0h20
Certains se ravitaillent au Night Shop, à cinq minutes à pied. L’échoppe de 15 m2, ouverte jusqu’à 5h, vend de tout : boissons, chips, bonbons…“C’est l’épicerie de la Meinau”, lâche un client, Ice-Tea et Maltesers à la main.
En face, le food truck Smash Burger est toujours ouvert. Dans moins d’une heure, Mehdi éteindra ses friteuses et le Select servira ses derniers verres. Mais la Plaine des Bouchers, elle, continuera à vivre au rythme de la techno jusqu’au bout de la nuit.
* Le prénom a été modifié.
Abel Berthomier et Sarah Khelifi
0h07
Entre-temps, une queue s’est formée devant le Studio Saglio, malgré la pluie et le vent. Des fêtards, prêts à danser jusqu’au petit matin, se disent attirés par un public “ouvert d’esprit” et par l’absence de voisins. Ils ne le savent pas, mais 1 865 personnes résident à la Plaine des Bouchers.
Elisa*, trentenaire, habite juste en face de la boîte de nuit. Arrivée d’Albanie il y a sept ans, sa situation irrégulière ne lui permet pas d’avoir un logement. Alors elle subit, deux soirs par semaine, ce désagréable voisinage et a déjà dû appeler la police suite à une bagarre. Cette nuit, trois hommes discutent bruyamment au pied de sa fenêtre. “Pour le prix de la maison, on supporte les nuisances”, témoigne un de ses voisins qui vit ici depuis vingt-quatre ans.
22h
Comme elles, on oublierait presque que la zone industrielle continue de tourner. Devant l’entrepôt Amazon, rue Livio, des travailleurs en veste orange passent d’un hangar à l’autre. D’autres ouvriers embaucheront à 4h à l’usine de sièges automobiles Adient, quand la fête battra son plein au Studio Saglio. Pour l’instant, les premiers fêtards se garent autour de cette boîte techno qui a fêté ses trente ans cet été. Sur le trottoir, certains boivent déjà, bouteilles de vodka et bières à la main, en attendant l’ouverture dans une heure.
22h30
Plus haut dans la rue, d’autres achèvent leur soirée autour d’un thé, devant la mosquée Semerkand. Assis sous un barnum, autour d’un distributeur de café, quatre hommes portant des kufis bavardent. “C’est un espace de discussion pour les Turcs”, explique Huseyin.
23h
Au Select, à 500 mètres de là, une quinzaine d'hommes fument le narguilé sous la lumière des néons. Enfoncés dans des canapés noirs, ils profitent de l’absence de leurs femmes pour “se parler librement”. Bachir Soualah, le patron, a déménagé sa chicha du centre-ville et de ses problèmes de voisinage il y a un an. “J’ai demandé à mes clients s’ils suivraient. Ils m’ont assuré que oui.”
21h40
Au bout de la rue se détachent les silhouettes de deux camions, garés le long du canal du Rhône-au-Rhin. Ils utilisent l’accotement de la rue du Doubs comme espace de parking. À travers la baie vitrée du Elite Steakhouse, des lustres imposants éclairent une salle comble. Coincé entre un magasin de cuisine équipée et une boucherie, ce restaurant de grillades réputé semble tout droit sorti d’un épisode de Gossip Girl. “Les gens viennent de Metz, de Mulhouse, d’Allemagne”, explique le gérant, Cinar Rusterm. Pour un minimum de 40 euros, des cuisiniers grillent une viande halal directement à la table des clients. Certains serveurs parlent turc pour accueillir cette communauté très présente dans le secteur. “C’était risqué. Ça marche grâce au concept”, précise le restaurateur.
La concurrence est rude. Quelques rues plus loin, six jeunes femmes ont choisi l’adresse italienne Le Venezia pour les 18 ans de leur amie. “Ça me fait flipper de venir ici… Mais qu’est-ce qu'on ferait pas pour sa copine !”, rigole Selena. Il y a quelques mois, un homme a agressé son amie Nesli dans le secteur. Malgré tout, elles restent fidèles au quartier, de jour comme de nuit. “Il y a notre mosquée à côté, donc on a l’habitude de venir ici.”
21h
Le bruit de la pluie résonne dans la nuit. Portés par le vent, des éclats de voix se font entendre. Quatre clients du food truck, situé sur le parking du 15, rue des Frères-Eberts, rigolent avec Mehdi Belabassi. “Je ne suis pas d’ici mais je viens pour la qualité”, confie un jeune Illkirchois en attendant sa commande sous le toit en tôle. Le patron de 24 ans écrase un steak sur la plaque de cuisson - c’est le concept du smash burger. “Je suis le cinquième restaurant de ce type à Strasbourg… et le meilleur !, se vante-t-il.
Installé depuis deux semaines dans la Plaine des Bouchers, le jeune homme a connu un bon début grâce à des vidéos relayées par Nasdas, un influenceur suivi par 5,6 millions de personnes sur Snapchat. Mehdi n’est pas le seul à avoir lancé son affaire : “Depuis quatre ans, des restaurants s’implantent ici”, assure-t-il. Une centaine d’entreprises de restauration sont installées dans le secteur, selon la Chambre de commerce et d’industrie d’Alsace Eurométropole. “Chaque jour, quelque chose ouvre !”, confirme son frère avant de lancer : Mettez un snap et un avis Google !”
En journée, la Plaine des Bouchers ne semble rythmée que par l’activité des entreprises. Mais une fois la nuit tombée, la zone industrielle change de visage : fêtards et clients des restaurants lui donnent un autre souffle. Balade nocturne un vendredi soir de novembre.
Voir aussi :
« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi »
Le 1er octobre 2012, la coalition de l'opposition de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, Rêve géorgien, remporte les élections législatives. Rapidement, la cohabitation s’annonce difficile avec Mikheil Saakachvili, dont le mandat expire un an plus tard. Le « candidat de Moscou » voit d’un mauvais œil la politique de modernisation menée par son rival pro-occidental. Il va s’attacher à détricoter son héritage, notamment à Koutaïssi.
« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi. Tous les projets ont cessé : la construction d’hôtels, la rénovation de la ville, l’entretien même du bâtiment, soupire Chiora Taktakishvili, finalement convaincue des avantages de l’installation de l’institution dans la région d’Iméréthie. L’arrivée du Parlement a changé le statut de la ville. Koutaïssi était devenue attractive. Un chef français de Nice avait même ouvert un restaurant. Les députés y étaient toujours fourrés. » L’établissement est aujourd’hui fermé, à l’instar de nombreux commerces.
Selon Rêve géorgien, la coordination entre le Parlement et le gouvernement était trop compliquée dans deux villes distinctes, et l’entretien des bâtiments trop coûteux. « La vérité, c’est qu’ils ont voulu abattre le symbole associé à Saakachvili », assène Chiora Taktakishvili. Au-delà des emblèmes, c’est l’homme qui a été banni de la vie des Géorgiens. L’ancien président purge une peine de six ans pour abus de pouvoir. Loin d’avoir été effacées, ses idées libérales sont régulièrement scandées par les manifestants devant le Parlement, en plein cœur de la capitale géorgienne.
Audrey Senecal
Avec Mariam Kvavadze