Vous êtes ici
« Hackerville »  : un passé sulfureux devenu légende nationale

24 mai 2022

« Hackerville » : un passé sulfureux devenu légende nationale

Cela fait presque vingt ans qu'une paisible ville roumaine de 118 000 habitants a été officieusement renommée « Hackerville ». Dans les années 2000, Râmnicu Vâlcea a été la base de lancement d'arnaques sur le ...

Mărăști : tout de neuf sous le béton

En bas, on atterrit à Mărăști. Les grands blocs de béton, vestige du communisme, ont été construits en un temps record pour loger les travailleurs venus grossir les rangs des usines dans les années 70. Même surface de logement, même mobilier : chez lui, le travailleur est considéré comme un matricule comme un autre. Les bâtiments gris, qui encerclent le rond-point, donnent l’impression d’un panoptique géant.

Il suffit de baisser la tête pour retrouver la liberté. Le va-et-vient des bus rythme la vie du boulevard. Certains ont une apparence familière : ils sont flanqués des couleurs de la RATP, qui a vendu d’anciens modèles à la société des transports locale. Autour des arrêts, les enseignes clignotent, les maraîchers vendent des pastèques et les casinos Las Vegas font leur arrivée sur la chaussée. Les placettes entre les immeubles, lieux de rencontres pensés par les architectes communistes, sont reléguées à l’attente d’un ami en retard.

Un virage et quelques coups d'accélérateur plus tard, la voie rapide offre une vue imprenable sur une publicité d’une nouvelle plateforme de streaming américaine. Pas de hasard, elle se trouve dans le business district, un grand ensemble de bâtiments vitrés, où la faculté d’économie a son quartier général. Le midi, ses foules d’étudiants viennent acheter des plats préparés dans un petit Auchan ultra-moderne situé à quelques mètres. Ils y côtoient les employés de Porsche ou de KPMG, qui se sont établis au-dessus de l’enseigne française.

 

Bonne journée à Buna Ziua

Au-delà d’un rond-point sans passage piéton, les hauteurs de la ville accueillent le nouveau quartier Buna Ziua. En apparence, la vie y est simple comme bonjour (buna ziua en roumain) : les gardiens veillent sur les lotissements aux larges balcons et les aires de jeux fraîchement peintes partagent la chaussée avec les SUV de marques allemandes. Les discussions des jeunes mères sont recouvertes par le son des perceuses.

« La construction de bâtiments ne s’est pas accompagnée d'infrastructures sociales, telles que des crèches ou des écoles », observe Adrian Dohotaru, ancien député indépendant à tendance écologiste (2016-2020). À l’inverse, des églises mais aussi des magasins allemands de discount fleurissent dans ce nouveau faubourg pour jeunes parents dynamiques. Ils appâtent de futurs employés « des localités voisines » en promettant une prise en charge de leurs frais de transport. Pour pallier ce manque de forces vives, ce sont les livreurs à vélo qui gravissent la colline. Leur course effectuée, ils se laissent porter dans la descente, une cigarette au coin de la bouche.

Si les clichés d’Alexandru montrent des jeunes en talons aiguilles et lunettes de soleil, le parfum d’ail dans les magasins et les églises orthodoxes redonnent sa singularité à la ville et ses 300 000 habitants, l’équivalent de Nantes. Parmi elles, la monumentale cathédrale greco-catholique rivalise avec sa consoeur orthodoxe, située à quelques mètres. Encore maintenue par des armatures en acier, sa construction a été décidée pour réparer les affres causées par le régime communiste à cette minorité.

Conséquence d’un libéralisme soudain, la vieille ville s’est embourgeoisée, avec le départ des foyers modestes vers la périphérie. Aussi, le nombre de friperies a explosé. « Les gens viennent car les nouveaux magasins occidentaux sont trop chers pour eux », renseigne Tobias, vendeuse rayonnante d’une chaîne locale de vente d’habits au kilo.

Près de l’ancien théâtre communiste débute la rue de la République. Son trottoir escarpé est un passage obligé pour les étudiants des différentes facultés de médecine. Vestige d’un collège jésuite du XVIe siècle, l’université Babeș-Bolyai est la plus importante de Roumanie et attire les jeunes de tout le pays. Les étudiants français en médecine y trouvent aussi leur eldorado avec des cours dans leur langue, sans les rudes sélections du système français. Aux facultés s’ajoutent une ribambelle d’instituts médicaux privés aux appellations mystérieuses : Cardiomed, Hiperdia, Artis 3, dans de vieux palais austro-hongrois ou des locaux modernes aux vitres opaques.

