Au bout de la rue du Maréchal-Lefebvre, un édifice de briques tranche dans le paysage de tôle de la Plaine des Bouchers. Pendant la guerre, on y testait des moteurs d’avion. Aujourd’hui, entreprises et associations donnent une nouvelle vie au bâtiment Junkers.
Batiments liés à l'histoire des usines Mathis. © : A. Bataller , C. Bouchasson , L. Bourgeois
En 1931, la manufacture Mathis est l’une des plus modernes d’Europe. Aujourd’hui, la zone accueille des locaux industriels. © Google earth / Histoires et lieux d'Alsace
0h20
Certains se ravitaillent au Night Shop, à cinq minutes à pied. L’échoppe de 15 m2, ouverte jusqu’à 5h, vend de tout : boissons, chips, bonbons…“C’est l’épicerie de la Meinau”, lâche un client, Ice-Tea et Maltesers à la main.
En face, le food truck Smash Burger est toujours ouvert. Dans moins d’une heure, Mehdi éteindra ses friteuses et le Select servira ses derniers verres. Mais la Plaine des Bouchers, elle, continuera à vivre au rythme de la techno jusqu’au bout de la nuit.
* Le prénom a été modifié.
Abel Berthomier et Sarah Khelifi
0h07
Entre-temps, une queue s’est formée devant le Studio Saglio, malgré la pluie et le vent. Des fêtards, prêts à danser jusqu’au petit matin, se disent attirés par un public “ouvert d’esprit” et par l’absence de voisins. Ils ne le savent pas, mais 1 865 personnes résident à la Plaine des Bouchers.
Elisa*, trentenaire, habite juste en face de la boîte de nuit. Arrivée d’Albanie il y a sept ans, sa situation irrégulière ne lui permet pas d’avoir un logement. Alors elle subit, deux soirs par semaine, ce désagréable voisinage et a déjà dû appeler la police suite à une bagarre. Cette nuit, trois hommes discutent bruyamment au pied de sa fenêtre. “Pour le prix de la maison, on supporte les nuisances”, témoigne un de ses voisins qui vit ici depuis vingt-quatre ans.
22h
Comme elles, on oublierait presque que la zone industrielle continue de tourner. Devant l’entrepôt Amazon, rue Livio, des travailleurs en veste orange passent d’un hangar à l’autre. D’autres ouvriers embaucheront à 4h à l’usine de sièges automobiles Adient, quand la fête battra son plein au Studio Saglio. Pour l’instant, les premiers fêtards se garent autour de cette boîte techno qui a fêté ses trente ans cet été. Sur le trottoir, certains boivent déjà, bouteilles de vodka et bières à la main, en attendant l’ouverture dans une heure.
22h30
Plus haut dans la rue, d’autres achèvent leur soirée autour d’un thé, devant la mosquée Semerkand. Assis sous un barnum, autour d’un distributeur de café, quatre hommes portant des kufis bavardent. “C’est un espace de discussion pour les Turcs”, explique Huseyin.
23h
Au Select, à 500 mètres de là, une quinzaine d'hommes fument le narguilé sous la lumière des néons. Enfoncés dans des canapés noirs, ils profitent de l’absence de leurs femmes pour “se parler librement”. Bachir Soualah, le patron, a déménagé sa chicha du centre-ville et de ses problèmes de voisinage il y a un an. “J’ai demandé à mes clients s’ils suivraient. Ils m’ont assuré que oui.”
21h40
Au bout de la rue se détachent les silhouettes de deux camions, garés le long du canal du Rhône-au-Rhin. Ils utilisent l’accotement de la rue du Doubs comme espace de parking. À travers la baie vitrée du Elite Steakhouse, des lustres imposants éclairent une salle comble. Coincé entre un magasin de cuisine équipée et une boucherie, ce restaurant de grillades réputé semble tout droit sorti d’un épisode de Gossip Girl. “Les gens viennent de Metz, de Mulhouse, d’Allemagne”, explique le gérant, Cinar Rusterm. Pour un minimum de 40 euros, des cuisiniers grillent une viande halal directement à la table des clients. Certains serveurs parlent turc pour accueillir cette communauté très présente dans le secteur. “C’était risqué. Ça marche grâce au concept”, précise le restaurateur.
La concurrence est rude. Quelques rues plus loin, six jeunes femmes ont choisi l’adresse italienne Le Venezia pour les 18 ans de leur amie. “Ça me fait flipper de venir ici… Mais qu’est-ce qu'on ferait pas pour sa copine !”, rigole Selena. Il y a quelques mois, un homme a agressé son amie Nesli dans le secteur. Malgré tout, elles restent fidèles au quartier, de jour comme de nuit. “Il y a notre mosquée à côté, donc on a l’habitude de venir ici.”