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8h35, Journal et Amigo
Méhmet Akbalik, gérant du Poilu, profite du calme matinal pour écrire le plat du jour sur l'ardoise. Seul client, Didier Metz fait des allers-retours entre la borne Française des jeux, où il tire ses grilles Amigo, et le comptoir où il sirote un verre de poiret – un alcool de poire. Tout en surveillant sur l'écran les résultats du tirage, le retraité qui habite à 100 mètres se souvient : "Il y a 15 jours, j'ai gagné 600 euros." Et précise : "Je coche les numéros au hasard, c'est un peu mon rituel du matin. Je viens ici aussi pour lire les pages sportives des DNA."
11h38, Apéro
La salle se remplit un peu à l'approche du midi. Installée à une grande table ronde, Catherine Reith boit un picon en attendant un ami pour déjeuner. Habituée depuis trois ans, elle vient plusieurs fois par semaine pour le plat du jour, et a même fêté le nouvel an 2018 au Poilu : "On a dansé, c'était bien. On fait aussi les anniversaires, parfois, et tous les ans, le repas de Noël. C'est appréciable pour ceux qui n'ont pas de famille." Son ami, Alfred Roesner, la rejoint et commande "un Noir" – comprendre : un picon. Autour de Catherine Reith, un petit salon se forme lorsque Ginette Zimmermann se joint à eux pour l'apéro, avec son mari. Ce dernier s'installe deux tables plus loin, dos au mur - "j'aime bien savoir qui est derrière moi" explique-t-il, l'œil malicieux.
13h48, Fin de déjeuner
Après un service tranquille – une vingtaine de couverts –, Méhmet et sa femme débarrassent la table d'Arnaud. Pour lui, qui travaille aux pompes funèbres à côté, le Poilu est "un peu comme la cantine : pratique et pas cher, avec la formule midi à 8€50." Clémence et Jean-Luc, fraichement retraités à 66 et 62 ans, sont plus diserts : "Vous ne trouverez pas la même ambiance ailleurs. On connait tout le monde, c'est familial. » Pendant que Jean-Luc termine son verre de poiret, Clémence ajoute : "C’est le premier pion de Koenigshoffen et la dernière vraie brasserie du quartier."
Au comptoir, Gallou, la quarantaine, tatouages apparents sur le cou, explique – enfin ! - la différence entre le poiret et la poire : "C'est comme pour le speed et la coke, le poiret, c'est moins raffiné. "
17h37, rami turc et afterwork
Depuis deux ans, Israël et trois amis se retrouvent dans le coin des habitués – la grande table ronde – pour jouer au rami turc. Jeu de combinaisons, la manche se termine une fois qu'un joueur s'est défaussé de toutes ses cartes. Rires et plaisanteries rythment la partie. "C'est un plaisir de venir jouer aux cartes ici, on vient souvent, mais pas tous les jours non plus", confie Israël en sirotant un raki (une eau de vie turque aromatisée à l'anis).
Première brasserie de Kœnigshoffen en arrivant du centre-ville, le Poilu est aussi l'un des principaux lieux de vie du quartier. Et l'un des plus anciens. Avant la Première Guerre mondiale, la maison du 23 route des Romains était déjà un estaminet. L'Alsace redevenue française, la brasserie fut rebaptisée du sobriquet des soldats de la Grande Guerre.
Pendant qu'ouvriers et pelleteuses s'activent sur l'extansion de la ligne F du tramway, à la brasserie "Au Poilu", la vie suit son cours.
Au n°41, Harun Hurug a ouvert un nouveau kebab il y a deux mois, suite à la fermeture de son ancien établissement quelques numéros plus loin dans la rue, avec pour argument de vente : la qualité de ses produits, issus de l’élevage local et confectionnés sur place. "En général, les restaurateurs se fournissent en Allemagne car la viande est moins chère et directement livrée sur la broche", explique le cuisiner, qui débite chaque jours 7 kilos de poitrine de veau qu’il assaisonne et embroche lui-même. Sur la route des Romains, My Döner est seul à proposer de la viande de veau. Comparé aux autres restaurants, Harun Urug fait le choix de pratiquer des prix plus élevés et de restreindre sa carte à un seul savoir faire. Pour lui, "se diversifier pour mieux régner" n’est pas un signe de qualité.
Loana Berbedj
Présidente de l’association des habitants du quartier de Koenigshoffen, Brigitte Breuil est une figure incontournable pour les résidents.
Son histoire avec le Hohberg commence en 1996, presque par hasard. Au cours d’une remise de prix, organisée par la ville de Strasbourg, pour la décoration fleurie de sa maison, Lilianne Oehler, la responsable de l’époque, la convainc d’intégrer l’association des habitants du quartier. De fil en aiguille, elle devient présidente en 2004.
Toutes les semaines, Brigitte Breuil arpente les rues du Hohberg, scrute les immeubles et visite les appartements, en quête de solutions pour les locataires: "On essaie de régler les problèmes, mais ce n’est pas toujours facile."
En quatorze ans, elle est devenue une interlocutrice privilégiée pour les familles, tantôt conseillère, tantôt médiatrice ou policière de quartier. "Avant je jonglais avec deux téléphones, dit-elle. Maintenant, les habitants possèdent mon numéro de téléphone personnel." S’il lui arrive de râler quand le portable sonne à des heures tardives ou le week-end, elle se réjouit des remerciements et des fêtes de voisins réussies.
La sexagénaire en agace certains par sa détermination. Son engagement associatif peut s’apparenter à une forme d’intrusion dans la vie privée.
Au final, même si la présidente ne vit pas au Hohberg, un lien d’amitié et de confiance s’est créé avec la centaine de familles de la cité. "A chaque fois que je viens ici, mon mari me dit : ‘‘Qu’est-ce que tu vas encore faire au Hohberg ?” Mais c’est un quartier où il fait bon vivre, malgré toutes les choses négatives que l’on peut dire."
Clément Gauvin
Pauline Dumortier, Héloïse Lévêque et Marie Pannetrat
Un secteur devenu "difficile"
Ouverts tous les jours, jusqu’à minuit pour la plupart, les tenanciers de kebabs travaillent seuls ou en effectifs restreints. Pas plus de quatre employés, pour limiter leurs charges et maintenir leur activité. "À partir de 15 h, je suis seul pour réaliser le service en salle et la préparation des commandes. Je ne peux pas me permettre de payer une serveuse en période d’heures creuses", déclare Laurent Ulgur, qui ajoute aussi que sa femme l’aide à la gestion de son établissement. Christophe Kaya qui a ouvert son affaire, Au Soleil d’Istanbul, il y a huit ans, rembourse toujours le crédit de son fonds de commerce : 1300 euros par mois. "Le kebab n’est plus un business qui tourne aujourd’hui, le pouvoir d’achat a diminué et, pour huit euros, une famille préférera acheter des pizzas surgelées chez Auchan", affirme-t-il.
Malgré 1,3 million d'euros investis, les travaux de réhabilitation menés de juin 2017 à mars 2018 dans les logements sociaux du secteur Herrade peinent à convaincre les locataires. Issus d’un dialogue entre le bailleur social, la mairie et les habitants, ils devaient pourtant métamorphoser le quartier prioritaire.