Centru, entre brassages et unité

Capitale de la Transylvanie, elle voit se rencontrer plusieurs nationalités et cultures : les Roumains évidemment, mais aussi les Hongrois, les Saxons ou les Roms. La ville aux trois appellations Cluj / Kolozsvár / Klausenburg s’est vu rajouter Napoca, nom du camp romain initial, par l’ancien dictateur communiste Nicolae Ceaușescu. Du Moyen Âge, elle a conservé ses deux grands axes routiers, devenus de véritables autoroutes :  le piéton y risque sa vie ou une amende s’il traverse en dehors du peu de passages piétons. Une troisième artère parallèle pour mobilités douces, le long du canal, est en cours d’aménagement.

Sur la place centrale, dite de l’Unité, trône l’imposante statue de Matthias Corvin, roi de Hongrie du XVe siècle, accompagné de ses seigneurs de guerre. La place est entourée de palais érigés par la dynastie des Habsbourg. Le palais Bánffy, demeure du gouverneur de Transylvanie au XVIIIe et XIXe siècles, atteste du passé austro-hongrois de Cluj. Une rue plus loin, autre palais, différente époque : celui des téléphones, ancien siège des PTT roumains construit en 1968, est un bloc compact où s’incrustent des cubes de béton.

C’est ce mélange des genres qui attire Alexandru, posté sur la place de l’Unité, en quête de personnalités qui détonnent pour alimenter son compte Instagram. « Ici les gens ont des styles et des attitudes vraiment à part », nous explique l’étudiant natif de Baia Mare, au nord de Cluj.

L’attente interminable des routiers ukrainiens

Quatre jours. C’est le temps qu’il faut pour passer la frontière roumano-ukrainienne à Isaccea, l’un des points névralgiques des flux incessants de camions. Les chauffeurs ukrainiens affluent en Roumanie et rien n’est prévu pour les accueillir dignement. Le bac qui traverse le Danube ne peut prendre qu’une dizaine de camions à raison de trois traversées par jour. Or, ils sont des centaines. Les hommes ukrainiens n’ont pas tous été mobilisés pour la guerre, afin de continuer d’acheminer les marchandises. Sous une chaleur accablante, ce jour-là, ils patientent en file indienne. « Ce ne sont pas des vacances loin des bombes, je suis inquiet pour ma famille mais je dois continuer à travailler pour les nourrir », explique Rostislav, 25 ans, originaire de Chernihiv dans le nord de l’Ukraine.

La frontière marque seulement le début de longues journées d’attente. Les routiers prennent ensuite la direction du port de Constanța. Là-bas, des parkings entiers sont emplis de camions immatriculés « UA », siglés du drapeau bleu et jaune. Une image qui n’existait pas avant le début de la guerre fin février. Ils attendent que leurs cargaisons soient chargées sur les bateaux. 

Les routiers se retrouvent deux semaines sur un parking, sans toilettes ni salle de bain et dorment dans leurs camions. « On se lave dans des stations-service sur le chemin et ici on fait comme on peut », explique l’un d’entre eux, pudique. La journée, ils nettoient leur camion, regardent des films, jouent aux cartes et se racontent des histoires. Isolés dans le port, ils se nourrissent grâce aux poissons qu’ils pêchent le long des quais et aux quelques épiceries alentour. Des conditions précaires qui rendent encore plus longues les journées : « C’est très dur d’être loin de sa famille pendant la guerre », insiste Vadim, 32 ans, croix autour du cou et sourire émaillé de dents en or. Si les rires résonnent sur le parking lorsqu’ils se retrouvent, tous ont le visage fatigué et le regard profond à l’évocation d’Odessa bombardée.

Enora Seguillon

L’attente interminable des routiers ukrainiens

Quatre jours. C’est le temps qu’il faut pour passer la frontière roumano-ukrainienne à Isaccea, l’un des points névralgiques des flux incessants de camions. Les chauffeurs ukrainiens affluent en Roumanie et rien n’est prévu pour les accueillir dignement.  Le bac qui traverse le Danube ne peut prendre qu’une dizaine de camions à raison de trois traversées par jour. Or, ils sont des centaines. Les hommes ukrainiens n’ont pas tous été mobilisés pour la guerre, afin de continuer d’acheminer les marchandises. Sous une chaleur accablante, ce jour-là, ils patientent en file indienne. « Ce ne sont pas des vacances loin des bombes, je suis inquiet pour ma famille mais je dois continuer à travailler pour les nourrir », explique Rostislav, 25 ans, originaire de Chernihiv dans le nord de l’Ukraine.

