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« S’il vous plaît sauvez nos vies »
Quand elles atteignent enfin la frontière avec leurs enfants ou leurs parents, le calvaire est loin d’être fini. Elles doivent gérer les contraintes matérielles pour trouver de la nourriture, un logement, puis une école pour leurs enfants. Beaucoup doivent aussi composer avec la lourde culpabilité d’avoir abandonné leur pays. Pour les Ukrainiennes, le seul moyen d’éviter l’exil est de mettre fin aux bombardements en créant une zone aérienne libre. L’heure n’est plus aux débats mais à l’action. Que ce soit au Parlement ou dans les manifestations, ce 8 mars à Strasbourg est surtout l'occasion de lancer un appel à l’aide général : « Please, please, please, save our lives ! » (s’il vous plaît, sauvez nos vies).
Clémence Blanche et Lisa Ducazaux
Les eurodéputés ont débattu des SMS controversés entre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, et Albert Bourla, PDG du géant pharmaceutique américain Pfizer. Ces messages traitaient de l’achat de 1,8 milliard de doses de vaccin à 19,50€ l’unité, soit 35 milliards d’euros. La Commission européenne a refusé de rendre public l'accès à ces sms. La médiatrice européenne Emily O’Reilly a demandé au cabinet de la présidente de les retrouver et d’en révéler le contenu. Pour la gendarme des institutions européennes, les textos peuvent faire l’objet d’un contrôle. Toutefois, la législation de 2001 sur l’accès aux données ne prend pas en compte ces nouveaux canaux. C’est un argument qu’a mis en avant la Commission, soulignant l’éphémérité du support.
Mais les parlementaires étaient unanimes, il faut que lumière soit faite, dans « une maison de verre [...] où il n’y a aucun espace pour l’obscurité » (Alessandro Panza, ID, extrême droite). Un devoir d’exemplarité souligné par Evin Incir (S&D, sociaux-démocrates), raillant que même « un envoi de lettre par pigeon » aurait dû être rendu public. Un deuxième « SMSgate » pour Ursula von der Leyen qui ne passe pas pour les députés européens, celle-ci ayant déjà effacé des messages lorsqu’elle se trouvait à la tête de la Défense allemande. « Une masterclass de mauvaise foi », estime le Belge Marc Botenga (La GUE, extrême gauche). Seul un des membres du PPE, Tomislav Sokol, s’est montré un peu plus conciliant : « certains doutes doivent être dissipés, mais nous ne devons pas remettre en question toute la procédure d’achat. » La commissaire a conclu en rappelant l’échéance du 26 avril, date à laquelle l'exécutif européen est censé donner une réponse à la médiatrice.
La semaine dernière, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont officialisé leur demande d’adhésion à l’Union européenne. Si l’agression russe a créé un appel d’air pour les candidatures, leur acceptation par les 27 reste très peu probable.
Le soutien du Parlement exprimé d’une même voix
La même salve d’applaudissements émus résonne plus tard dans l’hémicycle du Parlement européen. Debouts, les députés ovationnent le discours poignant d’Oksana Zaboujko. Invitée d’honneur pour la journée du 8 mars, l’écrivaine ukrainienne vient de célébrer le courage des femmes de son pays : « Les larmes me montent aux yeux quand je les vois se battre aux côtés des hommes ». Sur le front ou en civil, nombreuses sont celles qui s’avancent sans arme devant les soldats russes pour y déposer des graines de tournesol dans leur poche. Symbole national, ces fleurs jaunes doivent alors pousser sur le cadavre des militaires, s’ils meurent dans cette guerre.
Un à un, les parlementaires défilent ensuite au pupitre, honorant à leur tour la bravoure de ces héroïnes. Pour l’extrême gauche, Manon Aubry déclame un couplet de l’hymne du Mouvement de libération des femmes, chant féministe des années 1970. Assita Kanko (ECR, conservateurs), affirme également son soutien aux Ukrainiennes avec conviction : « Nous vous croyons et nous vous entendons. Nous allons nous battre pour chaque femme, celles d’aujourd’hui et celles de demain ».
Femmes, premières victimes
« À chaque fois qu’il y a une guerre ou une crise, ce sont les femmes qui sont les premières victimes », assure la femme de lettres Oksana Zaboujko. Hôpitaux, écoles, crèches et zones résidentielles sont la cible des attaques russes depuis le début du conflit en Ukraine. Des endroits occupés majoritairement par des femmes. S’enfuir relève donc de l’exploit, et rester sur place est invivable. « Les femmes sont les boucliers humains que Poutine essaye de briser », s’insurge l’écrivaine slave. Dans les abris, mères et nouveau-nés risquent notamment de mourir par choc septique à cause du grand manque d’hygiène. Les familles souffrent aussi de l'absence de chauffage et de nourriture. Le danger des violences sexuelles ressort également dans les discours solennels et les témoignages des Ukrainiennes. Mais pour l’instant, il est difficile pour les ONG sur place de récolter les preuves de ces crimes.
