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Coopération policière à deux vitesses


18 décembre 2007

Installé à Kehl depuis 2002, le CCPD contribue à la résolution des affaires transfrontalières. Mais pour une parfaite collaboration, il faudrait que les deux pays harmonisent leurs législations.

Un malfaiteur passe la frontière. A ses trousses, la police allemande. Impossible pour elle d’interpeller l’individu sur le sol français… bien qu’elle ait le droit de le poursuivre. Pour l’arrestation, elle doit contacter les services français. Un imbroglio qu’Alain Mirabel, directeur interrégional de la police judiciaire à Strasbourg, voudrait voir gommer : « Il faudrait modifier la Constitution française pour permettre à n’importe quel policier européen d’interpeller en France ». L’Allemagne quant à elle, accepte l’interpellation par des policiers français sur son territoire.
Deuxième casse-tête transfrontalier, la prostitution. « Nous avons démantelé un réseau bulgare : les femmes étaient domiciliées en Allemagne mais racolaient dans les rues strasbourgeoises », raconte Alain Mirabel. Ce qui implique trois législations différentes et autant de difficultés. La question de l’harmonisation du droit pénal est donc sur le tapis.
Autre souci, plus pratique celui-ci, les radios de communication françaises et allemandes ne fonctionnent pas sur les mêmes fréquences.
Tous ces problèmes concrets, constatés quotidiennement par les agents de terrain, ne semblent pas faire l’objet d’un changement à venir. La prochaine présidence française qui entend se pencher sur l’harmonisation du droit pénal, se concentre essentiellement sur la question du terrorisme.

Salle opérationnelle « H24 »

La coopération entre policiers français et allemands n’en est pourtant pas à ses balbutiements. A 500 mètres de la frontière, à Kehl, le bâtiment de briques orange du centre de coopération policière et douanière (CCPD) abrite la salle opérationnelle H24. Une soixantaine de policiers, gendarmes et douaniers, français et allemands y travaillent ensemble. Leur mission : faciliter 24 heures sur 24 le travail d’enquête entre la France et l’Allemagne, que ce soit pour organiser les recherches ou servir de traducteur. Les deux pays partagent leurs fichiers sur le terrorisme, les crimes, les cadavres, les infractions au code de la route, les catastrophes naturelles et les transports de déchets nucléaires.
« 10 à 15 % des affaires constatées ont une connotation transfrontalière. Avec la suppression des douanes, il a fallu trouver des alternatives pour garder le contrôle des criminels d’un pays à un autre », explique Alain Mirabel. « Nous avons inventé de nouveaux instruments pratiques, qui étaient prévus de façon théorique par Schengen », continue le commandant de police, Pierre-Paul Kraehn. Le CCPD est un de ceux là.

Pirates de cartes bancaires

Dans 95 % des cas, les affaires transfrontalières concernent la petite et la moyenne criminalité de proximité (stupéfiants, vols, prostitutions). Le centre gère aussi des problèmes liés à l’immigration, comme la circulation de faux papiers et l’identification de flux migratoires. Une autre affaire importante qui a mobilisé les policiers : le piratage des cartes bancaires par l’installation de faux lecteurs sur les distributeurs de billet. Une affaire de ce type a été résolue à Colmar en 2005 : des malfrats roumains ont été arrêtés en flagrant délit grâce à la collaboration franco-allemande. Actuellement, d’autres affaires de ce type sont suivies.
En décembre 2008, une décision cadre (18/12/06) obligera la France à fournir dans un délai de 8 heures les éléments nécessaires à une enquête d’un pays membres. Contre plusieurs jours actuellement.

Florent Potier

 

Faire franchir la frontière à l'« Alerte Enlèvement »

L’Europe s’intéresse de près au système Alerte Enlèvement diffusé à la télévision et à la radio française lorsqu’un enfant disparaît. Inspiré par la méthode, les 27 envisagent d’étendre la diffusion des messages vers les pays frontaliers concernés par l’enlèvement.
Les chaînes de télévisions et de radio frontalières, relayées par des annonces en gare et des panneaux d’affichage routiers, diffuseraient donc l’avertissement : «Un enfant a été enlevé...», donnant le signalement de l’enfant et du ravisseur, ainsi qu’un numéro de téléphone des services d’enquête.
Le 15 août 2007, Enis, un petit garçon enlevé en France, a été retrouvé à quelques kilomètres seulement de la Belgique. «C’est donc de part et d’autre des frontières qu’il faudrait pouvoir diffuser l’alerte», appuie Elisabeth Pelsez, conseillère au ministère de la justice.

