Bouteina, 17 ans veut obtenir un service civique au SPS dans le but de travailler dans le social malgré son échec au bac pro. Une façon d’être plus qualifiée pour être employable alors que "l’école c’est pas pour moi". Assise à ses côtés, Zaina confirme cette vision : "ça fait de l’expérience." Mais avant tout, elles ne veulent pas continuer à rester à la maison sans rien faire. Quant à Sofiane, 17 ans, il concède : "Je veux reprendre quelque chose parce que ça fait trop longtemps que j’ai lâché."
Inutile de forcer le jeune à aller vers un parcours stéréotypé qui ne lui conviendra pas. "Ça ne marchera pas" tranche Marie. Il faut que la volonté de travailler vienne du jeune. Par exemple, même si Zaina, 20 ans et déscolarisée, avoue que c’est sa mère qui a pris les premiers contacts avec le SPS, elle reconnaît que "c’est important de travailler, je m’en rends compte".
Le SPS commence par un repérage via les éducateurs. "C’est un travail de contact. On va vers les jeunes même si ce travail est limité par le fait que certaines personnes ne sont pas dans la rue comme les filles", raconte Norbert Krebs. Pour inciter les jeunes à se tourner vers le SPS, il multiplie les interventions en faisant des ciné-débats, des tournois de foot interquartiers ou des interventions en collège. L’objectif est de développer une relation avec les jeunes et "être force de proposition", souligne Norbert Krebs. Marie, se rend souvent au futsal près du Centre social et culturel Victor-Schoelcher avec des jeunes filles d’une dizaine d’années. "Ça permet de me faire connaître comme éducatrice. Elles savent qui je suis, ce que je fais, même si elles n’ont pas besoin de moi tout de suite", résume-t-elle.
Rendre le travail attractif
Comme première expérience de l’emploi, le SPS propose aux jeunes des chantiers éducatifs en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). "Dans le but de les mobiliser et leur donner une meilleure vision du travail, leur montrer que ce n’est pas dégradant, qu’ils peuvent tirer une fierté du travail dans une bonne ambiance, comme l’explique Norbert Krebs. Il faut les mobiliser parce qu’ils n’ont pas une bonne estime d’eux-mêmes, leur montrer qu’ils peuvent se lever le matin et tenir une journée". Ainsi, les jeunes ne sont pas obligés de faire une semaine de 20 heures. Il s’agit de les convaincre de travailler pour un SMIC alors que "certaines anciennes amitiés délinquantes les dénigrent".
Fuat Asan : la carte de la proximité
À 25 ans, Fuat Asan est responsable d’une des deux épiceries Asan Market, celle du nord de Cronenbourg. L’autre se situe à Schiltigheim. Son magasin a ouvert il y a un an et le chiffre d’affaires est au niveau de ses espérances. De bons résultats obtenus grâce à une clientèle fidèle : "99 % des gens qui viennent acheter ici sont des habitués, explique-t-il. Tous mes clients viennent du quartier, et plus particulièrement de la zone très proche autour du magasin." Il ne s’inquiète donc pas de la concurrence du Auchan-Simply Market situé à quelques rues, ou de l’Asia Market, également voisin. “C’est chacun dans son coin, reconnaît-il, je ne m’occupe pas des autres commerces."
Mais son épicerie se démarque des deux autres enseignes par son emplacement - elle est située au cœur d’un quartier résidentiel - et par un large choix de viandes, de fruits et de légumes. Son amplitude horaire est aussi très appréciée des clients : le magasin est ouvert douze heures par jour, sept jours sur sept.
Pour remplir les étals de l’épicerie et satisfaire au mieux ses clients, Fuat se fournit auprès d’une vingtaine de grossistes. "Sept ou huit sont des producteurs de la région, les autres viennent d’Allemagne ou d’Autriche", précise-t-il. Pour ce qui est des fruits et légumes, il s’approvisionne au Marché-Gare.