Pour Alviina Alametsä (Verts/ALE), députée membre de la commission sécurité et défense, « l’Europe a une analyse géopolitique différente. » Pour elle, comme pour la Première ministre estonienne Kaja Kallas, l’Europe de la défense ne doit pas être un clone de l’OTAN, mais une construction coordonnée particulière à l’Union qui devra « travailler main dans la main » avec l’Organisation transatlantique. Au sortir des débats, ce sont en effet des actions au niveau national qui semblent privilégiées : « nous devons nous protéger nous mêmes en accroissant de manière significative nos budgets de défense », plaide Nathalie Loiseau (Renew, libéraux).
Un front uni, mais des divergences internes
Symbole de cette prise de conscience, l’Allemagne a annoncé le dimanche 27 février augmenter à 2% la part de son budget alloué à sa défense. Une décision emblématique qualifiée « d’inimaginable jusqu’ici » par la Première ministre estonienne Kaja Kallas, invitée d’honneur au Parlement européen.
Si les différents groupes politiques ont affiché un front uni contre la Russie, de nombreux députés appellent à une révision de l’idée de défense commune. Chaque groupe a sa vision bien spécifique de ce concept, certains allant jusqu’à le refuser complètement. Le PPE et Renew plaident pour une organisation stratégique : « Nous savons ce qui nous fait défaut », a affirmé Arnaud Danjean (PPE, centre-droit), lors du débat du mercredi 9 mars. « Ce qui a manqué, ce ne sont pas des outils, mais la volonté politique de la part de nos États membres. » Pour les Verts, l’urgence est de sortir de la dépendance face au gaz russe, à travers les énergies renouvelables. L'extrême gauche (La Gauche) plaide, à contrario, pour un désarmement, à travers l’intervention de Martin Schirdewan : « Ce n’est pas par l’armement et la violence que notre monde deviendra plus sûr ».
Pour pouvoir s’accorder sur une politique de sécurité commune, il faut d’abord que l’UE « décide quelles sont les menaces qui pèsent sur elle », explique Rasa Juknevičienė, (PPE, centre-droit), vice-présidente de la commission sécurité et défense au sein du Parlement européen. L’ancienne médecin file la métaphore médicale : « pour avoir les bons instruments afin de préserver la paix, il faut d’abord un diagnostic précis des dangers. » Aujourd’hui, il est simple : la Russie est une menace pour la famille européenne. Pour arriver à construire cette politique de défense commune et ressortir renforcés de cette crise, les États membres devront « rester unis jusqu’à la fin », résume Rasa Juknevičienė.
Emilie Autin et Isalia Stieffatre
Une défense à 27, rêve ou réalité ?
Le déclenchement de la guerre en Ukraine a soudainement poussé l’UE à prendre des décisions historiques. 450 millions d’euros ont été débloqués dans le but d’acheter et de fournir des armes à l’Ukraine, mettant fin au « tabou voulant que l’Union ne fournisse pas d’armes à des belligérants », selon les mots de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, lors de la session extraordinaire du 27 février.
Jusqu’alors, la protection militaire en Europe était assurée par les États-Unis, à travers l’OTAN. Aujourd’hui, la menace russe pèse sur des pays de l’Union non-membres de l’alliance nord-atlantique, tels que la Finlande et la Suède.
C’est avec gravité que la rapporteuse hongroise Anna Júlia Donáth a défendu son rapport lundi au Parlement européen. Dans celui-ci, elle s’inquiète de la réduction de l’espace dévolu à la société civile en Europe. Les syndicats, ONG et autres journalistes auraient selon son rapport de moins en moins de place pour exercer correctement leurs activités. Ils seraient notamment victimes de cadres législatifs oppressifs visant à réduire leur puissance d’action en les poussant à l’autocensure. Or, comme l’a souligné la députée, leur rôle est primordial dans la défense des droits fondamentaux et des démocraties européennes.
Au moment où la guerre en Ukraine laisse présager des conséquences à long terme sur sa société civile, la rapporteure Anna Júlia Donáth a souligné en ces mots la pertinence de son rapport : « Lorsque les réfugiés ukrainiens franchissent les frontières européennes, qui sont là pour les aider ? Pas des soldats, pas des politiques ou des fonctionnaires mais des gens comme vous et moi, des gens de la société civile. » Parmi les solutions envisagées, le texte souhaite garantir aux organisations la possibilité de participer à l’élaboration des lois et des politiques. Il veut aussi surveiller l’accès de ces derniers à des financements durables. Ce rapport a été voté par la majorité des députés. Didier Reynders, commissaire européen à la Justice a assuré que le « rapport alimentera les travaux de la Commission européenne ».