »
À l’heure des réseaux sociaux, le tractage sur les marchés a-t-il encore un sens ? Oui, si l’on en croit le nombre de militants et colistiers, tracts à la main et gilets colorés sur le dos, qui fourmillent à l’entrée des marchés de Strasbourg depuis plusieurs semaines.
« On veut que tous les gens nous connaissent », explique Ali Martin Lamri, qui tracte régulièrement pour la liste citoyenne "Égalité active". Cet exercice permet de toucher une large catégorie de la population, plus diverse que sur les réseaux sociaux, où le pouvoir de frappe est limité.
Car la politique se fait dans la rue. « On touche beaucoup plus de monde. Et ça nous permet de prendre le pouls de la population », affirme un militant de Jean-Philippe Vetter (LR). Une colistière des Verts tempère : « La plupart du temps, les gens ne font que prendre le tract. Mais parfois, ils peuvent s’arrêter et nous poser des questions. »
Avant même le coronavirus, les batailles électorales se jouaient déjà sur Internet. Et les candidats aux élections municipales 2020 n’échappent pas à la règle. « Ils sont plus présents sur les réseaux sociaux qu’en 2014 », souligne le politologue et chercheur à Sciences Po, Thomas Vitiello. Un phénomène que le spécialiste observe même dans les moyennes et petites villes.
À Strasbourg, les candidats se sont emparés de ces outils numériques. Facebook, Twitter, Instagram… La candidate PS Catherine Trautmann est partout. « Les réseaux sociaux renvoient une image de modernité, justifie le community manager de son équipe. S’en passer serait dommageable pour la campagne. »
Pour les petits partis ou les listes citoyennes, qui n’ont que quelques semaines pour se faire connaître, l’enjeu est encore plus fort. Chantal Cutajar, candidate de la liste « Citoyens engagés », tient à rester active sur les plateformes numériques. Yohann Rivière, son directeur de campagne, l’assure : « Les réseaux sociaux restent le levier le plus viral en termes de communication. Se priver de ces canaux revient à se priver d’une catégorie de la population, celle qui s’informe uniquement par Internet. »
Marketing politique et autopromotion
La diversité des réseaux sociaux reflète la diversité des publics touchés, et « chaque plateforme démontre un intérêt bien différent », remarque Thomas Vitiello.
Le réseau social privilégié par les candidats aux municipales est sans nul doute Facebook. « C’est un outil de marketing politique, d’autopromotion, où le candidat reste maître du contenu qu’il diffuse », observe Thomas Vitiello. Avantage indéniable en période électorale, la plateforme offre une vraie tribune aux candidats. « On peut par exemple prendre le temps de développer un point du programme sur lequel on veut insister, ou présenter ses colistiers », note le politologue.
C’est d’ailleurs la technique prisée par l’équipe de campagne de Chantal Cutajar. Chaque jour, à l’approche du scrutin, elle diffuse sur Facebook une vidéo d’un de ses colistiers, qui résume en une minute les raisons de son engagement. L’idée ? « Mettre en avant des citoyens engagés, explique Yohann Rivière. Aujourd'hui, les électeurs ont besoin de pouvoir s’identifier, donc on personnifie le message. »
Facebook pour rassembler, Twitter pour s'affronter
Être sur les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement distribuer du contenu à une communauté d’électeurs, c’est aussi interagir avec elle, susciter le débat. « Twitter est un format très interactif où le partage de contenu est limité, mais qui permet davantage la critique, la réappropriation du politique, le détournement », détaille Thomas Vitiello. Les élections de 2020 suivent la tendance : Twitter est moins plébiscité que Facebook. Mais à Strasbourg, certains partis ont su s’en emparer. À coups de hashtags, les militants et candidats débattent, réagissent, partagent, polémiquent. Et se crêpent le chignon.
À chaque réseau social sa fonctionnalité, et son public. Le politologue Thomas Vitiello souligne la complémentarité des applications : « Sur Twitter, on vise les leaders d’opinions, les personnes actives dans la sphère publique, alors que sur Facebook, on touche un public beaucoup plus large et pas forcément intéressé par la politique. »
Quant à Instagram, réseau social de l’image très prisé des jeunes mais encore peu exploité par les candidats, il est le canal privilégié pour mettre en avant le travail sur le terrain. Certains candidats à la mairie de Strasbourg l’ont bien compris. Jean-Philippe Vetter (LR), Catherine Trautmann (PS) ou encore Jeanne Barseghian (Les Verts) n’hésitent pas à se mettre en scène au quotidien, sur les marchés, à la rencontre des électeurs…
Derrière les claviers, la critique acerbe
Si les réseaux sociaux sont devenus incontournables durant des municipales, le politologue relativise leur usage, qui reste plus faible que pour d’autres élections. « À l'élection présidentielle, les contenus sont commentés et relayés en masse, et peuvent parfois créer le buzz. Au niveau local, il est plus difficile de se constituer une communauté d’internautes », analyse Thomas Vitiello. Ce qui oblige les militants à aller à la rencontre des gens, sur le terrain, estime le chercheur : « C’est une élection de proximité. Les Français n’envisageraient pas de voter pour quelqu’un qui ne ferait pas de campagne à l’extérieur. » (lire encadré ci-dessous)
Permettre d’interagir, c’est aussi s’exposer à la critique. Une expérience vécue par Alain Fontanel (LREM), premier adjoint au maire, lorsqu’il a annoncé sur Facebook ses « mesures locales pour soutenir les entreprises face au coronavirus ». La publication, diffusée sur sa page de campagne, a entraîné une salve de commentaires négatifs.
