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Débat : les forêts roumaines sont-elles en danger ?

23 mai 2022

Débat : les forêts roumaines sont-elles en danger ?

Les forêts de Roumanie souffrent d’une mauvaise image à l’étranger. Privatisées pour moitié depuis la chute du régime communiste, elles doivent répondre à des impératifs de rentabilité économique. Mais ...

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À droite, la mère de Ionuț qui vit toujours avec eux, s'occupe du jardin et perpétue les traditions. ©Juliette Lacroix

Les Roms en Roumanie

Selon les estimations, entre 245 000 et 2,5 millions de Roms vivraient en Roumanie, faisant de cette communauté la deuxième minorité ethnique du pays, après les Hongrois. À Cluj, ils seraient environ 10 000. Loin d’être une communauté homogène, une vingtaine de sous-minorités, aux langues, traditions et statuts sociaux divers existent. Esclaves jusqu’au XIXe siècle, persécutés au cours de la Seconde Guerre mondiale puis mis à la marge depuis des décennies, les Roms restent globalement mal considérés par les citoyens roumains. « Il y a un racisme très ancré en Roumanie », pointe Alexandra Oanǎ, élue à la mairie de Cluj. « Il n’y a aucune reconnaissance de l’identité et de l’histoire roms », tranche Cristina Raț, sociologue.
 

L’étable, 15 m2 — et c’est un « luxe » — abrite quatre vaches, une jument de trait et son jeune poulain. Le poulailler accueille quant à lui poules, dindons, cailles et pigeons, et la bergerie, une dizaine de chèvres tout au plus.

Le jeune fermier limite ainsi ses venues au supermarché de Vatra Dornei, la « grande » ville au fond de la vallée — 15 000 habitants —, aux cas d’extrême nécessité. Pour le reste, la débrouille est indispensable. « Quand j’ai besoin d’huile, j’utilise la graisse de mes vaches. Et pour le sucre, le miel de mon voisin fait très bien l’affaire. Je lui échange contre quelques cailles… »

Ionuț est autosuffisant à plus de 70 %. Ce qu’il ne produit pas, il se le procure auprès de ses proches ou dans les marchés locaux. La micro-supérette du village permet aussi de dépanner, « par exemple quand il n’y a plus de savon ou de papier toilette. Ça, on ne le trouve pas dans le jardin ! » 

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Dans le préfabriqué situé au coeur du ghetto, des adolescents assistent à des cours de soutien en mathématiques. © Iris Bronner

« Les autorités locales agissent comme des ONG »

Pour tenter d’attirer les jeunes élèves sur le chemin de l’éducation, les services sociaux municipaux (DASM) ont entrepris divers projets. À Traian Dârjan, les enfants peuvent manger un repas chaud, nettoyer leurs vêtements et prendre une douche. À la rentrée, la DASM fournit du matériel scolaire, un bref programme de soutien extra-scolaire avait aussi été instauré. Mais pour la conseillère municipale d’opposition Alexandra Oanǎ (USR - centre droit), ces initiatives paraissent bien insuffisantes. « Les autorités locales agissent comme des ONG, et ne prennent pas leurs responsabilités en mettant en place une véritable stratégie à long terme pour insérer ces jeunes. Il y a une grande indifférence des pouvoirs publics envers la minorité rom », dénonce celle qui est aussi enseignante. «  Nous agissons, mais nous ne pouvons pas nous substituer à l’État ou à l’école, balaye le directeur exécutif de la DASM, Aurel Mocan, tout ne peut pas venir de la municipalité. Il y a aussi des difficultés d’intégration qui tiennent de la mentalité de cette population. »  Depuis son élection en décembre 2020, Alexandra Oanǎ et son parti progressiste et europhile essaient d’aller plus loin. Sous leur impulsion, un centre sera bientôt installé au sein du bidonville comprenant, entre autres, un espace pour travailler et une salle informatique. « Des Pata Rât il y en a partout dans le pays, et ce sont tous des bombes à retardement. Nous avons les moyens d’agir et il faut le faire tant que cela est possible. »

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LÉGENDE C Juliette Lacroix

Malgré les efforts d’une poignée d’irréductibles, certaines pratiques ancestrales se perdent. Ionuț regrette le temps où ses parents élevaient leur cheptel d’une centaine d’ovins. Aujourd’hui, il voit les prairies disparaître au profit des sylviculteurs. « Depuis 2013, une loi nous interdit de faire pâturer les moutons dans les plaines, ça menacerait les pousses de sapin… » Là aussi, le sentiment d’abandon est sévère : « Le gouvernement nous laisse tomber, et se laisse dicter par les intérêts économiques des plus grands, sans penser aux petits qui en souffrent… » 

Quant à la PAC, le mot relève presque du mirage. Dans un pays où la surface moyenne des 2,89 millions d’exploitations n’excède pas cinq hectares, les petits paysans de Ciumârna n'envisagent même pas une aide de l’Union européenne. Une déception ? « Impossible de manquer de ce qu’on n’a jamais connu », sourit Ionuț, empoignant sa grelinette.

Sarah Dupont et Juliette Lacroix

 

* Chiffres du rapport sur l'État territorial du ministère du Développement, des travaux publics et de l’administration, 2017.  

** Police politique du régime communiste. 

S’il redoute certaines transformations, Ionuț reste un homme de sa génération. Pour combler les fins de mois difficiles, il a aménagé le bas de son foyer en chambres d’hôte pour accueillir les familles curieuses d'agro-tourisme, un phénomène qu’il sait en vogue dans la région. Il parle couramment anglais et français, des langues apprises au lycée et au sein de son association de tourisme local. 

Présent sur les réseaux sociaux, grâce auxquels il garde contact avec ses proches à l’étranger, Ionuț est un homme connecté, curieux des actualités nationales et internationales. Il a même rencontré Gabriela grâce à une application de rencontre.

Si loin de l’UE

Mais chez les Loba, les traditions ont la vie dure. Pas question de laisser tomber les coutumes familiales. À l’étage de la fermette, Ana, sa mère, continue d’utiliser son război de țesut, un métier à tisser lui permettant de faire blouses et tapis traditionnels et fabrique des opinci, sabots en peau de cochon ou de chèvre. Pour Pâques, grands et petits de la lignée s'appliquent à peindre les incondeiate, œufs traditionnels roumains, symboles du pays. Ici, la religion a gardé sa place prépondérante dans le quotidien de la vie communale. À l’entrée du village, les visiteurs sont accueillis par une immense croix en bois, tandis que l’église orthodoxe, construite au XVIIe siècle, est méticuleusement conservée par les habitants, parfois mieux que leurs propres habitations. En 2020, ils y ont même ajouté une annexe extérieure, une « chapelle ouverte, respectant les gestes barrière » et permettant aux fidèles de s’y rendre durant la pandémie de Covid-19.

La Roumanie est devenue une terre prisée par les investisseurs étrangers. En 2008, deux entrepreneurs suisses ont lancé un élevage de viande bovine au cœur du pays. Leur succès illustre le basculement du secteur agricole roumain vers un modèle productiviste.

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