La frontière marque seulement le début de longues journées d’attente. Les routiers prennent ensuite la direction du port de Constanța. Là-bas, des parkings entiers sont emplis de camions immatriculés « UA », siglés du drapeau bleu et jaune. Une image qui n’existait pas avant le début de la guerre fin février. Ils attendent que leurs cargaisons soient chargées sur les bateaux. 

Les routiers se retrouvent deux semaines sur un parking, sans toilettes ni salle de bain et dorment dans leurs camions. « On se lave dans des stations-service sur le chemin et ici on fait comme on peut », explique l’un d’entre eux, pudique. La journée, ils nettoient leur camion, regardent des films, jouent aux cartes et se racontent des histoires. Isolés dans le port, ils se nourrissent grâce aux poissons qu’ils pêchent le long des quais et aux quelques épiceries alentour. Des conditions précaires qui rendent encore plus longues les journées : « C’est très dur d’être loin de sa famille pendant la guerre », insiste Vadim, 32 ans, croix autour du cou et sourire émaillé de dents en or. Si les rires résonnent sur le parking lorsqu’ils se retrouvent, tous ont le visage fatigué et le regard profond à l’évocation d’Odessa bombardée.

 

Enora Seguillon

Des verres trinquent, à l’ombre d’une église au centre-ville, sur un fond de musique lounge. À quelques mètres de là, des badauds profitent de la promenade piétonne ensoleillée pour remplir leur sac de courses. Les enfants, eux, dégustent des boules de glace vanille-framboise devant deux touristes équipés d’une perche à selfie.

L’occidentalisation de Cluj-Napoca va bon train depuis la chute du régime communiste en 1989, puis l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007. Les allées pédestres ont élargi les terrasses des cafés, selon les standards en vigueur dans les métropoles de l’ouest du continent. Autre symbole, l’arrivée des compagnies aériennes low-cost a fini d’achever la transition de Cluj, ancienne cité industrielle, vers le tertiaire mondialisé. Touristes et Clujiens peuvent acheter leurs légumes dans un hypermarché français, traverser les quartiers en trottinette électrique et avaler un hamburger d’une chaîne de fast-food américain. En 2021, le département de Cluj possédait le deuxième salaire net moyen par habitant du pays (856 €), derrière celui de Bucarest.

Immersion à Cluj-Napoca : il était une fois dans l'Ouest

24 mai 2022

Immersion à Cluj-Napoca : il était une fois dans l'Ouest

Cluj-Napoca, capitale de la Transylvanie, dans le nord de la Roumanie, s’est convertie à la modernité et au libéralisme depuis trente ans. Autrefois “ville close”, elle ouvre ses portes à notre journaliste.

...

« La superficie des forêts croît d’année en année, c’est un fait. Mais ça ne veut pas dire qu’elle se porte bien ! Il y a d’abord le problème des coupes, et notamment celles qui sont illégales, c’est-à-dire celles qui ne respectent pas les quotas ou les types de bois prélevés. D’après nos données, pour chaque tronc abattu légalement, un autre est volé. La corruption est encore très présente dans le secteur forestier et elle touche tout le monde, de celui qui coupe le bois, à l’entreprise qui l’achète, en passant par les autorités publiques qui ferment les yeux.

De manière générale, la forêt perd en qualité et en densité. Les propriétaires sélectionnent les essences qui ont le plus de valeur et les arbres les plus anciens. En faisant cela, ils privent la forêt d’un écosystème robuste, qui résiste aux intempéries. En résumé, ils l’affaiblissent. Après les coupes, lorsque le reboisement est fait — ce n’est pas toujours le cas —, il n’est pas réalisé correctement. Les administrateurs des forêts se contentent de replanter des monocultures puisque ça rapportera davantage à la prochaine coupe, et tant pis si cela appauvrit l’écosystème.

Quand on dit que la forêt est menacée, on ne parle pas seulement des arbres mais aussi des animaux qui y vivent. À dégrader et réduire leur habitat, à raréfier leur nourriture, ils sont forcés de se déplacer jusqu’aux villages. C’est le cas des ours et des loups. On les rend vulnérables, on les affame et après on les tue parce qu’ils sont trop proches de chez nous. C’est insensé.

À Greenpeace, on ne demande pas d’arrêter les coupes pour autant, le bois reste une ressource dont nous avons besoin. Mais on souhaite une gestion durable des forêts et une meilleure protection de nos forêts primaires, ces poches de biodiversité que nous avons la chance de toujours abriter. »

Pages