Justine Maurel et Eva Moysan
"Tous les jours, je demandais à un jeune que je suivais de se lever une demi-heure plus tôt pour venir me voir. Ça a pris un mois entier mais quand il y est arrivé, je lui ai dit : Tu vois ? C’est possible !" Marie, éducatrice de rue au SPS, raconte comment elle travaille avec les jeunes. L’un des gros problèmes selon elle, c’est leur manque d’employabilité. Se lever à l’heure, parler poliment, savoir se présenter, enlever ses écouteurs quand on rentre dans une pièce…
Dans le nord du quartier de Cronenbourg, le chômage s’élève à 17,8 % de la population, soit quasiment le double de la moyenne française. "En fait le chômage ça devient une habitude, explique Norbert Krebs qui dirige une association qui aide les personnes les plus éloignées de l’emploi à reprendre le travail. Notre mission, c’est aussi d’accompagner un public jeune mais aussi des personnes isolées." C’est rendre "employable" une population qui a perdu les habitudes du travail et les savoir-être pour trouver un métier dans une entreprise.
"C'est plus dur pour les jeunes de la cité"
Les associations s’efforcent d’élargir l’horizon des jeunes. "On fait un gros travail de mobilité avec eux. Certains ne sont même jamais allés à l’Orangerie, dit Nathalie, conseillère à la mission. Quand on les aide à trouver un stage, c’est tout le temps en dehors de Cronenbourg, hors de leurs zones géographiques". Ce manque de compétences sociales est un handicap pour l’accès à l’emploi des jeunes. "C’est sûr que c’est dur pour tout le monde de trouver du boulot aujourd’hui, mais c’est plus dur pour les jeunes de la cité. On ne veut pas les embaucher", constate Florian, avec fatalité.
Zouhir Zammouri : écrasé par "le monstre Internet"
"Il faut rester optimiste", lance Zouhir Zammouri, 39 ans, gérant du magasin Destock Bazar, route de Mittelhausbergen. Chaussures, vêtements, équipements de cuisine… la boutique propose des produits variés à des prix réduits. L'intégration de ce commerçant, implanté depuis mars 2019 dans le quartier, a été difficile. "Ici, c'est chacun pour soi, bien qu’avec les autres commerçants nous ayons les mêmes problèmes", analyse-t-il. Après seulement quelques mois, Zouhir Zammouri pense déjà à déménager. La faute à un local trop petit pour développer l'activité sur le long terme et aux difficultés de stationnement dans la rue, qui découragent certains clients.
Zouhir Zammouri fustige aussi "le monstre Internet" qui selon lui "casse tout". Destock Bazar subit en effet la concurrence des grands groupes, qui vendent à prix réduits et en grande quantité sur Internet. "J'ai du mal à couvrir mes frais chaque mois et le problème c'est que si je vends plus cher, les gens n'achètent pas. Plus rien ne marche aujourd'hui à cause d'Internet, excepté peut-être la restauration", regrette-t-il. Pour s’en sortir, Zouhir Zammouri cherche à promouvoir son commerce via des annonces sur Facebook et Leboncoin, mais leur visibilité reste limitée. Dépité, il envisage désormais de changer de voie.
Cyrielle Thevenin, Alix Woesteland
L’enseigne emblématique de la marque a été reproduite à l’identique et placée sur le toit du K Hôtel. Les grandes lettres rouges rendent hommage à la marque de renommée internationale. L’établissement hôtelier, ouvert en novembre 2018, compte 13 employés. Outre son nom, Kronenbourg est présent dans les verres des clients grâce au partenariat conclu entre l’hôtel et le brasseur.
Eva Moysan et Justine Maurel
Le Service de prévention spécialisé
Le Service de prévention spécialisé (SPS) est une association intermédiaire implantée au 5 place de Haldenbourg. Il propose des chantiers éducatifs aux jeunes, comme de la rénovation d’appartement.
Le SPS rassemble une équipe de cinq éducateurs spécialisés. Il a pour mission de "favoriser l’inclusion d’un public jeune, fragile et isolé", âgé de 12 à 24 ans en milieu ouvert "c’est-à-dire qu’on n’est pas en établissement, on travaille sur le lieu de l’habitat" explique Norbert Krebs.
Le SPS suit les personnes sur un plan professionnel, mais "toutes les entrées sont possibles", selon lui. De la conception d’une lettre de motivation jusqu’à des cas personnels comme l’épanchement d’une dette.
La mission du SPS est de rapprocher le jeune vers le travail considérant qu’il est un aspect important de l’inclusion sociale. L’association suit environ 200 jeunes en accompagnement individuel et met en place un accueil collectif tous les après-midis, de 14h à 17h.