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Sur les berges du canal de la Marne au Rhin, le quai Jacoutot voit fleurir de nombreuses friches. Malgré la proximité du port aux pétroles et de la zone Seveso, ces espaces regorgent de biodiversité.

Balade interactive au sein des friches, le long du quai Jacoutot. ©Simon Cheneau, Louise Forbin et Loris Rinaldi

Le chant du pic vert peine à se faire entendre sous le vrombissement incessant des camions qui se dirigent vers le port aux pétroles, sa zone Seveso et ses friches. À partir du Pont du Canal, une dizaine de bâtiments abandonnés ou terrains inutilisés jalonnent le quai Jacoutot. Ici, la nature reprend ses droits, aidée ou non par la main de l’Homme. Cachée par d’épais sapins, Euroasis est la première de ces friches.

La “jungle” d’Euroasis.

À l’orée d’un bois qui abrite un hêtre remarquable, des ifs ou encore un pin noir, se dévoilent trois villas de maître abandonnées. “Ça ressemble à une jungle”, s’exclame Gaby Guthmann, présidente de l’association Euroasis. Le mot sonne juste pour décrire cet espace de permaculture, qui tente de reproduire un écosystème naturel. Au cœur de ce désordre organisé dans lequel poussent lavande, blettes, fraisiers, Anne-Claire, une nouvelle recrue, pointe l’enjeu du “sol très pollué. La mairie a recensé du mercure, de l’arsenic et du plomb”. Une problématique qui concerne l’ensemble du quai Jacoutot. Fred, jardinier à ses heures perdues, confie avoir “nettoyé, par précaution, le sol, et ajouté de la terre”. De son côté, l’association fait pousser ses courges, son maïs, ses citrouilles, dans des bacs à lasagnes: empiler les couches de matériaux permet d’éviter que les cultures ne touchent le sol. La permaculture, en favorisant la biodiversité, a aussi permis le retour de la faune. Désormais classée refuge Ligue de protection des oiseaux (LPO), Euroasis affirme tout mettre en œuvre pour encourager l’installation des oiseaux. L’association a déjà observé un couple de buses, des crécerelles et même une chouette hulule. “On a la chance d’avoir un jardin avec une clôture naturelle de haies, qui permet d’abriter les oiseaux. Des feuilles, du compost et des briques concassées forment des tas à l’extérieur pour les hérissons ou les orvets”, décrit Gaby Guthmann.

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L'espace de permaculture des jardins d'Euroasis. ©louise forbin

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Marie-Madeleine devant le fortin du quai Jacoutot. ©louise forbin

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Gaby Guthmann dans les jardins d'Euroasis. ©louise forbin

La zone Seveso, une biodiversité à part

En suivant les berges vers l’est, le quai Jacoutot - long de 3,5 kilomètres - croise la rue de Rouen. À gauche, la route mène au cœur de la Robertsau; tout droit, le quai file vers le port aux pétroles, bordé par une trentaine de platanes parfaitement alignés. Ce site est classé Seveso du fait du stockage de liquides inflammables et de produits toxiques, ce qui entraîne la mise en place de mesures de sécurité supplémentaires. Dans le cadre du Plan de protection des risques technologiques (PPRT), les parcelles les plus proches des structures dangereuses ont fait l’objet de mesures d'expropriation. C’est le cas des anciens terrains de la compagnie française de navigation rhénane. Ses espaces à l’abandon laissent proliférer séneçons du Cap, lierre, clématite des bois qui grimpent le long des clôtures abîmées.

“C’est dans les friches [industrielles] qu’on trouve le plus de biodiversité”, explique Sébastien Heim, patron de l'entreprise Hymenoptera, basée à Obersteinbach, qui conseille les entreprises et les municipalités dans la création de biotopes. “Comme il y a moins d’interventions humaines, on y trouve beaucoup plus de fleurs que dans des prairies grasses riches en engrais”, note-t-il.

Un constat que partage Marie-Madeleine Leroy, enseignante à la retraite désormais membre de la LPO et d’Alsace Nature. Devant la friche de l’ancien hôtel À l’écluse du Rhin, la militante note la présence de sureau, mais aussi de buddleia, une plante invasive “dont raffolent les papillons”. Le lieu constitue un “abri idéal pour les oiseaux et les rongeurs, qui peuvent se nourrir de graines et s’abriter dans les recoins du jardin”, s’enthousiasme-t-elle. 

Une fauche qui fâche 

Au bout du quai, le port aux pétroles a recours à des fauches régulières pour se prémunir des incendies. Elles ont lieu trois fois dans l’année: “une au printemps, la coupe de sécurité, une fin juin-début juillet, la fauche de propreté, et enfin la fauche hivernale”, regrette Marie-Madeleine Leroy. Animaux pris au piège, perte de fleurs pour les insectes pollinisateurs: la coupe “nuit à la biodiversité”, justifie la militante. 

Tout en avançant, elle ajoute que le canal de la Marne au Rhin et ses berges fonctionnent comme un véritable “corridor écologique”. Il  “permet à la faune et à la flore d’y vivre et de se déplacer librement”. Dans le décor industriel du quai Jacoutot, il est encore possible de s’émerveiller. “En mai, on a vu des lucioles. Moi, je n’en avais jamais vu de ma vie”, sourit Anne Claire, d’Euroasis. “Vous avez déjà vu des lucioles, vous?”

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