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Une place surchargée ou désertique

Aux extrémités, au centre, partout les bicyclettes s’amassent sur le parvis, enchevêtrées les unes aux autres contre le moindre arceau, poteau ou morceau de grille. Le désordre causé par ces envahissantes carcasses entretient-il sa mauvaise réputation ? Difficile de savoir lesquelles sont abandonnées. La mairie ne parvient pas à régler la question. Elle a mis en place une politique d'enlèvement des vélos “épaves”, une opération réalisable si au moins deux pièces manquent et après validation de ce statut d’épave par un agent de police. Une démarche chronophage qui ne se déroule que deux fois par an sans produire d’effets significatifs.

Si les emplacements vélos sont tous saturés, on ne peut pas en dire autant de l’aire de jeux située au sud du parvis. Une table de ping-pong grisâtre et une piste de pétanque en gravillons rosés y ont été installées cet été après le vote du budget participatif en 2019. “Dans la réalisation, c’est assez raté, tacle Myriam Niss, présidente de l’Association des habitants du quartier de la gare (AHQG). Il devait y avoir de l’ombre, des arbres. En été, c’est pratiquement inutilisable parce qu’il fait trop chaud.” 

Je ne pense pas qu’on y reviendra, commentent Kilian et Hugo, la vingtaine, raquette à la main. C’est pas hyper sympathique, il y a souvent des gens alcoolisés assis sur la table.” Myriam Niss relativise : “Il n’y a pas forcément de problème lié au fait qu’il y ait des groupes de personnes.” Des problèmes, les rassemblements de jeunes migrants en transit venus pour la plupart d’Asie centrale n’en posent pas non plus.

“On n’est pas agressifs, on est jovials !”

De tous les espaces publics qu’ils fréquentent, c’est sur ce parvis qu’ils préfèrent se réunir plusieurs soirs par semaine. “Il y a une symbolique : quand on se pose, on a l’impression qu’on peut faire ce qu’on veut.” La petite bande se fond dans le paysage de ce vaste espace aux parterres végétalisés de 2,7 hectares qui sert de décor à leur dernier clip. Un tournage qui s’est déroulé sous le regard décontracté des policiers. “Ils ne nous embêtent pas, en même temps on ne fait rien de mal !, raconte Depsi67, un autre membre du groupe. On n'est pas agressifs, on est jovials !

L’augmentation des effectifs de police, visible depuis la mi-septembre, fait partie du “plan de lutte contre l’insécurité dont se plaignaient riverains et usagers”, voulu par la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier. “Strasbourg n’est pas une ville problématique. C’est même vraiment calme”, commente pourtant un CRS, arrivé de Marseille et mobilisé depuis quinze jours place de la Gare. Une présence accrue qui pourrait être liée à l’impopularité dont jouit encore le parvis. “J’appréhendais de venir travailler ici, glisse Gulsul, employée depuis avril dans une boulangerie. La jeune femme craignait une éventuelle agression. Mais tout s’est très bien déroulé jusqu’ici même quand je travaille la nuit.” Une impression partagée par divers employés des restaurants qui bordent la place. “Je n’ai jamais rencontré de problème spécifique”, relate Krisna, serveur-barman depuis 22 ans à la brasserie Le Dix. “Il y a des gens qui font la manche ou qui s’assoient sur la terrasse, surtout en été, dit-il en nettoyant un verre. Mais dès que l’automne arrive, ils sont beaucoup moins et partent lorsqu’on leur demande.

Dans la médiathèque Olympe-de-Gouges, rue Kuhn, la section jeunesse propose des livres labellisés “+ juste, + égalitaire” abordant l’égalité femme-homme. Les bibliothécaires accompagnent enfants et parents dans leur choix d’ouvrages plus tolérants.

Marine Lebègue et Jade Lacroix

Une équipe engagée

Réactions nuancées

Le parvis de la gare de Strasbourg n’est pas qu’un lieu de passage. Au milieu du flux permanent de voyageurs, une galerie de personnages s’approprient la place et la font vivre à leur manière. Seuls ou en groupe, ils offrent un autre regard sur ce lieu, porte d’entrée de la ville.

Une équipe engagée

Dès la mise en place du label, l’équipe de l’espace jeunesse a été formée par le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Bas-Rhin (CIDFF). Alexandre, contractuel chargé de l’acquisition du rayon BD asiatique jeunesse, adhère à la démarche. “L’univers des mangas est assez stéréotypé, avec un code graphique très genré. Par exemple, cette série [il montre Yamada Kun et les sept sorcières, ndlr] pose sérieusement le problème du consentement puisque les protagonistes se dérobent leurs pouvoirs en se volant des baisers.
Il cherche donc constamment des nouvelles maisons d'édition comme Akata qui tente de déconstruire les préjugés. “Ils ont publié My Fair Honey Boy, une série qui raconte l’histoire d’un garçon féminin qui tombe amoureux d’une fille masculine.” Mais cet ancien éducateur spécialisé dans les questions de genre nuance : “Ce n’est pas parce qu’on est dans un centre de ressources féministe qu’on doit avoir [uniquement] des ouvrages de ce type.”

 

Peu de réactions négatives

S’il est visible dans les rayons depuis une décennie, certaines personnes ne l’ont toujours pas remarqué, et d’autres le rejettent en bloc. Agnès, retraitée qui vient avec son petit-fils de 9 ans, trouve la démarche “excessive”. “C’est beaucoup trop tôt ! On passe un temps fou à discuter du genre alors qu’il y a des sujets plus importants.” “Aux premières heures du label, les réactions négatives nous étaient formulées plus ouvertement. Maintenant on en a très peu”, relativise Estella Peverelli.
Dans le coin dédié aux parents, Hélène, habituée des lieux, se réjouit d’observer que son fils Arthur est sensible aux questions d’égalité de genre : “En rentrant un soir, mon garçon de 6 ans était en colère parce qu’il venait de découvrir que les femmes étaient moins bien payées que les hommes. Ça m'a émue”, confie-t-elle à propos de l’enfant qui a désormais 8 ans. En reposant le livre qu’elle feuilletait, Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, elle s’enthousiasme d’avoir repéré le nom de l’autrice nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie, dans un collage féministe à Strasbourg.

Bien sûr que je connais ce label ! Ça veut dire que le livre parle de féminisme”, s’exclame Agathe, 10 ans, qui a découvert le terme grâce à la chanteuse Angèle. La fillette se dirige d’un pas décidé vers le rayon sciences sociales pour enfants de la médiathèque Olympe-de-Gouges. “Celui-ci, c’est mon préféré parce qu’il parle d’une fille qui a failli se faire tuer et qui s’est battue pour ses idées”, argumente-elle en attrapant Moi, Malala, récit d’une jeune Pakistanaise qui s’est opposée aux talibans.

Sur l’étagère, tous les livres ont un point commun : une pastille violette collée sur leur tranche. Il s’agit du label “+ juste, + égalitaire”, propre à la deuxième plus grande médiathèque strasbourgeoise. Au cœur du quartier Gare, rue Kuhn, elle regroupe plus de 170 000 livres dont 543 sont labellisés au rayon jeunesse et 970 au rayon adulte. Instauré en 2012 lorsque la médiathèque a adopté le nom d'une figure du féminisme, le macaron est octroyé aux ouvrages qui valorisent les questions de genre et d’égalité. “Il y a un double intérêt. C’est à la fois pour aider les bibliothécaires à faire des sélections ciblées, mais aussi pour que le public les repère dans les rayonnages”,  précise Estella Peverelli, coordinatrice de l’espace Égalité de genre au rayon adulte et assistante en secteur jeunesse.

 

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