Vous êtes ici
[ Plein écran ]

Pendant ce temps, Amine, couvert d’une cape protectrice blanche estampillée du logo HDR Barber, est installé face au miroir. Emporté par la discussion, Chadi Hadri pose sa tondeuse, quitte le poste de coiffure et s’installe au bac à shampooing défectueux. Il embraye en racontant toutes les étapes de son parcours. Pour sa coupe, Amine devra encore attendre un peu.

Augustin Brillatz et Thomas Dagnas

Un trajet bouché et risqué

Un patron chef d'orchestre

Amine est le seul à se faire couper les cheveux. Medhi, bonnet enfoncé sur le crâne, taquine le propriétaire : "Chadi il a changé hein, il fait des interviews maintenant !" s’exclame Zied. "L’écoutez pas, il est sous snus (tabac à chiquer, ndlr) !" rétorque le patron. La discussion devient plus sérieuse lorsque Salahdine, apprenti dans un autre salon de coiffure, se met à débriefer sa journée de travail. Chadi Hadri prodigue ses conseils : "T’arrêtes le CAP, tu bosses et t’ouvres ton salon comme moi !" Dans cette assemblée exclusivement masculine, le jeune homme endosse tour à tour le rôle du patron exigeant, du chambreur ou du grand frère.

Le flot de personnes est continu : quand Fatih et Ulas quittent le salon après une petite heure de bavardages, c’est Salahdine qui entre. L’homme dépose une mallette argentée au sol avant de s'asseoir dans un siège de coiffure. Il est bientôt suivi par Amine, Medhi et Zied, qui pénètrent dans le barbershop vers 19h45.

Dans le fond du salon, contre le mur végétal qui décore la pièce, Ulas, assistant d’éducation, se livre sur sa relation avec le patron : "Si j’avais le temps, je viendrais tous les jours pour Chadi." Son ami Fatih abonde : "On vient pour Chadi, on fait que rigoler avec lui, on vient pour décompresser après le travail." Le jeune entrepreneur ne s’en cache pas : "Je veux mettre à l’aise les gens. Pour certains, c’est un moyen de sortir de leur tanière."

18h15. Les cinq amis quittent le salon. Le bruit des tondeuses et des sèche-cheveux reprend. Changement d'ambiance. Une poignée de personnes passe en coup de vent saluer le gérant des lieux. Un homme âgé franchit le seuil. Il porte la moustache et un jogging bleu marine. Il s’approche de Chadi Hadri, lui dit quelques mots en arabe, puis repart aussi sec. "C’est mon père, explique-t-il. Il passe tous les jours nous voir." Peu après, un enfant passe sa tête par la porte : "Je viens juste dire Salem !" "Mohammed, tu nous as dit ‘Salem’ 200 fois aujourd’hui", lui répond gentiment Chadi Hadri, sourire toujours vissé aux lèvres.

Un lieu de passage majeur dans le quartier

Dans un coin de la pièce, adossé au bac à shampooing cassé et couvert de poussière, Imad, habitant du quartier, observe. "Je suis déjà venu me faire coiffer ce matin, je viens ici juste pour discuter, explique l’étudiant en BTS électrotechnique. Dans le quartier, c’est le lieu où ça bouge le plus." Marouane et Yanis ont tourné les sièges dos au miroir pour que leurs clients puissent participer aux discussions. Nassim improvise des pas de danse en chantant sur El Gemano de Genezio.

Pendant que Nasser et Amine se font coiffer, Enzo, Hamza et Ahmed s’installent sur le canapé en similicuir qui fait face aux postes de coiffure. Ils font des allers-retours vers l’extérieur pour téléphoner ou vapoter. Adossés au mur en fausse pierre grise, Enzo et Hamza sirotent leur canette d’Ice Tea framboise. L’enceinte crache des morceaux de rap français et les voix se font plus fortes pour couvrir les basses. Barbers et visiteurs parlent du prochain concert de SDM, du spectacle de Redouane Bougheraba, échangent leurs avis sur des influenceuses…

Des idées, les citoyens en ont. Certains prônent le covoiturage, facilité par l’application Karos, qui a été mise en place par l’Eurométropole. Elle compte chaque matin en moyenne 40 covoitureurs réguliers traversant le quartier. Au centre socioculturel, c’est le vélo qu’on encourage, avec l’organisation l’été dernier d’ateliers pour apprendre à pédaler aux femmes vivant dans les quartiers prioritaires. Le tram est régulièrement évoqué, et ce depuis longtemps, pour faire reculer l’utilisation de la voiture. L’ambition a toujours été freinée par les experts de la collectivité pour des raisons techniques, notamment l’étroitesse de la route. Cependant, la mairie est actuellement engagée sur des travaux de tramway pour désengorger d’autres grands axes, à l’instar de la route des Romains où la Ville espère passer de 15 000 véhicules par jour à moins de 10 000. "Il faut certainement être à un niveau d’ambitions comparables sur la route de Schirmeck, mais sans le tram", admet François Desrues. Preuve, pour François Portal qui se fait l’écho des habitants, qu’il s'agit principalement d’un manque de volonté politique. 

Diarouga Balde et Zoé Fraslin

Pages