Un modèle français

Ce système transfrontalier semble satisfaire les ministres de la Justice européens, dont certains ne jugent pas utile d’activer l’alerte sur l’ensemble des pays européens à chaque disparition d’enfant. Trop lourd et trop compliqué : traduire les alertes en 23 langues prendrait du temps, alors que le principal intérêt du système réside dans son déclenchement rapide.
Depuis sa mise en place en février 2006, le message «alerte enlèvement» est déjà apparu cinq fois sur les télévisions et radios françaises, inspirée par la méthode américaine Ambert Alert.
En août 2007, à l’issue d’une rencontre au ministère de la justice, Franco Frattini, commissaire européen, chargé de la justice et des affaires intérieures, a demandé à la Garde des sceaux Rachida Dati de «présenter le modèle français aux autres pays».

Réunis à Lisbonne le 2 octobre 2007, les ministres de la Justice des 27 ont déclaré vouloir «créer un mécanisme alerte enlèvement à l'échelle européenne, au fonctionnement souple, qui serait un complément à la coopération entre les autorités compétentes des Etats membres».
Quant à l’application effective du système, le cabinet de Rachida Dati est plus nuancé : «Un groupe de travail de la Commission ausculte la situation dans chaque pays. Des éléments concrets se mettront en place sous la présidence française», précise Elisabeth Pelsez.

Florent Potier

 

 

 

 

Gilles de Kerchove : « Il faut améliorer l’échange d’informations entre police et justice au niveau européen »

Gilles de Kerchove est le monsieur « antiterrorisme » de l’Europe. Haut représentant pour la coordination de la lutte contre le terrorisme et représentant personnel du secrétaire général du Conseil de l'UE, Javier Solana, il fait le point sur la lutte contre le terrorisme en Europe.

Quelle est la priorité en matière terroriste dans les temps à venir ?

J’espère que la présidence française fera progresser la coopération entre Europol et Eurojust (1) en matière d’analyse criminelle et de lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, il faut également que les polices et les parquets des pays membres alimentent suffisamment en informations ces deux instances, comme le prévoit la décision du Conseil de 2005. Il faut aller vers une transmission systématique des informations, mais certains pays sont réticents. En juin 2008, il faudra faire le point là-dessus.

Quel type d’échange de données fonctionne actuellement ?

Par exemple Check the web, qui permet de surveiller les activités terroristes sur internet. Mais quatre services en Europe surveillent le web chacun de leur côté. Il serait plus efficace de mutualiser ces forces sous la coupe d’Europol. Il faut accélérer la phase suivante qui consistera notamment à transmettre les informations récoltées à des pays non membres de l’UE.

Et en matière de prévention du terrorisme ?

Nous y travaillons de plus en plus, tant au sein de l’Union européenne que dans les pays tiers. Il y a des groupes terroristes à l’intérieur de l’Union : 2000 personnes sur lesquelles pèsent des soupçons mais pour lesquelles nous n’avons pas de preuves pour procéder à des arrestations.
Pour le terrorisme islamiste, je propose de créer un espace de dialogue avec des réseaux de musulmans modérés. Ce serait intéressant que la présidence française s’occupe de ce dialogue, forte de son expérience. Je souhaite aussi nommer un porte-parole en langue arabe et ainsi mieux expliquer ce que nous faisons auprès des communautés musulmanes.

(1) EUROJUST est un organe européen de coopération judiciaire entre les états membres qui coordonne les enquêtes et les poursuites au-delà du territoire national. Il est basé à La Haye.
EUROPOL est un organe de police intergouvernemental qui permet l'échange de renseignements notamment sur le terrorisme mais aussi sur les stupéfiants, la criminalité internationale et la pédophilie.

Propos recueillis par Florent Potier

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