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Chacun réclame son biscuit, son fruit et son verre de lait en tendant les bras. "On patiente, je ne suis pas un robot. Je n’ai pas envie de me couper les doigts !", sermonne sur un ton posé la puéricultrice pendant qu’elle épluche les kiwis. Les quatre professionnelles, qui multiplient les allers-retours pour piocher les aliments dans le chariot, doivent s’occuper de 67 enfants affamés cet après-midi-là. Deux semaines auparavant, ils n’étaient pourtant que 48.

Pendant plusieurs mois, la crèche multi-accueil a tourné au ralenti. Sur les 68 places disponibles, seules une trentaine étaient occupées à la rentrée scolaire. Le centre craignait d’enregistrer une baisse des aides financières de la Caisse d’allocations familiales (CAF), calculées sur la base du nombre d’enfants accueillis. Concernant les places vides, Geneviève Petit, la directrice, s’inquiète de la concurrence avec les autres lieux de garde dédiés à la petite enfance.

En plus des micro-crèches, certaines écoles maternelles, comme Gutenberg et Erckmann-Chatrian, accueillent des enfants dès l’âge de 2 ans.  "Le grand est scolarisé à côté. C’est tellement pratique ! Je n’ai pas à faire des allers-retours. Un vrai gain de temps et d'argent", se réjouit un père de famille venu déposer son fils à Erckmann-Chatrian. L’école a mis en place ce dispositif en 2013. Gutenberg, lui, l’a depuis plus de deux décennies. De son côté, Gliesberg déplore un manque de locaux pour recevoir les plus jeunes. Ce dispositif devrait s’élargir à l’ensemble des quartiers prioritaires en France d’ici 2027, a annoncé le président Emmanuel Macron le 26 juin 2023.

"On aurait cru faire du porte-à-porte"

Au total, Geneviève Petit déplore la perte de 14 contrats d’enfants âgés de 24 mois. Une situation qu’elle n’avait pas anticipée, tout comme sa consœur de la crèche familiale, située dans le même bâtiment.

Au même moment, son petit frère, Erblil, joue avec deux autres garçons, vivant aussi dans le parc. Son grand frère, Meris, explique que dans le camp, hormis chez les plus jeunes, il y a peu d’échanges. "Nous ne voyons personne, c’est juste la famille", ajoute-t-il. La quinzaine d’enfants de 3 à 16 ans rythment le quotidien du campement avec leurs allers-retours à l’école. Parlant français ou anglais a contrario des adultes, ceux-ci deviennent d’indispensables traducteurs pour les parents dans leurs liens avec l’extérieur et dans leurs démarches administratives.

Faute de papiers, Miri ne peut pas travailler. Après un premier rejet de sa demande d’asile, il a retenté sa chance à la préfecture il y a trois semaines. Il veut rester vivre en France : "Si on nous renvoie en Albanie, on attendra 24 heures pour repartir ! C’est mieux de vivre sous les tentes que dans des maisons en Albanie."

Il a longtemps été impossible ici pour la faune de franchir la chaussée, identifiée par la ville de Strasbourg comme point noir pour le passage des espèces. La rue, avec ses deux voies de circulation automobile et les rails du tramway, représente une rupture dans la continuité écologique formée par le canal, lien ténu entre deux zones humides de l’Eurométropole (EMS), les étangs du Bohrie et du Gérig.

 

Mi-novembre 2024, une trentaine de tentes sont installées dans le parc. Contrairement au camp du Krimmeri - démantelé une nouvelle fois le 19 novembre - qui accueille des populations pachtounes, les sans-abris de la Montagne-Verte viennent tous des Balkans et du Caucase. Aux abords des trois tentes de la famille d’Isra, récemment déplacées à cause des rats, des palettes, des tables et des tabourets de fortune entourent le feu, tel un petit salon.

Les habitants du campement déplorent l’état des trois sanitaires et du point d’eau installés par la ville. L’absence d’entretien régulier sur ces installations pousse les familles à se tourner vers des structures d’accueil de jour telle que la Loupiote, près de la gare de Strasbourg. Ici, douches, machines à laver et cuisines sont mises à disposition des familles dans le besoin. Mais ces équipements sont victimes de leur succès : "Généralement, pour les douches, il faut réserver une semaine à l’avance", explique Dorothée Hoeffel, cheffe de service.  Avec une centaine de passages par jour, difficile pour Isra et sa famille d’arriver à se doucher plus d’une fois par semaine.

À la frontière sud de la Montagne-Verte, adossé à la rue René Laennec, un filet d’eau claire s’écoule lentement sous les saules. L’Ostwaldergraben, mince affluent de l’Ill, creuse son lit dans une tranchée verte de 600 mètres sur 50. À l’aval, là où l’eau glisse sous un pont de briques, le béton remplace la terre. La rue d’Ostwald crache son flot de voitures, bus et tramways.

Il a longtemps été impossible ici pour la faune de franchir la chaussée, identifiée par la Ville de Strasbourg comme point noir pour le passage des espèces. La rue, avec ses deux voies de circulation automobile et les rails du tramway, représente une rupture dans la continuité écologique formée par le canal, lien ténu entre deux zones humides de l’Eurométropole (EMS), les étangs du Bohrie et du Gérig.

En 2012, l’EMS lance des travaux de renaturation de l’Ostwaldergraben. Sous les lignes électriques qui bordent le ruisseau, on creuse des mares. 

Une douche par semaine

Les différents barbershop de la Montagne-Verte. © Augustin Brillatz et Thomas Dagnas

La mobilisation des parents d'élèves

À la Montagne-Verte, les espaces naturels, fragiles refuges pour la faune, sont soumis à une forte pression humaine. Des couloirs de végétation limitent l’impact des infrastructures de transport qui fragmentent ces sites précieux.

Miri, le père, Valdeta, la mère, et leurs trois enfants (Meris, 15 ans, Isra, 13 ans et Erblil, 8 ans) ont quitté leur ville de Shkodër, au nord de l’Albanie, le 10 juillet 2023, dans un van. Isra revient sur les raisons de leur départ : "Le cousin de mon père est un criminel et nous avons peur pour la famille." 

Après avoir traversé le Kosovo, la Macédoine du Nord et la Serbie, ils ont réussi à franchir la frontière hongroise, porte d’entrée dans l’espace Schengen. Ils sont parvenus jusqu’à Turin en Italie avant de rejoindre la Suisse et enfin la France. À l'issue de ce périple de près de 2200 km à travers l’Europe, ils ont déposé une demande d’asile à Mulhouse. "Nous dormions à la gare et dans d’autres endroits. Dix jours après, nous avons été transférés à Sarre-Union", retrace Isra. La famille y est restée pendant onze mois jusqu’à l’échec de la demande d’asile qui l’a contrainte à partir. Arrivés à Strasbourg en juillet en bus, Isra et ses proches ont fini par arriver au parc Eugène-Imbs. "À Krimmeri (un campement de migrants à la Meinau), il y avait trop de tentes. Donc on a cherché ailleurs", raconte la jeune fille.

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