Comment réagir face à la critique sur les réseaux sociaux ? Pour le community manager de la candidate PS, la consigne est claire : « On n’efface pas le contenu négatif, car cela pourrait signifier que l’on ne supporte pas le débat. Aux internautes de distinguer la haine gratuite de la critique informée. »
Laurie Correia
« L’étiquette est dure à porter »
Pourtant, beaucoup de candidats se détachent désormais de cette affiliation. À Strasbourg, le local de campagne d’Alain Fontanel, cible régulière des Gilets jaunes, se voit couvert d’autocollants aux slogans anti-Macron après chaque manifestation. « Les gens font un amalgame entre campagne municipale et nationale », regrette Laetitia Hornecker, la numéro 2 du candidat. De fait, Strasbourg est une ville stratégique pour le parti d’Emmanuel Macron qui peine à s’imposer dans toutes les autres grandes villes françaises. « L’étiquette est dure à porter », admet un membre du groupe En Marche au conseil municipal qui souhaite rester anonyme.
Qu’ils soient investis ou soutenus, tous évoquent des pressions. « Quand des Gilets jaunes débarquent aux réunions, ce n’est pas simple », explique Stéphanie Villemin (Colmar). « Les candidats m’attaquent là-dessus, disent que j’ai été parachutée », enchérit Hélène Hollederer (Schiltigheim). Christophe Meyer a été identifié « comme le gars en Marche du coin » à Cernay. « Je me retrouvais soudain responsable de la réforme des retraites !, s’exclame-t-il. Si demain je suis élu, certains vont dire que la ville est tombé aux mains de LREM. C’est faux ! » Sur son affiche ou dans son programme, insiste-t-il, aucune allusion au parti du gouvernement, à qui il « ne doit rien ». Comme les autres candidats alsaciens soutenus, il refuse qu’on lui colle uniquement l'étiquette en Marche.
Marine Godelier
Vidéo : Aïcha Debouzza
Des candidats soutenus par plusieurs partis
Un soutien élastique qui peut créer des situations incongrues. À Illkirch, le principal adversaire au maire sortant, Thibaud Philipps, est adhérent Les Républicains (LR). Pourtant, il bénéficie d’une triple étiquette pour les élections à venir : LREM et le MoDem lui ont offert leur appui.
Côté Haut-Rhin, la liste pour Mulhouse de Lara Million se trouve elle aussi « multi-supportée » par le « nouveau » et « l’ancien monde ». LREM d’abord, mais aussi le MoDem, le PS, Agir, le parti animaliste et le mouvement écologiste indépendant. « C’est une liste de rassemblement », affirme l’ancienne de LR. Un argument martelé par tous les candidats portés par LREM en Alsace. Qui dans les faits, illustre bien la « realpolitik » conduite par les partis, bousculés par les transformations de l’échiquier politique.
Les dimanches 15 et 22 mars, les Alsaciens seront appelés aux urnes pour élire quelque 14 000 conseillers municipaux dans près de 900 communes. Selon la taille de votre municipalité, le mode de scrutin ne sera pas le même.
Une politique du coucou
En s’appuyant sur des figures installées plutôt que sur des « marcheurs » de la première heure issus de la société civile mais inconnus localement, le parti peut apposer son étiquette plus largement. À l’instar de Jean-Lucien Netzer, maire de Bischwiller estampillé MoDem, qui brigue un nouveau mandat. « J’ai demandé le soutien de LREM simplement parce que mon ami, le député Vincent Thiebaut (LREM), me l’a proposé, explique le quinquagénaire, ancien syndiqué CFDT. Je ne suis pas En Marche. J’ai accepté, parce que j’accepte le soutien de tout le monde. »
Une « politique du coucou », dénonce une partie de l’opposition. « Incapable de composer des listes crédibles sur le territoire national, LREM préfère souvent soutenir cyniquement des maires qui mènent pourtant des politiques diamétralement opposées, pour pouvoir présenter des victoires qui ne seront pas les siennes », déclarait ainsi le premier secrétaire du PS, Olivier Faure en décembre dernier. Tel l’oiseau qui occupe le nid d’autres espèces en y pondant ses propres oeufs pour profiter du gîte et du couvert, le parti au gouvernement courtise des candidats issus des différents partis, pour qu’ils enfilent le maillot du « marcheur ».
Parallèlement, dans toute la France, LREM a offert son soutien à 303 aspirants à la mairie appartenant à d’autres formations, qu’elle estime être « Macron-compatibles ». C’est le cas à Mulhouse, à Cernay, à Illkirch et à Bischwiller, où les candidats ne font pas partie du mouvement mais peuvent se targuer d’un appui des macronistes. Un élargissement de l’attribution de la « marque LREM » aux personnalités issues des partis traditionnels, formidable étiquette malléable pour En Marche : sans être investis LREM, ces candidats sont à la fois « dedans et dehors ». Et si le parti au gouvernement se rend compte qu’il a misé sur le mauvais cheval, l’étiquette sera minimisée.
Une stratégie qui met à mal le renouvellement politique promis par LREM. Pourtant, aux législatives de 2017, 95% des candidats du nouveau parti qui étaient investis n’étaient pas des députés sortants, permettant un réel changement des profils à l’Assemblée. Mais si le dégagisme avait fait ses preuves à la présidentielle et aux législatives, les municipales sont une autre paire de manches pour le parti, à la fois trop vieux pour se prétendre anti-système et trop jeune pour se trouver implanté dans les communes.